Les inégalités de genre se reflètent dans les domaines technologiques, alors que les femmes y sont encore sous-représentées, tendant souvent à s’exclure de ce domaine. La fracture numérique affectant les femmes serait en fait calquée sur la fracture sociale.
Pour lire la version animée et interactive de cet article dans le magazine LES CONNECTEURS :
C’est ce qu’avance Amina Yagoubi, docteure en sociologie et auteure du livre blanc La fracture numérique genrée, rédigé en collaboration avec la Chaire de recherche du Canada sur l’équité numérique en éducation (UQAM) et le Printemps numérique.
Mme Yagoubi considère que le faible intérêt des femmes pour la technologie est le reflet partiel des divisions sociétales de rôles, de carrières et de salaires entre les hommes et les femmes.
« Les technologies, c’est un domaine où il y a du pouvoir, du développement important de carrière, des salaires parmi les plus élevés (…) Les femmes ne vont pas là et ne sont pas ‘invitées’ à y aller », indique Mme Yagoubi en entrevue.
« (…) les femmes ne représentent que 18 % de la population étudiante de l’École des technologies et des sciences (ÉTS), alors qu’elle vise un taux de 30% d’ici 2030. »
Même si la tendance s’améliore, les femmes se dirigent encore peu vers des carrières et des programmes liés aux technologies et aux sciences. Par exemple, les femmes ne représentent que 18 % de la population étudiante de l’École des technologies et des sciences (ÉTS), alors qu’elle vise un taux de 30% d’ici 2030.
Les raisons « plurielles » de leur absence
Pour plusieurs femmes, s’exclure du monde de la technologie et d’Internet est aussi un choix fait par souci de sécurité. Selon Statistique Canada, près d’une Canadienne sur cinq dit être victime de harcèlement en ligne. Ce risque est accru si elles sont âgées entre 15 et 24 ans (33%), si elles sont autochtones (30%), ou si elles sont bisexuelles (50%), selon des chiffres du Gouvernement du Canada.
À travers le monde, l’accès à la technologie est inégal et se creuse depuis la pandémie : 63 % des femmes ont accès à Internet, contre 69 % des hommes. Cette disparité est particulièrement prononcée chez les femmes dont l’âge, le statut socio-économique, le handicap et la race les placent en situation de vulnérabilité accentuée, souligne l’ONU Femmes.
Mme Yagoubi estime que la charge mentale des femmes explique en partie leur absence marquée dans le monde des technologies. Puisque le fardeau domestique repose souvent sur leurs épaules plutôt que sur celles des hommes, il devient plus décourageant pour elles de s’intéresser à des champs d’intérêt considérés comme complexes ou comme plus adéquats pour les hommes.
S’ajoute à cela, selon ONU Femmes, la « sous-représentation dans la création, l’utilisation et la réglementation des technologies », qui décourage des femmes d’aller vers un milieu où elles sont peu ou mal représentées.
En 2021, une recherche du Center for Equity, Gender and Leadership montrait que sur 133 systèmes d’IA étudiés, 44% d’entre eux montraient des biais genrés qui ont des effets sur les femmes de différentes manières. L’IA donnerait un service de plus basse qualité à une utilisatrice, renforcerait des stéréotypes sur les femmes et présenterait des risques pour leur santé et sécurité physique, relève l’étude. Seulement 22% des professionnels en IA seraient des femmes, rapporte le World Economic Forum.
Quelle que soit la raison qui les pousse à s’éloigner du monde des technologies, l’absence des femmes fait en sorte « qu’elles (soient) en retard et qu’elles ne (puissent) pas se positionner dans des métiers et des innovations d’avenir. Donc, la moitié de la société, composée de femmes, ne va pas être représentée », déplore la doctorante.
En quête de solutions
« L’enjeu, c’est l’éducation. Je pense que le rôle des organismes intermédiaires qui assurent une médiation et un apprentissage numériques est très important. On pourrait, par exemple, les intégrer un peu plus dans les écoles », soutient Mme Yagoubi, qui prône la créativité au sein des méthodes d’apprentissage.
Le Mouvement montréalais, les filles et le code (MMFC), Girls Who Code (GWC), Grandir Sans Frontières (GSF), Printemps numérique, Girls/Ladies learning code, Kids Code Jeunesse (KCJ), le programme Code mobile; les initiatives sont nombreuses, mais méritent d’être davantage mises de l’avant dans le parcours scolaire des étudiantes, propose Mme Yagoubi. Dans son livre blanc elle souligne aussi que les établissements de formation qui tentent de rendre les TIC attrayantes pour les jeunes femmes, comme l’ÉTS et Lighthouse Labs, contribuent à changer l’image qu’elles se font des technologies.
Également, pour réduire le sentiment d’imposteur des femmes dans le monde des TIC, il faut non seulement qu’elles aient des modèles, mais aussi qu’elles se sentent représentées dans les technologies. Un nombre croissant de chercheurs appelle à l’utilisation de « données féministes » et à une meilleure inclusion des femmes dans toutes les étapes de création technologique.