Au cœur de l’essor de l’IA, des voix s’élèvent pour rappeler l’importance de la réflexion stratégique et éthique. Alors que les entreprises se tournent vers l’IA pour accroître leur efficacité et leur productivité, des questions cruciales émergent sur la nécessité de bien comprendre les implications et de mettre en place des pratiques responsables dès maintenant.
Selon le rapport Now decides next: Insights from the leading edge of generative, de Deloitte, 62 % des dirigeants d’entreprise « ont indiqué que l’enthousiasme était l’un des principaux sentiments en ce qui concerne l’IA générative », l’incertitude étant présente chez 30 % des dirigeants sondés. Ceux-ci constatent l’imminence des changements amenés par l’IA ; 48 % des répondants croient que l’IA transformera leur organisation d’ici un à trois ans.
« Ce n’est pas pour rien que les gens utilisent l’IAG, c’est parce que ça donne des super-pouvoirs. En fait, les sondages démontrent que (l’utilisation de l’IAG économise) environ trois heures par semaine. Non seulement on devient plus productifs, mais on se retrouve à générer plus de qualité dans ce qu’on développe », explique Olivier Blais, cofondateur de MoovAi, dans le cadre de la conférence l’IA en Affaires du 13 mars dernier. M. Blais rappelle également que, selon le dernier sondage de KPMG au Canada sur l’adoption de l’IAG, près d’un employé sur quatre utilise l’IAG dans le cadre de ses fonctions.
« Le danger, en ce moment, c’est de voir une montagne. Cela n’en est pas une, et aujourd’hui, on n’a pas le choix d’avoir un pied dedans. Si vous ne le faites pas, votre compétiteur, lui, est en train de le faire, de se poser des questions sur l’IA. C’est le propre de n’importe quelle innovation », insiste Mike Cloutier, directeur des données et de l’IA chez Moov AI.
Pour le développement en entreprise d’une IA responsable, gage de succès pour développer des solutions de haute qualité, M. Blais invite les entrepreneurs à considérer les points suivants : la création de politiques internes, la gouvernance de leurs données, la formation donnée à l’équipe, l’analyse des impacts, la gestion des risques, la validité des solutions mises de l’avant ou la surveillance.
Mener une réflexion sur l’IA en entreprise
L’engouement pour l’IA attire des entrepreneurs impatients de toucher aux retombées de l’IA, mais différents conférenciers lors de l’événement l’IA en affaires rappelle l’importance de bien réfléchir au projet à développer, de penser au « pourquoi » de celui-ci. « C’est la toute première chose à laquelle réfléchir avant même de penser au volet technique. C’est important de comprendre ce qu’on essaie réellement d’accomplir au niveau affaires, (et) de cibler le problème qu’on tente de régler », lance Tarek Ben Rhouma, directeur principal de la valorisation des données au Mouvement Desjardins.
Patrick Morin, directeur innovation numérique chez Groupe Canam, demande aux dirigeants de regarder au-delà des barrières préalablement connues : « Il y a des problèmes qu’on connait aujourd’hui qui sont acceptés comme normaux. L’IA amène une nouvelle profondeur ». Il souligne que la désirabilité d’un projet est à considérer sur différents pans, auprès de l’exécutif, des équipes ou encore des clients.
Pour mener une réflexion adéquate, Anne Nguyen, directrice de l’intelligence artificielle au Conseil de l’innovation du Québec, recommande de s’entourer d’experts en IA, qui peuvent contribuer au développement d’un projet propre à l’ADN d’une entreprise. Au Québec, les incubateurs et accélérateurs en IA sont nombreux, et différents sites les regroupant sont mis à la disposition des entreprises.
Les 3 assises nécessaires pour l’adoption de l’IA
Mme Nguyen énumère trois piliers essentiels pour l’adoption de l’IA en entreprise : les fondations (l’architecture sur laquelle l’IA est montée), le fonctionnel (le produit, réfléchi, fonctionnel et compréhensible, que les gens vont recevoir entre leurs mains) et le culturel (la possession d’assises organisationnelles pour aller de l’avant ; une bonne gestion de risques et culture de l’innovation et du changement centré sur l’humain).
Pour la création de bonnes fondations, Mike Cloutier conseille la mise en place d’un « chef de l’IA », soit un exécutif responsable de la vision, de la stratégie, mais aussi de l’architecture de l’IA. « Le plus gros investissement c’est l’architecture, (se demander) comment être certain d’avoir une architecture qui est pertinente hier, aujourd’hui et demain ? Au minimum, on parle d’une gouvernance de données, d’une vision souvent infonuagique, d’une stratégie IA dans son ensemble », explique le directeur des données et de l’IA de chez Moov AI.
« La gestion du changement est une planification centrée sur l’humain. Elle doit être accompagnée de bonnes valeurs et mesures de performance, parce que ce sont ces indicateurs qui peuvent nous permettre de garder le vrai Nord. »
– Anne Nguyen, directrice de l’intelligence artificielle au Conseil de l’innovation du Québec
Mais ce chef ne peut à lui-même assurer une bonne adoption de l’IA, la culture d’entreprise, notamment quant à la gestion de changement, devant être faite au préalable : « Il a une grande importance à ne pas oublier la gestion du changement, et surtout, à ne pas laisser cela à la fin d’un projet, à la mise en production de la solution. (Elle) doit faire partie des premières questions posées », itère Tarek Ben Rhouma.
Mme Nguyen espère voir des indicateurs autres que la productivité et les gains monétaires. Elle encourage à considérer l’augmentation de la littératie en IA des employés, la libération des employés de leurs tâches fastidieuses, l’augmentation de projets innovateurs et bienveillants grâce à l’automatisation comme des indicateurs pertinents de la performance d’une solution d’IA.
Entraide et bien commun
Dans cette vision d’IA au service du bien commun vient le besoin de favoriser l’innovation collaborative et commune. « Il faut que les organisations s’allient face à l’inconnu. C’est ce qui fait notre écosystème d’IA. Dans un changement si grand dans une culture sociétale, on doit amener tout le monde au même niveau. C’est une couche égalisatrice pour qu’on puisse tous aller plus loin ensemble », enchérit la directrice de l’intelligence artificielle au Conseil de l’innovation du Québec.
Une innovation plus sélective, au profit de l’avenir durable
Même si un certain enthousiasme se fait sentir quant à l’avènement de l’IA, une forte peur et une méconnaissance liées aux potentiels de cette technologie demeurent alors que, rappelons-le, plus du quart des Canadiens affirment avoir des compétences étant faibles ou nulles en la matière.
Cependant, des organismes comme Alloprof voient l’IA comme un outil pour le bien commun et pour la réussite scolaire des jeunes. L’organisme travaille actuellement en collaboration avec MoovAi et Google Cloud afin de développer Dialogflow, un agent conversationnel capable de répondre aux questions d’un élève avec des sources et de le diriger vers les sections du site pouvant l’aider à comprendre une matière difficile.
Comme l’énonce Jean-François Pilon, directeur des technologies, produits et agilité chez Alloprof, « l’IA contribue concrètement à la réussite des jeunes, parce que l’agent conversationnel permet à l’élève de poser une question quand il le veut, autant de fois qu’il le veut, et sans gêne. C’est un canal de communication et d’apprentissage supplémentaire ». Stéphanie Luna, conseillère stratégique chez Moov AI, précise que « ce que l’on veut, c’est prendre l’IA, l’adapter et l’adopter au sein même de nos moyens pour répondre aux questions des élèves. C’est de modéliser le tout pour vraiment faire un changement dans la société. »
En guise de conclusion à sa conférence, Mike Cloutier appelle lui aussi au développement d’une IA aux retombées positives pour la société dans son ensemble. « Ce n’est pas difficile de réaliser que la société peut l’échapper très facilement avec l’IA. Croyons à une IA qui bénéficie à la société, (à notre capacité) de mettre l’IA sur le droit chemin. »
Crédit Image à la Une : Roxanne Lachapelle