Si la technologie a été conçue, pensée au départ pour abolir les frontières et donner à tous un accès égal aux ressources numériques mondiales, la fracture numérique continue à creuser un fossé béant entre les classes sociales, tant en France qu’au Québec. Si nos deux sociétés francophones partagent des cultures et des histoires proches, leurs approches face à la fracture numérique présentent des nuances qui méritent d’être considérées.
En France, comme sur beaucoup de sujets sauf en période de trêve olympique, cela va de soi, la fracture numérique est une réalité qui divise.
Selon les chiffres les plus récents de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) datant de juin 2023, environ 15 % de la population française serait en situation d’illectronisme, c’est-à-dire sans disposer des compétences numériques de base ou ne se servant pas d’internet.
Un chiffre en recul mais qui demeure alarmant dans un monde de plus en plus connecté. Une inégalité qui reste particulièrement marquée dans les zones rurales et parmi les populations âgées, mais pas seulement.
Au Québec, si la situation semble moins dramatique sur le plan social, c’est l’accès aux régions éloignées qui pose problème.
La France face à l’illectronisme
Le taux encore élevé d’illectronisme pose problème en France, car il vient avec son lot de conséquences sociales très lourdes. L’accès limité au numérique prive en effet certains citoyens de services essentiels comme la télémédecine, les formations en ligne, et même l’accès à l’emploi, souvent facilité par les plateformes numériques.
Même si l’illectronisme a légèrement baissé depuis 2019, sous l’effet des modifications de comportements induites notamment par la crise sanitaire, il a davantage diminué chez les 60 ans ou plus, mais moins pour les personnes les plus modestes. Les inégalités se sont donc surtout creusées entre les plus et les moins aisés.
« Les inégalités se sont (…) surtout creusées entre les plus et les moins aisés »
Des inégalités sociales qui se traduisent par des inégalités éducatives, avec des élèves de familles démunies moins susceptibles de posséder des ordinateurs ou ne bénéficiant pas d’une connexion Internet de qualité pour suivre les cours en ligne.
Le gouvernement français a pourtant lancé plusieurs initiatives pour combler ce fossé, comme le Plan France Très Haut Débit, qui visait à apporter une connexion Internet rapide à tous en 2022.
Cependant, la mise en œuvre de ces mesures reste toujours inégale, dépend fortement des ressources locales et ne pallie pas l’absence de compétences dont souffre une partie de la population face à l’outil numérique proprement dit.
Le Québec veut rapprocher
Au Canada, la situation est un peu différente. Les dernières données de Statistique Canada en la matière datant de juillet 2023 révèlent que près de 95 % des Canadiens ont accès à Internet. Néanmoins, tout comme en France, l’accessibilité et la qualité de la connexion varient grandement entre les zones urbaines et rurales.
Si les jeunes Canadiens restent particulièrement avantagés, bénéficiant d’un accès quasi généralisé à Internet et aux outils numériques haut débit, souvent intégrés au système éducatif, les personnes âgées et les populations à faible revenu font face à des défis similaires à ceux observés en France.
« (…) l’universalité de l’accès et de l’usage de la technologie demeure une condition sine qua non pour une société qui souhaite utiliser le numérique à bon escient plutôt que le subir. »
Une situation renforcée par le caractère géographiquement très éloigné de certaines régions vis-à-vis des grands centres urbains.
Au Québec, le ministère de la Cybersécurité et du Numérique s’efforce de remédier à la situation avec son Plan d’action en occupation et en vitalité des territoires 2023-2025. En mettant en œuvre ce plan, le Ministère tente de répondre aux besoins en infrastructures technologiques de plus de 300 organismes de l’administration publique pour permettre aux citoyens et aux entreprises d’obtenir des services, peu importe où ils se situent sur le territoire québécois.
Des programmes de subventions pour l’achat de matériel informatique et des initiatives de formation numérique pour les aînés et les populations défavorisées ont également été mis en place, avec des résultats encourageants mais encore perfectibles.
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Accès et formation
Malgré des différences contextuelles, la France et le Québec se retrouvent donc face à des défis similaires concernant la fracture numérique. Les deux régions investissent dans l’infrastructure et l’éducation numérique, mais doivent encore surmonter des obstacles majeurs pour démocratiser l’accès à l’ensemble de la population.
Or, l’universalité de l’accès et de l’usage de la technologie demeure une condition sine qua non pour une société qui souhaite utiliser le numérique à bon escient plutôt que le subir.
« (…) les jeunes sont peut-être nés avec un ordinateur dans les mains, mais ce n’est pas pour autant qu’ils savent l’utiliser de manière professionnelle. »
La fracture numérique n’étant pas seulement qu’une question d’accès, mais aussi et surtout de compétences, les approches pour lutter contre ses effets néfastes doivent être holistiques. La solution passe non seulement par l’amélioration de l’infrastructure, mais aussi par la formation continue et l’accompagnement personnalisé.
Car le constat est sans appel : les jeunes sont peut-être nés avec un ordinateur dans les mains, mais ce n’est pas pour autant qu’ils savent l’utiliser de manière professionnelle. En France, près de 963 000 individus âgés de 16 à 25 ans se trouvent sans qualification ni emploi. De manière paradoxale, l’année dernière, plus de 750 000 postes dans le secteur du numérique sont restés vacants dans toute l’Europe. Et le Québec n’est pas mieux loti en la matière.
L’une des clés de résolution d’un tel décalage réside sans doute dans une collaboration internationale plus active, qui viserait le partage des modèles de succès et les adapterait aux réalités locales. Là-dessus, la Francophonie pourrait jouer un rôle majeur et exemplaire en raison de sa configuration.
Mais il est plus que jamais primordial de promouvoir le contact humain dans cette course à l’illectronisme, à une époque où les interactions physiques se font de plus en plus rares. La « resociabilisation », ou réduction de la fracture sociale, est aussi à ce prix.
Le défi est grand, mais l’enjeu en vaut la peine : dans un monde où le numérique devient le socle de notre société, réduire cette fracture est impératif pour éviter une fracture sociale irréparable.
Crédit Image à la Une : Unsplash / Arie He