Intégrer la sobriété numérique dans les formations au Québec

Intégrer la sobriété numérique dans les formations au Québec

Si la sobriété numérique rentre peu à peu dans les mœurs, elle semble pourtant prendre du temps à poser ses marques dans le monde académique et industriel. Comment les acteurs mobilisés sur la question au Québec parviennent-ils à sensibiliser et éduquer la population quant à ces enjeux ?

Initier les entreprises en éco-conception numérique

Plusieurs initiatives d’acteurs engagés voient progressivement le jour pour sensibiliser la population à l’impact environnemental de ses activités numériques.

Daria Marchenko, étudiante en doctorat, a mis au point Ecoist Club, une application ayant pour vocation de mesurer les impacts énergivores des entreprises et de les encourager à adopter des pratiques éco-responsables dans le cadre de leur activité numérique.

Selon la fondatrice d’Ecoist Club, il y a toute une variété de parcours et de pratiques qui diffèrent en fonction des entreprises. Plusieurs algorithmes ont ainsi été mis en place pour proposer des informations personnalisées afin de répondre aux différentes variables qui existent.

Elle soutient par ailleurs que le calculateur empreinte carbone lancé dans le cadre du projet, a contribué à sensibiliser les entreprises sur leur pollution numérique, et ainsi ouvrir leur réflexion quant à la façon de faire un site Web écoresponsable.

Cependant, de nombreuses interrogations surprennent les entreprises lorsque l’on aborde l’éco-conception numérique dans leur activité, comme le souligne Daria Marchenko.

« (Les entreprises) veulent-elles ouvertement impliquer leurs clients dans la démarche du numérique responsable? »

– Daria Marchenko, fondatrice d’Ecoist Club

« Il y a des entreprises qui sont sensibilisées et qui s’interrogent quant à la pollution numérique. Elles savent ce qu’est la sobriété numérique et sont conscientes de l’impact de leur activité en ligne. Mais veulent-elles ouvertement impliquer leurs clients dans la démarche du numérique responsable? C’est la question à se poser. »

Les défis pour sensibiliser et agir

Malgré les options qui existent pour parvenir à bâtir un site web écoresponsable, la fondatrice d’Ecoist Club évoque la réticence des entreprises, peur d’être accusées de « Greenwashing ». D’après la répondante, les entreprises, ne se sentant pas expertes dans le domaine, craignent de manquer de crédibilité en minimisant leur site pour réduire l’impact environnemental.

Note : Le « greenwashing », ou « éco-blanchiment », est une méthode de marketing consistant à communiquer auprès du public en utilisant l’argument écologique de manière trompeuse pour améliorer son image.

Pourtant, Daria Marchenko affirme que des options plus économiques sont facilement à la portée des petites entreprises pour maintenir une activité numérique responsable, sans que cela affecte négativement leur gain. Elle souligne la notion de « référencement naturel », qui consiste à référencer et ramener le trafic sur un site Web grâce aux mots-clés mis de l’avant par Google. Une solution qu’elle indique comme étant à la fois plus écologique et économique, puisqu’elle est gratuite, à l’inverse de Google Ads (service de référencement payant développé par Google), souvent utilisé par les entreprises.

« C’est comme un jeu de stratégie où l’on bouge des pions dans des sens différents, puis voit ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. »

– Daria Marchenko, fondatrice d’Ecoist Club

Le problème central, selon la fondatrice du projet, est le manque de discours visant à sensibiliser la société et banaliser ces pratiques pour éviter d’en faire un sujet tabou. Afin de mettre ces enjeux au cœur des préoccupations sociales, elle s’investit dans des mini-projets, en collaboration avec le milieu académique, pour informer les étudiants quant à ces impacts. « C’est comme un jeu de stratégie où l’on bouge des pions dans des sens différents, puis voit ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. »

La fresque du numérique, notamment utilisée par Sylvain Amoros, professeur associé au département de marketing à HEC, apparaît selon elle comme un outil essentiel dans le parcours des étudiants, pour partager des connaissances et sensibiliser aux diverses problématiques relatives au changement climatique, à la mobilité durable ou encore à l’économie circulaire.

Mobiliser les connaissances en sobriété numérique dans le milieu académique

Martin Deron, responsable du défi numérique de Chemins de transition (projet de l’Université de Montréal et d’Espace pour la vie), et doctorant à l’Université Concordia, a récemment rassemblé des experts en sobriété numérique pour construire un programme universitaire autour de la question à l’Université de Montréal.

« Comment faire le lien entre le développement des pratiques de la sobriété numérique avec un meilleur respect de la vie privée? »

– Martin Deron, formateur en numérique écoresponsable à l’Université de Montréal, et responsable du défi numérique de Chemins de transition

Il dénote également une réticence de la part de certains programmes en informatique, ainsi qu’un manque de cet enseignement dans les cursus dû à la surcharge de travail des professeurs, et au fait que la demande ne soit pas assez marquée pour intégrer la sobriété numérique dans les formations.

L’initiative de son programme a ainsi pour objectif d’éviter de multiplier les interventions dans plusieurs domaines, en créant un cursus permettant de se familiariser à la mise en place des changements liés à la sobriété numérique. Selon le doctorant, le défi ne réside pas dans le fait d’amener ces compétences, mais dans celui d’intégrer la sobriété numérique dans des notions que l’on connaît déjà. « Comment faire le lien entre le développement des pratiques d’éco-conception numérique avec un renforcement de la cybersécurité? Comment faire le lien entre le développement des pratiques de la sobriété numérique avec un meilleur respect de la vie privée? »

Une valeur ajoutée dans le marché de l’emploi ?

Bien qu’il y ait encore des lacunes sur le plan académique, Martin Deron est convaincu que la sobriété numérique deviendra bientôt une norme réglementaire au Québec. Il fait notamment référence à l’Europe, qui a déjà adopté quelques réglementations en lien avec la durabilité numérique dans la conception et l’utilisation des technologies au cours des dernières années.

Selon lui, le contexte réglementaire européen pourrait facilement provoquer un effet de mimétisme au Québec, allant jusqu’à normaliser les pratiques de sobriété numérique dans les cursus universitaires.

La maîtrise des compétences en écoresponsabilité numérique pourrait donc certainement constituer une valeur ajoutée dans le parcours professionnel des étudiants qui, selon le formateur de l’UdeM, sont aujourd’hui de plus en plus marqués par la volonté d’intégrer des cursus proches de leurs valeurs.

Il soutient notamment qu’avec le temps, les jeunes professionnels pourraient avoir des attentes vis-à-vis de leur employeur en termes de justice sociale et environnementale. Ces compétences peuvent également apparaître comme un atout pour les entreprises, permettant aux jeunes professionnels de les positionner comme pionniers relativement à ces enjeux.

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