Qui sont les « analphabètes » des temps modernes? Comment peut-on, collectivement et efficacement, compenser leur déficit de compétences et d’accès numériques, et pourquoi est-ce primordial de renforcer la culture scientifique et l’éducation numérique auprès des individus de tous les profils et secteurs? C’est là tout le sujet de ce premier numéro du nouveau magazine québécois LES CONNECTEURS, qui a pour mission de vous faire vivre et plonger dans la révolution technologique, tout en vous rapprochant de l’innovation et des savoirs scientifiques de façon engageante.
Destinée à tous les francophones du monde, cette revue québécoise, électronique et bimensuelle est portée par ses journalistes, chroniqueurs et partenaires, tous dévoués à la cause reflétant sa mission : informer, démystifier, vulgariser, analyser et anticiper les enjeux liés à l’innovation technologique, tels des connecteurs de faits, d’idées, d’esprits et de solutions. Une invitation pour notre lectorat à rester « connecté » et à prendre part aux discussions, mouvements et changements de société qu’engendrent la recherche, le développement et le déploiement des nouvelles technologies, afin de tout comprendre sur les effets de ces transformations, et mieux connaître l’écosystème à l’origine du progrès technologique et scientifique.
L’« illectronisme », ce mal invisible qui guette la société
Le concept d’« illettrisme numérique » ou d’« illectronisme » a commencé à émerger dans les années 1990, et s’est développé au fil des décennies, à mesure que les technologies du numérique se voulaient de plus en plus omniprésentes dans la société.
« Désormais, une offre d’emploi sur trois présente les compétences numériques comme étant un atout, sinon un prérequis. »
Désignant le manque de compétences des individus dans le domaine, et les effets que leurs lacunes en la matière peuvent avoir sur leur capacité à être fonctionnels en société, ces termes n’auront jamais autant pris leur sens que maintenant, alors que l’exigence de compétences numériques n’est plus exclusive des embauches en technologies de l’information (TI).
Désormais, une offre d’emploi sur trois présente les compétences numériques comme étant un atout, sinon un prérequis. Même lorsqu’elles ne sont pas explicitement en demande, ces compétences finissent par s’avérer nécessaires pour la majorité des postes, quel qu’en soit le secteur, alors que l’incapacité à utiliser les technologies numériques devient comparable à celle à lire et écrire.
Dans le rapport de sa récente étude, « Évaluation des compétences numériques dans les emplois au Québec et au Canada », le Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) précise que « Les compétences numériques sont le plus souvent requises dans les emplois de service à la clientèle et en soutien administratif », mais qu’« elles sont également nécessaires dans une variété d’autres types d’emplois ».
Le rôle de l’IA générative dans l’accentuation de la fracture
Prenons l’exemple de l’IA. Les premiers outils d’IA générative étaient principalement axés sur la génération de texte. Ils pouvaient créer des résumés, des articles, des poèmes et même des dialogues. Puis, leurs capacités se sont étendues à la génération d’images. Les modèles comme DALL-E permettent depuis un certain temps de produire des images à partir de descriptions textuelles, qualifiées de « prompts » ou de « requêtes ». Des modèles tels que VQ-VAE-2 peuvent désormais générer des séquences d’images pour créer des animations ou de courtes vidéos. Des outils produisent également de la musique, composant des mélodies, des harmonies et même des chansons complètes. L’IA générative est aussi utilisée pour la création de jeux vidéo, la conception de produits, la génération de code, la traduction automatique, etc. En somme, on peut dire que depuis le lancement de ChatGPT, les outils d’IA générative ont évolué très rapidement, leur progrès continuant d’ouvrir de nouvelles possibilités créatives, tout en chamboulant plusieurs milieux au passage, dont ceux de l’éducation et du travail.
« (…) à mesure que (…) des outils d’IA de plus en plus performants et sophistiqués émergent, les moyens de s’en servir et la maîtrise des compétences numériques requises pour les utiliser, aussi, deviennent de plus en plus complexes, rendant ces innovations moins accessibles qu’elles ne le paraissent. »
Lorsqu’on est conférencier ou panéliste, et qu’on demande aux dizaines ou centaines de personnes présentes dans la salle si elles ont déjà entendu parler d’outils d’IA qui génèrent des vidéos, elles lèvent presque toutes la main pour signifier que oui. En revanche, dès lors qu’on leur demande si elles en ont déjà fait l’expérience, et utilisé des applications comme la plateforme Discord – très populaire auprès des gamers – pour produire de telles vidéos, on obtient un compte presque nul, constatant un retard d’apprivoisement certain.
On en comprend qu’à mesure que les possibilités de génération de contenus se décuplent, et que des outils d’IA de plus en plus performants et sophistiqués émergent, les moyens de s’en servir et la maîtrise des compétences numériques requises pour les utiliser, aussi, deviennent de plus en plus complexes, rendant ces innovations moins accessibles qu’elles ne le paraissent.
Ce décalage entre la vitesse à laquelle évoluent ces innovations et celle à laquelle se démocratise leur accès, prononce le fossé numérique qui s’était déjà creusé entre les utilisateurs avertis et les populations souffrant d’illectronisme ou d’un manque de ressources. Frappées par cette disparité à différents degrés, en raison de facteurs, conditions et défis socio-économiques et culturels variés, les groupes désavantagés se révèlent tant au sein de la population générale qu’en milieu organisationnel ou scolaire : chez les femmes, aînés, employés, PME, organismes communautaires, élèves, populations autochtones, et bien d’autres communautés insoupçonnées.
3 axes pour réduire le fossé numérique
Développer et intégrer des formations en IA et autres nouvelles technologies du numérique dans le cursus scolaire, ainsi qu’au sein des entreprises, apparaît alors comme une nécessité, de même qu’il incombe aux acteurs de l’écosystème de favoriser la création et le maintien de laboratoires vivants, de sorte que se déploient des projets technologiques innovants, jusqu’à atteindre une diversité de milieux preneurs au sein des populations marginalisées, incluant les organismes communautaires et la clientèle qu’ils desservent. Enfin, communiquer et faire rayonner le fruit et les retombées de la recherche, lorsque le peuvent les scientifiques, auprès du grand public, en français et en libre accès, en sollicitant tous les moyens et partenaires de diffusion pertinents à leur portée, contribue également à cultiver l’intérêt des populations pour la science et l’éducation numérique.
Pour ce faire, il faut miser sur trois axes stratégiques ciblant des zones d’impact et d’action à privilégier pour réduire ces inégalités : 1) l’éducation numérique à l’école et la formation continue pour renforcer la littératie numérique ; 2) la démocratisation des ressources humaines et matérielles pour un meilleur accès à l’innovation ; 3) la diffusion des savoirs et du fruit de la recherche. Plusieurs exemples d’initiatives s’intégrant dans cette démarche sont relevés dans ce premier numéro du magazine LES CONNECTEURS.
C’est ainsi que l’on pourra préparer les générations actuelles et futures aux réalités inhérentes de cette société en mutation, et apprendre aux populations à faire face aux grandes transformations engendrées par les technologies disruptives, afin qu’elles se sentent parties prenantes du mouvement.