L’IA complique la lutte contre le sextage

L’IA complique la lutte contre le sextage

Le Projet Sexto existe depuis 2016. Il permet de prévenir et de lutter contre le phénomène du sextage chez les adolescents du Québec. Mais l’Intelligence artificielle a amplifié ce fléau en permettant de créer de fausses images compromettantes. L’initiative reste-t-elle aussi efficace ?

Le partage d’images intimes, ou sexting, est un problème inquiétant qui sévit dans les écoles secondaires du Québec depuis de nombreuses années. Si le phénomène n’est pas nouveau, la facilité d’accès aux différentes technologies ainsi que l’avènement des réseaux sociaux ont exacerbé le problème du sextage chez les jeunes adolescents à travers la province.

C’est dans ce contexte que le Projet Sexto a pris forme en 2016. Cette initiative du Service de police de la Ville de Saint-Jérôme, en collaboration avec le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), vise à contrer le phénomène grandissant en adoptant une approche éducative et préventive. Bien plus qu’une simple campagne de sensibilisation, il offre également un délai de traitement des cas signalés nettement plus rapide et efficace que le système dit traditionnel.

Mais à l’heure où l’intelligence artificielle prend d’assaut notre société et nos normes, l’approche dudit programme peut-elle faire le poids ? Avant d’y répondre, jetons un coup d’œil général sur la pratique du sextage chez les adolescents au Québec en 2024.

Le sextage chez les jeunes Québécois

La pratique consiste à envoyer du matériel sexuel par texto ou toute autre forme de partage virtuel. Il s’agit d’une activité courante et plutôt banale lorsqu’elle est pratiquée de manière consensuelle et respectueuse. Cependant, la situation se complique lorsqu’il s’agit d’adolescents.

Quand des jeunes de moins de 18 ans se livrent à des actes sexuels explicites, tout le matériel enregistré est automatiquement considéré comme de la pornographie juvénile au sens de la loi. Un facteur souvent négligé par les adolescents, mais dont les conséquences sont considérables.

Selon René Morin, Porte-parole au Centre canadien de la protection de l’enfance (CCPE), la négligence n’est pas l’unique facteur qui amène les jeunes à participer à ce genre de pratique intime. « Les jeunes, particulièrement les adolescents, agissent très souvent de manière spontanée sans nécessairement réfléchir aux conséquences de ce qu’ils font. On sait que le cortex préfrontal ne va pas atteindre sa pleine maturité, chez certaines personnes, avant l’âge de 25 ans. C’est vraiment la partie du cerveau qui nous amène à réfléchir avant d’agir. »

La plateforme cyberaide.ca, un programme du CCPE, reçoit entre 1 500 et 2 000 signalements de sextage par année au Québec. « Une tendance qui perdure (…) Et nous n’avons pas la prétention de recevoir tous les cas », souligne-t-il.

« Il y a de la sensibilisation à faire auprès des jeunes et leur entourage en matière de lois concernant la pornographie juvénile et la diffusion de matériel intime. »

–  René Morin, Porte-parole au Centre canadien de la protection de l’enfance (CCPE)

Le procédurier

Le Projet Sexto devait à l’origine être un encadrement réservé à la région de Saint-Jérôme. Il est aujourd’hui déployé dans 450 écoles secondaires à travers le Québec. À Montréal, 130 écoles sur 171 ont implanté le programme depuis janvier 2024.

Maitre Maxime Ouellette, membre fondateur du Projet Sexto et procureur de la couronne au DPCP, précise que l’initiative a été en mesure de traiter 1 521 dossiers depuis 2016, ce qui représente plus de 5 050 adolescents québécois. La clé du succès du Projet Sexto, selon lui, est le partenariat entre le DPCP, les écoles secondaires et les services de police. D’ailleurs, le programme est actuellement appliqué dans 25 services de police municipaux, dont le SPVM, ainsi que dans un service de police autochtone.

Mais ce qui distingue le projet des autres initiatives de sensibilisation, c’est son processus de triage qui permet de traiter plus facilement et adéquatement les cas signalés. « La trousse Sexto est un procédurier composé de 24 questions, indique le juriste. L’école l’applique, puis rencontre les jeunes concernés pour les rassurer, mais aussi pour comprendre comment s’est amorcé le partage d’images intimes. Ensuite, il s’agit de déterminer si les images correspondent à de la pornographie juvénile.  Il revient à l’école de décider de poursuivre ou non le reste du protocole ». Dans certains cas graves la police prend en charge l’affaire, une enquête formelle suit et toutes les informations recueillies sont soumises à un procureur de la Couronne.

Cette procédure permet au DPCP de déterminer si le partage d’images intimes est un acte impulsif ou malveillant. « C’est-là la grande différence à faire selon les cas », souligne-t-il.

Près de 60 % des signalements sont de nature impulsive et sont traités en quatre jours. D’ailleurs, six procureurs de la couronne du bureau des affaires de la jeunesse se consacrent entièrement à Sexto. La démarche semble être fonctionnelle puisque le taux de récidive est de moins de 3 %.

« Mais depuis 2016, je ne sens pas que le phénomène du sextage s’essouffle », ajoute Me Ouellette. « L’un des enjeux majeurs est de renouveler l’information concernant le sextage et d’offrir un soutien aux écoles ainsi qu’aux services de police ». Ceci est d’autant plus vrai depuis l’essor fulgurant de l’intelligence artificielle au cours de la dernière année .

Le facteur IA

L’intelligence artificielle a révolutionné notre société, pour le meilleur comme pour le pire. En ce qui concerne le phénomène du sextage, L’IA est devenu un facteur important et quelque peu menaçant.

« La plateforme cyberaide.ca a reçu près de 4 000 signalements de photos pornographiques truquées au cours des 12 derniers mois au Canada. »

–  René Morin

Mais même si l’hypertrucage complique les choses et élargit le problème, Me Ouellette estime que la procédure de Sexto reste adéquate, puisqu’elle permet d’analyser l’intention derrière le partage, et donc d’aborder le problème de façon appropriée et constructive.  « Le contexte est très important. S’agit-il de tous les cas liés à l’IA que nous soumettons à une enquête ? Pas nécessairement, car nous analysons la situation individuellement. Et dans certains cas, on peut considérer qu’il s’agit d’un acte d’impulsivité. Il s’agit donc d’analyser chaque élément du dossier. »

«  Les images générées par l’IA, nous en voyons de plus en plus passer. »

– Me Maxime Ouellette, membre fondateur du Projet Sexto

Il rappelle que l’objectif est de minimiser les dommages causés par le partage de photos intimes, et surtout de sensibiliser les adolescents aux réalités du sextage chez les mineurs. « Nous voulons aider nos jeunes et c’est vraiment le but de Sexto », conclut-il.

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Crédit Image à la Une : FreePik