La Cour d’appel du Québec a publié le 8 août 2024 un avis concernant le recours à l’intelligence artificielle, dans lequel elle « invite les plaideurs à faire preuve de prudence lorsqu’ils utilisent des sources juridiques ou des analyses réalisées avec l’aide de l’intelligence artificielle dans le cadre de leurs observations écrites ou orales ».
« L’intelligence artificielle est un outil puissant dont la disponibilité accrue est susceptible de faciliter le travail du plaideur. Toutefois, il n’est pas infaillible et, lorsqu’il sert à des fins de recherche ou de préparation d’un document pour la Cour d’appel, doit être utilisé avec rigueur et dans le respect des principes suivants », amène l’instance dans le document.
La fiabilité et l’intervention humaine
La Cour d’appel insiste sur l’obligation de se baser sur des textes provenant de sources fiables, comme les sites des tribunaux ou d’éditeurs connus, pour éviter les risques liés à l’utilisation de l’IA dans la fabrication de sources juridiques. La directive de la juge en chef impose que la liste des sources inclue des hyperliens vers des sites reconnus et accessibles gratuitement.
Elle rappelle que le plaideur est responsable de la véracité de ses observations, qu’elles soient issues de l’IA ou non. Il doit ainsi vérifier les informations fournies et les recouper avec des sources fiables pour garantir l’intégrité du système de justice.
Une présence accrue de l’IA dans le système juridique
Cette mise en garde fait suite aux inquiétudes et questions soulevées dans la dernière année, l’adhésion du milieu juridique aux applications d’IA se voulant de plus en plus forte, dans la province comme dans le reste du monde.
44 % des tâches du secteur légal seront automatisées par l’IA
– banque d’investissement Goldman Sachs
L’innovation dans le secteur engendre notamment des débats d’éthique quant aux biais culturels et préjugés sur lesquels pourraient se fonder les résultats obtenus avec l’IA, puisque les bases de données à partir desquelles se construisent leurs modèles sont presque toujours porteuses de biais issus de la littérature humaine, et parfois trop homogènes. Un rapport de janvier 2024 publié par l’Observatoire international sur les impacts sociétaux de l’IA et du numérique (Obvia) souligne justement que « Le fait que les modèles d’IA générative tendent à générer du contenu similaire à leurs données d’entraînement comporte le risque de réduire la diversité des idées qui sont présentées aux étudiants, par exemple, en privilégiant des perspectives dominantes au détriment de voix plus marginales ».
Parmi ces outils, on compte ChatGPT, parfois sollicité pour assister dans la rédaction de lois et règlements. Pensons notamment au conseiller municipal de la ville de Porto Alegre au Brésil, Ramiro Rosário, qui a demandé à l’agent conversationnel d’élaborer une proposition de règlement visant à empêcher la Ville de facturer aux contribuables le remplacement des compteurs de consommation d’eau en cas de vol.
Quand l’IA fait la loi : le paradoxe de l’œuf et de la poule
Selon la banque d’investissement Goldman Sachs, 44 % des tâches du secteur légal seront automatisées par l’IA, et peuvent déjà l’être. L’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), ainsi que plusieurs institutions, mentionnent les services juridiques comme étant LE domaine où les emplois seraient les plus menacés par l’IA. De plus en plus utilisés par les cabinets d’avocats, sinon la population, en Europe comme en Amérique, les agents conversationnels et autres outils d’automatisation révolutionnent la manière de trouver des ressources et des cas de jurisprudence, en parcourant les bases de données et la littérature, mais aussi d’obtenir des conseils juridiques à moindre coût.
Le site « DoNotPay », lancé par le britannique Joshua Browder il y a quelques années déjà, en est un autre exemple. Ce service juridique en ligne et un chatbot que l’on décrit comme un « robot avocat ». La plateforme utiliserait l’IA pour contester les amendes de stationnement et fournir divers autres services juridiques, comme de lancer des procédures et poursuites, moyennant un coût d’abonnement de 36 $ tous les deux mois. Actuellement offert en Angleterre et dans les 50 États des États-Unis, le service génère des avis mitigés.
Crédit Image à la Une : Gauche : Édifice Ernest-Cormier – Cour d’appel du Québec (réseaux sociaux). Droite : image générée avec Microsoft Designer (IA)