Le témoignage inspirant de Mathieu Halle : Rebondir après la faillite

Le témoignage inspirant de Mathieu Halle : Rebondir après la faillite

En 2018, Mathieu Halle lance Pitchonair, une entreprise née de son intérêt pour le monde des incubateurs et des concours de pitch. Fort de son aisance naturelle à l’oral, il identifie une opportunité unique : créer une solution d’intelligence artificielle destinée à aider les entrepreneurs et autres personnes moins expérimentées dans l’art de la présentation. Il lance alors une technologie innovante qui permet de simuler des entretiens ou des présentations, tout en offrant une évaluation précise des performances grâce à des algorithmes avancés. Livrant un témoignage empreint de transparence et de recul, Mathieu Halle partage en entrevue son parcours d’entrepreneur, allant des défis de la recherche à la commercialisation, en passant par une faillite, inévitable malgré le côté novateur de son produit.

Pour lire la version animée et interactive de cet article dans le magazine LES CONNECTEURS (page 12) :

Pitchonair : de l’idée à la mise en marché

« En voyant les exigences du format pitch, j’ai vu un besoin d’aider ces gens à structurer leur discours et à s’entraîner. Étant très technophile, j’ai d’abord cherché un logiciel qui permettait de le faire, mais n’en ai pas trouvé. Je suis quand même tombé sur l’article d’un professeur du MIT qui avait développé une solution dans la veine de ce que je cherchais, et j’ai pris contact avec lui pour collaborer. » De là est née Pitchonair, l’application d’analyse cognitive qui permet de pratiquer des discours, présentations, entretiens d’embauche et divers exercices de communication verbale. « On a développé un produit, auquel on a ajouté l’analyse du verbal, du non non verbal. En 2019, on l’a commercialisé sous forme bêta. »

Mathieu et ses partenaires collaborent ensuite avec d’autres joueurs du secteur de l’innovation numérique, dont le CDRIN, mais doivent composer avec la pandémie comme beaucoup d’entrepreneurs. « Pendant une période de trois mois, cela faisait en sorte que la clientèle ciblée avait d’autres priorités, pandémie oblige. » Puis, ils réussissent à obtenir des subventions. « On a reçu un total de 130 000 $, et on devait investir, de notre côté, 30 000 $. On a obtenu une marge de crédit, et on s’est lancés dans la R-D pendant 14 mois. » En 2022, Mathieu en profite pour trouver un mentor, rencontrer les utilisateurs potentiels du milieu preneur ciblé, faire des contacts, et présenter son innovation. Les clients suivent.

Capture d’écran de la solution. (Photo : Archives)

Une entreprise, une école ou un professionnel pouvait alors prendre un abonnement et utiliser Pitchonair pour faire des exercices contextualisés, permettant de se pratiquer à l’oral. La plateforme leur posait des questions, et les utilisateurs se retrouvaient en interaction avec la machine. Le tout était chronométré afin de les soumettre au stress lié à la contrainte de temps et de les y habituer. Ensuite, leur performance est analysée par Pitchonair, grâce à des algorithmes, selon les principes et paramètres relevant des sciences de la communication, tels que la vitesse de parole (nombre de mots par minute), la richesse du vocabulaire, les pauses, les défauts de langage et les répétitions.

Pitchonair était utilisée, notammant, dans les cégeps, ou par les finissants pratiquant pour un entretien d’embauche, et a été testée par des élèves du primaire pendant le confinement. Ces derniers faisaient une présentation, qu’ils enregistraient sur l’application, puis l’envoyaient à leur enseignante. La professeure regardait les vidéos qui avaient été faites puis leur donnaient des notes.

La Faillite

Malgré l’engouement généré autour de son service, l’entreprise est en difficulté. Des compagnies européennes s’intéressent à la technologie de Pitchonair, mais la leur vendre revient à le faire à perte, ce qui n’intéresse pas Mathieu et ses associés. « Il aurait fallu une offre dans les six chiffres, à 100 000 ou 200 000 $ pour que l’on retrouve une bonne posture, mais on avait plutôt des offres à 30 000 ou 50 000 $. »

Alors que Mathieu décide de délaisser la consultation pour se concentrer sur le volet logiciel, la Silicon Valley Bank s’effondre  en 2023. « Cela a chamboulé le monde des investissements bancaires auprès des entreprises, notamment dans le secteur des technologies. 15 jours après, on nous demande de rembourser le montant de 25 000 $ qu’il restait sur la marge de crédit. On reçoit une lettre du huissier qui impose un délai de cinq jours. C’était assez violent, on s’est retrouvés coincés, et on a dû faire faillite, faire disparaître le site, les réseaux sociaux, rendre le service inaccessible, et quand même rembourser la banque en bénéficiant de plus de temps. »

De cette expérience, Mathieu retient des leçons et fait plusieurs constats.

L’importance de la personnalisation et de la centralisation des services pour l’utilisateur

« Du côté des entreprises, on nous a dit que ce qu’on avait développé était très pertinent, mais qu’il faudrait permettre que notre outil s’intègre dans un CRM (logiciel de relation client), un dossier de plateforme d’apprentissage, bref, qu’il s’adapte à l’environnement de travail des clients. »

« On avait fait une étude de marché (…) il y avait un besoin réel de préparation à la prise de parole. »

Pour Mathieu et son équipe, cela implique de se lancer dans « du gros travail relevant du développement de l’API (interface de programmation d’application) », une interface logicielle qui permet de « connecter » un logiciel ou un service à un autre logiciel ou service afin d’échanger des données et des fonctionnalités. « Il aurait fallu qu’on y repasse des heures, mais on était trop essoufflés. »

Le coût des infrastructures

Pour le verbal, l’application intégrait déjà des technologies tierces comme celles de Google, Amazon, IBM, Watson, etc. « Par contre, l’analyse du non verbal, c’est-à-dire la gestuelle du haut du corps et du visage, sollicitait nos propres serveurs et une énorme puissance en termes de processeurs graphiques, comparable à celles requise pour les jeux vidéo, ce qui représentait un coût d’infrastructures important. »

Le financement et l’étude de marché

Questionné à savoir si un manque de financement, ou encore d’étude de marché pour garantir l’alignement du produit avec les vrais besoins, pouvaient être en cause, Mathieu répond par la négative.

« On avait fait une étude de marché auprès de plusieurs métiers, pour lesquels les notions d’élégance verbale, d’allocution et de prise de parole sont importantes. On a parlé à des avocats, des entrepreneurs purs et durs pour les notions de pitch, des conférenciers, des représentants des ventes, des chasseurs de tête. Les retours qu’on avait eus étaient très intéressants, il y avait un besoin réel de préparation à la prise de parole. »

Même s’il note qu’« il a fallu du temps pour trouver ce lien entre les centres de recherche appliquée et les gouvernements », il souligne aussi que « le financement pour la R-D était vraiment bien fait, tant au niveau fédéral que provincial ».

Et le timing?

S’il est possible que l’innovation ait été trop à l’avant-garde, et un peu « intimidante », à une période où la résistance au partage de données personnelles et le flou autour de l’IA étaient palpables, Mathieu précise que « le projet n’est pas mort. On possède encore la technologie, on en garde le code. »

« (…) tout le monde, à défaut de comprendre l’intelligence artificielle, en est rendu à vouloir l’utiliser pour améliorer sa productivité et son efficacité. »

Il estime que « L’arrivée de ChatGPT a tout changé. Quand c’est sorti, les premiers à y adhérer étaient les ‘geeks’. Aujourd’hui, tout le monde l’utilise, peu importe son secteur d’activité, la grandeur de son entreprise ou sa structure. Les gens sont rendus là. »

L’envie de transmettre

Faillite ou pas, aujourd’hui, le bagage de Mathieu Halle en tant qu’entrepreneur dans le secteur des technologies de l’IA lui confère une expertise et un profil qu’on s’arrache, notamment dans le domaine de la formation, où il a trouvé une nouvelle vocation.

« Cela fait plus de six mois que j’ai rejoint l’entreprise La Fusée à titre de directeur général du centre de formation numérique, et le bilan que j’en dresse est que tout le monde, à défaut de comprendre l’intelligence artificielle, en est rendu à vouloir l’utiliser pour améliorer sa productivité et son efficacité. »

Difficile de s’affranchir de la Silicon Valley

Il évoque enfin la Silicon Valley et la dominance américaine, mentionnant au passage l’échec de l’entreprise allemande Aleph Alpha qui, même en ayant reçu a500 millions $ de financement de la part des grands industriels, « a eu du mal à créer quelque chose qui ne dépendait pas des outils de la Silicon Valley », et vient d’annoncer qu’elle abdiquait, se détournant des grands modèles de langage, alors qu’elle a longtemps été considérée comme un concourrent européen d’OpenAI.

« Bien souvent, les technologies sont américaines. Quand il s’agit du traitement des langues, c’est l’anglais qui domine. Ce qui est analysé par la suite, ce sont des formes de traduction. »