Le Canada et la Commission européenne ont conclu au début du mois de juillet les négociations d’association du Canada au pilier II d’Horizon Europe. Accord historique s’il en est puisque les chercheurs canadiens auront ainsi accès au réseau des meilleurs chercheurs européens et mondiaux et inversement. Un gage d’avancée scientifique pour répondre à rien moins qu’aux grands défis actuels de l’humanité.
C’est sans nul doute le plus important programme de science et de recherche au monde. Ce n’est pas moi qui l’affirme, mais bien le premier ministre canadien, Justin Trudeau.
Il faut dire qu’avec une dotation budgétaire de près de 100 milliards d’euros, le programme Horizon Europe est un dispositif qui n’a pas à rougir face à ceux d’autres puissances mondiales que sont la Chine et les États-Unis.
Et le Canada l’a bien compris. Après 5 ans de discussions avec l’Union européenne, il réussit un coup magistral en concluant un accord qui permet à ses chercheurs de participer au financement de ce giga programme de portée mondiale.
Des secteurs de recherche prioritaires
Cet accord historique signé le 3 juillet dernier devrait permettre aux chercheurs et organisations canadiens de participer au programme de recherche et d’innovation de l’Union Européenne sur un pied d’égalité avec leurs homologues européens.
Un accès au pilier II du programme, qui se concentre selon ses termes sur « les problématiques mondiales et la compétitivité industrielle européenne », apparaît comme le gage pour les chercheurs qui en bénéficient de financements conséquents. Un programme qui s’articule autour de six groupes thématiques, chacun s’attaquant à un problème sociétal particulier.
« (…) des projets de recherche collaborative devraient ainsi être accélérés dans un large éventail de domaines et de disciplines (…) »
A travers cette entente, des projets de recherche collaborative devraient ainsi être accélérés dans un large éventail de domaines et de disciplines, qui vont de la santé au climat, en passant par l’inclusion sociale et en ciblant principalement l’innovation de pointe dans les domaines des STIM et des sciences sociales.
Sur ces thématiques prioritaires les entités canadiennes seront désormais autorisées à rejoindre et à diriger des consortiums de recherche avec certains des meilleurs organismes de recherche européens. Avec un accent mis sur la lutte aux changements climatiques, qui concentrera pas moins de 35% du financement d’Horizon Europe.
Une coopération gagnant-gagnant sur le papier
Le Canada rejoint ainsi sur ce vaste programme de collaboration scientifique un club assez fermé de pays associés hors d’Europe, constitué jusqu’à présent de la Nouvelle-Zélande et de la Corée du Sud. Tous réunis et mobilisés pour surmonter les défis industriels, sociaux et environnementaux à l’échelle internationale.
Mais plus prosaïquement, ce partenariat, qui officialise la participation de chercheurs et organismes canadiens à des consortiums d’universitaires et d’entreprises internationaux, allégera le fardeau financier des chercheurs canadiens.
« (…) ouvrir la porte aux forces vives scientifiques pour les mobiliser autour d’initiatives à portée universelle »
Ces chercheurs étaient déjà, en théorie, susceptibles de rejoindre les projets Horizon Europe, mais ils devaient jusqu’à présent trouver leurs propres sources de financement nationales pour opérer ces projets. Grâce à cette association, les Canadiens pourront désormais se joindre à des partenaires européens en soumettant une seule demande et en obtenant un seul financement.
En contrepartie de cette possibilité offerte à ses chercheurs d’être financés directement par le programme européen, le Canada s’engage à contribuer à son budget dans une proportion qui risque de créer à l’avenir quelques remous.
Mais la logique qui gouverne ces partenariats est d’ores et déjà enclenchée : ouvrir la porte aux forces vives scientifiques pour les mobiliser autour d’initiatives à portée universelle. C’est déjà un grand pas dans la bonne direction qu’il faut saluer à sa juste valeur.
Des points à clarifier
Sur le papier, les objectifs sont sains et les ambitions vertueuses en matière de recherche et d’innovation dans des domaines clés tels que les océans, la santé, les matières premières, l’énergie et la bioéconomie ainsi que l’intelligence artificielle, la cybersécurité et l’infrastructure numérique, mais la mise en opération de ces accords, après cinq années de franches discussions entre les deux parties, et ce alors que Bruxelles élaborait déjà depuis des années des plans pour étendre ses programmes-cadres en dehors de la région européenne, ne vient pas sans mises en gardes.
« (…) le Canada reversera probablement à Bruxelles à peu près le montant que ses chercheurs gagneront grâce au programme (…) »
Il en va notamment du plafonnement des coûts de recherche. Un point de friction lors des négociations. Bien que l’accord ait semblé régler ce hiatus, le Canada reversera probablement à Bruxelles à peu près le montant que ses chercheurs gagneront grâce au programme, selon un modèle de « paiement à la carte ».
Ce qui laisse potentiellement Ottawa dans la situation de devoir verser des contributions illimitées si ses chercheurs obtiennent des résultats particulièrement bons. Une situation qui risque de ne pas être du goût du prochain gouvernement, si la majorité devait tourner à l’avantage des Conservateurs.
Une stratégie diplomatique et scientifique
Mais le Canada a-t-il vraiment le choix de refuser cette opportunité ? Le professeur et directeur du Département de science politique de l’Université de Montréal, Frédéric Mérand, considère que « l’intérêt principal du Canada d’accroître ses relations avec l’Union européenne découle du fait qu’il a peu d’amis dans le monde, même s’il souhaite se rapprocher du Japon et de la Corée et même si ses relations commerciales et humaines avec les États-Unis sont très riches. »
Le spectre d’une victoire de Donald Trump le 5 novembre prochain crée de l’incertitude. Frédéric Mérand a raison de croire que « l’Union européenne demeure un allié unique avec qui le Canada peut par exemple promouvoir la démocratie, la transition énergétique et encadrer le pouvoir des GAFAM, puisqu’à lui seul le Canada est trop petit pour intervenir sur ces enjeux. »
« Ce sont de nouvelles propriétés intellectuelles qui vont voir le jour et pourront demeurer canadiennes tout en contribuant à l’apport de solutions concrètes face aux grands périls qui menacent l’ordre mondial »
Le pilier II d’Horizon Europe, auquel vient d’adhérer le Canada, est la plus grande partie collaborative du programme qui se concentre principalement sur les défis mondiaux communs. Des entreprises canadiennes pourront avoir accès à une partie de ces fonds, et collaborer avec des chercheurs européens. Ce sont de nouvelles propriétés intellectuelles qui vont voir le jour et pourront demeurer canadiennes tout en contribuant à l’apport de solutions concrètes face aux grands périls qui menacent l’ordre mondial.
Comme nous le soulignions déjà dans nos colonnes il y a deux ans, et plus que jamais, les chercheurs et les ingénieurs sont devenus les alliés indispensables des relations interétatiques des prochaines années, à tous les niveaux. Parce que seuls des cerveaux capables de penser le monde différemment nous permettront d’assurer la viabilité d’une adaptation indispensable au changement.
[ÉDITORIAL] : L’Innovation technologique, nouvel enjeu diplomatique de premier ordre
Crédit Image à la Une : Iliana Ivanova