Dans le domaine de la santé des athlètes, l’innovation technologique et l’esprit d’ingénierie redéfinissent les normes de performance et de bien-être. Chaque mouvement, chaque effort se veut à la fois comporter des risques, et représenter une opportunité pour repousser ses limites et mieux s’épanouir, grâce au progrès de la science et aux dernières avancées technologiques. Dans ce premier reportage du dossier propulsé par Genium360 consacré au génie dans le sport, CScience vous emmène dans l’univers fascinant des technologies innovantes dédiées à la santé des sportifs, issues du savoir-faire québécois, que ce soit à des fins de prévention, de guérison ou pour favoriser une meilleure qualité de vie sur le long terme.
Lorsque l’innovation en génie s’arrime avec les objectifs du milieu sportif, tout en s’alliant d’un bassin multidisciplinaire de professionnels, elle mène au déploiement de solutions de pointe et sur mesure, qui révolutionnent la manière dont les athlètes se maintiennent au sommet de leur forme physique, sinon vivent au quotidien. CScience en relève plusieurs exemples, engendrés par des ingénieurs, chercheurs et professionnels de la santé québécois, qui profitent aux sportifs et para-athlètes de tous horizons.
1. Prévoir et prévenir les blessures
Miser sur l’interdisciplinarité pour mieux innover en matière de prévention
Dans une émission C+Clair produite en partenariat avec Genium360, la chirurgienne orthopédiste Marie-Lyne Nault, également chercheuse au CHU Sainte-Justine, soutient que « La prévention des blessures est ce sur quoi l’on devrait se focaliser, avant même de parler de guérison. Malheureusement, dans notre système actuel, la prévention passe souvent en deuxième, alors qu’on sait qu’il y a des programmes efficaces, comme ceux de la prévention des déchirures de ligaments croisés, par exemple. » Elle estime que ces programmes ont fait leurs preuves, « mais sont très longs à implanter ».
« La prévention des blessures est ce sur quoi l’on devrait se focaliser, avant même de parler de guérison. Malheureusement, dans notre système actuel, la prévention passe souvent en deuxième (…) »
– Marie-Lyne Nault, clinicienne-chercheuse au CHU Sainte-Justine
Avec Maxime Laoun, athlète olympique de patinage de vitesse sur courte piste et autre invité de l’émission, la Dre Nault en profite pour faire valoir l’importance pour les innovateurs et ingénieurs de miser sur l’interdisciplinarité et la collaboration avec des professionnels tels que les physiothérapeutes, ainsi que l’ensemble des intervenants qui suivent et soignent les athlètes.
« La collaboration est cruciale, parce que si l’on reste dans son coin de domaine, on ne va nulle part », souligne celle qui travaille étroitement avec des ingénieurs, tantôt issus du domaine biomédical, tantôt spécialisés dans les sols et les ultrasons pour développer des technologies adaptées au corps humain. « En tant que chirurgienne orthopédiste, même en ayant identifié plein de besoins, je ne peux aller très loin dans le développement de technologies. J’ai donc besoin d’ingénieurs qui le feront, mais en répondant à mes besoins sinon à ceux de mes athlètes. » Elle salue le fait de pouvoir compter sur l’Institut TransMedTech pour favoriser ce genre de collaboration au sein de son milieu, par la mise en relation de différents professionnels qui ont des problématiques à résoudre, afin de mettre en commun leurs expertises. « C’est ainsi que j’ai pu faire la rencontre d’ingénieurs avec lesquels j’entretiens une belle complicité ! », d’illustrer la clinicienne-chercheuse.
Simuler pour dérisquer
Dans leur rapport d’étude de 2021 sur l’évaluation de la performance neuromusculaire et du risque de blessure, des chercheurs et professeurs de l’École de technologie supérieure (ÉTS) et d’iKinesia Canada rappellent que « Les athlètes comptent sur les décisions rationnelles des entraîneurs et des médecins du sport pour optimiser leurs performances, améliorer leur bien-être et réduire les risques de blessures. Ces décisions sont subjectives ou nécessitent des tests coûteux, qui ne prédisent pas nécessairement la performance en jeu ou ne peuvent pas prédire le risque de se blesser. »
« Les athlètes comptent sur les décisions rationnelles des entraîneurs et des médecins du sport pour (…) réduire les risques de blessures. Ces décisions sont subjectives ou nécessitent des tests coûteux, qui ne prédisent pas nécessairement la performance en jeu ou ne peuvent pas prédire le risque de se se blesser. »
– Chercheurs de l’École de technologie supérieure et d’iKinesia Canada
Misant sur une approche qui vise justement à pallier ce problème, l’équipe de recherche recommande l’analyse avancée de signaux physiologiques, à partir de capteurs discrets que peuvent porter les athlètes lorsqu’ils réalisent des tâches dans des conditions très similaires à celles observées sur le terrain, que ce soit lors de leur entraînement ou même pendant un match.
« Les méthodes d’analyse requises comprennent le traitement des signaux physiologiques, l’extraction de caractéristiques et des techniques de modélisation basées sur les données pour estimer les propriétés neuromusculaires, identifier la raideur articulaire et des jambes, et évaluer les performances cognitives à partir de la pupillométrie et de la variabilité de la fréquence cardiaque. »
Dans cette optique, avoir recours à la simulation numérique, combinant intelligence artificielle et réalité virtuelle, permet notamment de placer l’athlète en contexte de performance, au sein d’une reproduction virtuelle sans danger, et d’analyser sa réponse biomécanique, en vue de faire des projections de façon sécuritaire. Des mesures propres à la manière dont son corps est stimulé et réagit sont alors prises grâce à des capteurs corporels, alors que l’utilisateur est en mouvement et perçoit l’environnement dans lequel il se projète et avec lequel il doit interagir, grâce à un casque de VR.
L’Institut national du sport (INS) du Québec s’illustre depuis des années dans le développement de modèles prédictifs de blessures chez les athlètes de haute performance, ayant recours à des algorithmes pour traiter des données dans des disciplines comme le patinage de vitesse courte piste et la boxe. En considérant le type d’entraînement et le niveau de stress ou de fatigue, le modèle permet de générer un indice de probabilité de blessures quant à l’activité projetée.
En collaboration avec l’ÉTS et IVADO, l’INS a d’ailleurs développé tout un programme de préparation aux Jeux de Paris de 2024 pour les athlètes, qui repose sur un simulateur de boxe en VR, auquel ont été intégrés des systèmes d’IA et d’apprentissage profond pour simuler les lieux de compétition de Paris de la manière la plus réaliste possible, et entraîner les boxeurs dans les conditions les plus fidèles à celles attendues, sans qu’ils ne courent le risque de se blesser.
2. Soigner les blessures courantes
Mais malgré tous les efforts et la bonne volonté insufflés par le désir de prévenir plutôt que guérir, les accidents sont hélas impossibles à éviter…
Au chapitre des lésions sportives les plus communes et dangereuses, toutes disciplines confondues, on compte la commotion cérébrale, subie par 20 à 40 % des athlètes, selon l’Association des neuropsychologues du Québec (AQNP). Ses symptômes passant souvent inaperçus, les cas en sont difficiles à recenser avec précision.
La commotion cérébrale touche 20 à 40 % des athlètes
– Association des neuropsychologues du Québec
Intéressant de nombreux chercheurs au Québec, la commotion cérébrale fait heureusement l’objet de plusieurs travaux menés par des ingénieurs et professionnels de la santé ayant conduit au développement de solutions technologiques de pointe, testées par des athlètes de haute performance, et en voie d’être démocratisées auprès d’une clientèle moins ciblée.
Pensons aux méthodes de réhabilitation de David Tinjust, docteur en neurosciences et spécialiste de l’entraînement cognitif, comme l’innovation « Apexk », qui permet aux athlètes de recouvrer leurs capacités visuo-cognitives, en analysant leurs réactions à des signaux. Pour ce faire, l’athlète doit faire face à un écran, autour duquel huit branches placées en étoile peuvent s’illuminer. Il y voit apparaître des symboles, qu’il interprète comme des consignes pour exécuter des mouvements. Des rapports relatifs à sa performance et ses réflexes sont ensuite générés afin d’orienter l’entraînement cérébral et l’amener à s’améliorer d’une séance à l’autre.
D’autres projets de recherche, comme celui d’Aleo VR, visent à permettre de détecter les signes d’une commotion cérébrale en soumettant les patients à des exercices, jeux et évaluations, auxquels ils prennent part en portant un casque de réalité virtuelle, puisque le fait de réunir des conditions comme la perception tridimentionnelle et l’incitation au mouvement spécifique peut s’avérer plus concluant qu’un test médical traditionnel.
3. Améliorer le quotidien de tous les athlètes sur le long terme
Aider les sportifs de tous les milieux, profils et niveaux à mieux s’outiller pour composer avec les réalités propres à leur santé et conditions physiques implique aussi de développer des solutions innovantes et inclusives, destinées, par exemple, à des personnes à mobilité réduite, pour les aider à maintenir un niveau d’activité physique satisfaisant, des sportifs amputés d’un membre, ou des para-athlètes se déplaçant en chaise roulante, par exemple.
Ethnocare, une entreprise de technologies médicales basée à Québec et Montréal, développe justement des produits prothétiques de prochaine génération, pour permettre aux personnes amputées d’atteindre leur plein potentiel et d’être significativement plus actives et mobiles au quotidien.
« L’un des premiers produits que l’on a mis sur le marché, le Overlay, est une nouvelle interface, qui permet aux prothèses de s’adapter aux besoins des utilisateurs, ce qui en fait des prothèses évolutives en fonction des besoins des usagers », explique le co-fondateur d’Ethnocare, Marc-Antoine Malouin, qui mise sur l’approche d’innovation centrée sur les besoins de la clientèle ciblée, et sur un processus de recherche et développement collaboratif qui intègre ces réalités dès la première étape de conceptualisation.
Le professeur et chercheur du CRCHUM, Rachid Aissaoui, et ses étudiants du Département de génie des systèmes à l’ÉTS, ont quant à eux développé un simulateur haptique qui permet à une personne de simuler la propulsion manuelle de son fauteuil roulant, tout en restant physiquement sur place, mais en ayant la sensation d’être mobile dans le métavers, avec pour objectif de lui apprendre à mieux se déplacer et s’entraîner à le faire.
« Contrairement à la vraie propulsion, où la personne se déplace dans la vraie vie avec son fauteuil roulant, ici, elle est statique, sur ce dispositif (…) On va mettre la personne dans une scène virtuelle, et cette scène peut être un couloir, une forêt ou un parc », décrit M. Aissaoui, qui compare l’innovation à « un simulateur de vol ».
4. Quoi rêver pour l’innovation future ?
On peut aisément imaginer qu’une telle solution inspirera un jour la simulation d’entraînements et de matchs pour les para-athlètes, ou encore pour les sportifs amateurs devant s’adapter à une nouvelle réalité à la suite d’un accident ou de la déclaration d’une nouvelle condition de santé ayant réduit leur mobilité.
Pour les personnes qui subiront une amputation, on espère que l’approche de la cartographie des nerfs, qui fait actuellement l’objet de plusieurs avancées technologiques et de recherche, sera de plus en plus répandue et démocratisée, puisqu’elle permet déjà, dans une minorité de cas, de couper des nerfs chez la personne à amputer, de sorte à ce qu’une éventuelle prothèse robotique puisse s’y connecter pour en capter la contraction musculaire et redonner le membre au patient, ce qui en diminue la douleur post-opératoire, communément appelée « douleur fantôme ».
La santé mentale
Mais qu’en est-il du suivi psychologique des athlètes ? Une bonne préparation mentale ainsi que le maintien d’un bon moral étant essentiels aux sportifs et au dépassement des obstacles qui pourraient se dresser sur leur chemin, il incombe aussi de se pencher sur des solutions qui permettraient d’en faire le suivi psychologique, et d’y adapter leur routine.
Pensons aux innovations de l’entreprise québécoise RE-AK Technologies, qui développe des solutions combinant l’intelligence artificielle et la biométrie avancée. Ses outils révolutionnent déjà l’industrie du divertissement et de l’expérientiel, en offrant la possibilité de connaître avec précision les émotions de leurs utilisateurs. En constant perfectionnement, les accessoires et outils de l’entreprise, incluant bandeau, bracelet, lunettes et caméra pour recueillir l’information et détecter les ressentis, offrent une vision nette de l’état émotionnel des utilisateurs.
« RE-AK Technologies se spécialise dans l’analyse émotionnelle et cognitive. Nous sommes des experts de la mesure de l’état d’esprit des gens. Il y un nombre fini d’états d’esprit dans lesquels nous pouvons être, mais qui implique tout de même beaucoup de subtilités et de complexité. Les technologies que nous développons permettent de mesurer ces états d’esprit de manière passive, soit sans les caméras, ou avec. Nous tendons vers une solution sans caméra car nous pensons que ce sera plus universel en termes d’acceptabilité sociale », d’expliquer, en entrevue avec CScience, Frédéric Simard, PDG de RE-AK Technologies.
En fantasmant le futur de la collecte de données biométriques sur le long terme, on peut imaginer que dans un avenir non lointain, ces technologies pourraient être utilisées dans un contexte sportif, en même temps que les capteurs mesurant la performance physique, afin de connaître l’état d’esprit et les émotions des athlètes, et tenter de comprendre un peu mieux comment ils réagissent psychologiquement aux entraînements et aux efforts physiques, en temps réel, sinon sur une longue période.
Consultez le dossier thématique consacré au génie dans le sport, propulsé par Genium360, pour en savoir davantage sur les retombées de l’innovation technologique pour les athlètes et fans de sports.
Crédit Image à la Une : Montage : Buffik (Pixabay) ; Adamsov (Pixabay) ; Audi Nissen (Unsplash)