Quelles solutions pour la résilience de nos infrastructures face aux inondations au Québec? La montée du niveau de l’eau du lac Memphrémagog? L’érosion des berges à Carleton-sur-Mer? Les conséquences des crues printanières de la rivière L’Assomption sur Saint-Alphonse-Rodriguez? Ou encore les infiltrations d’eau à Longueuil?
Les maires et mairesses des villes en question, l’Innovateur en chef du Québec, Luc Sirois, ainsi que de nombreux autres scientifiques et élus municipaux, se sont mobilisés le 3 octobre dernier à l’École de technologie supérieure (ÉTS), pour un rendez-vous inédit. Ce remue-méninges participatif donnait lieu à de nombreux échanges pour permettre aux participants de partager leur expérience, leur innovation et leurs solutions, en marge de l’annonce de la création de la Chaire de recherche UMQ-AdapT, fruit de l’alliance entre l’Institut AdapT de l’ÉTS et l’Union des municipalités du Québec (UMQ) visant à innover pour relever les défis climatiques.
La rédaction de CScience et LES CONNECTEURS a pris part aux discussions et ateliers de groupes, tenus pour l’occasion en présence de chercheurs, d’ingénieurs, d’architectes et d’élus, afin de cibler les problématiques observées sur le terrain, et voir émerger des pistes de solutions concrètes pour le renforcement des infrastructures des municipalités québécoises.

Ateliers tenus à l’ÉTS.
Bien plus qu’une question de financement
Pour la mairesse de Longueuil, Catherine Fournier, il n’y a qu’à se remémorer les événements des 13 septembre 2022, 13 juillet 2023 et 9 août 2024 pour saisir l’importance d’agir pour renforcer la résilience des municipalités face aux changements climatiques. « Ce sont des dates qui marquent des centaines de Longueuillois, qui ont malheureusement subi de graves inondations qui les ont poussés à faire des réclamations auprès de la Ville, et qui ont suscité tout un paquet de mesures d’urgence, des cellules de crise la nuit et beaucoup d’heures supplémentaires. »
« (…) même si l’on investissait des centaines de millions de dollars pour augmenter la capacité de nos réseaux et passer d’un système combiné à séparé, ce serait comme renverser une piscine dans un verre d’eau. »
– Catherine Fournier, mairesse de Longueuil
Elle a rappelé que dans une vieille ville comme Longueuil, « c’est plus de 30 % du réseau qui est combiné. Mais la réalité, c’est qu’avec des pluies comme celles qu’on a connues, même si l’on investissait des centaines de millions de dollars pour augmenter la capacité de nos réseaux et passer d’un système combiné à séparé, ce serait comme renverser une piscine dans un verre d’eau. » Une quête qui ne passe donc pas par le seul fait d’investir davantage dans les infrastructures, mais relève d’une innovation stratégique, sollicitant la mobilisation de toutes les connaissances et données issues de la recherche multidisciplinaire et de terrain. Une vision que partagent tous les élus et scientifiques interpellés.
La mairesse et l’Innovateur en chef n’ont pas non plus manqué de souligner que Longueuil s’était dotée de la première conseillère scientifique en chef municipale en Julie-Maude Normandin, qui avait confié à Gabriel Provost, journaliste pour CScience, que « Les deux dossiers sur lesquels (elle travaillait dès le début de son mandat) en collaboration avec les équipes déjà existantes (étaient) celui de la résilience climatique en lien avec les forts épisodes de pluies qui créent des refoulements d’égouts, et qui causent des inondations sur les routes ou les bâtiments publics, de même que la réponse au rapport de l’Office de participation publique de Longueuil sur les feux à ciel ouvert ».
Entrevue avec Julie-Maude Normandin : Quand la science conseille Longueuil
Pour répondre aux défis auxquels est confronté le territoire de la MRC de Matawinie, la mairesse de Saint-Alphonse-Rodriguez, Isabelle Perreault, a mentionné que « La MRC fait affaire avec l’entreprise Hydro-météo, qui mesure de manière extrêmement précise et anticipe les risques », en offrant des solutions de pointe en matière de surveillance et de prévision météorologique, hydrologique et glaciologique.
Un remue-méninges avec des experts

Chloé-Anne Touma, rédactrice en chef de CScience et de LES CONNECTEURS, et Yan Boucher, professeur au département des sciences fondamentales de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), lors d’un atelier de discussion.
La rédaction a relevé plusieurs manques et pistes de solutions évoqués lors d’échanges tenus autour d’une même table de discussion.
Le manque de collecte et d’accès aux données et cartographies d’intérêt : au cœur des préoccupations
« L’UMQ doit écouter la science, il y a beaucoup de données qui ne sont pas exploitées », soutient Yan Boucher, professeur au département des sciences fondamentales de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC).
Mais « Il y a peu de données et de cartographies en matière de bâtiments, pas beaucoup d’info sur le niveau d’eau atteint et sur une période de combien de temps, pas non plus d’information sur les bâtiments. On ne sait pas s’ils ont des sous-sols, on ne sait pas la hauteur du plancher », souligne quant à elle Dominique Derome, professeure au département de génie civil et du bâtiment, et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en physique du bâtiment multi-échelle.
Elle déplore le manque de données collectées sur le terrain, le manque d’évaluation des dommages et de sondage auprès de la population, ainsi que de contact direct avec le ministère de la Sécurité publique. Elle suggère qu’il faudrait assurer la sauvegarde numérique des résultats obtenus d’études et sondages menés auprès des sinistrés, en vue de l’élaboration, non pas seulement de cartographies des zones inondables en fonction des débordements fluviaux, mais aussi des zones à risques propres au réseau immobilier. « Dans le secteur de Trois-Lacs (en Estrie), du porte-à-porte avait été fait pour savoir la hauteur du niveau de l’eau, mais ce genre de démarche est presque inexistant. »

Dominique Derome, professeure au département de génie civil et du bâtiment, et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en physique du bâtiment multi-échelle, lors des ateliers de discussion.
Mme Derome soumet enfin qu’il serait intéressant pour les municipalités de réglementer la contribution à l’échelle du bâtiment, afin que chaque bâtiment joue un rôle dans l’amélioration de l’évacuation de l’eau.
Parmi les autres propositions mises sur la table, on compte celles de :
- favoriser la collecte et l’exploitation de données sur les bâtiments, la création de cartographies de référence, pas seulement des zones inondables et de débordement d’eau fluviales, mais aussi des zones de bâtiments et sous sols à risque ;
- favoriser l’échange et la collaboration, créer des partenariats entre entreprises privées comme Qualinet, et les institutions publiques et les villes ;
- favoriser la numérisation des données existantes et en collecter davantage sur le terrain ;
revoir la vision quant à la planification et la configuration territoriales, en vue d’optimiser les opération de délocalisation des populations éloignées, comme les populations Autochtones, en cas notamment de moisissure ; - favoriser l’accès des municipalités à un ingénieur, car si les municipalités devraient, en théorie, toutes avoir accès à un ingénieur, à Saint-Denis-de-Brompton, ça n’a pas toujours été le cas, selon Dominique Derome ;
- uniformiser les normes de conformité et procéder à des inspections régulières – ce qui serait déjà dans les cartes, selon Clémentine Crouzier de l’INSPQ, qui soutient que « le Code du bâtiment va être normalisé pour les municipalités » – ;
- favoriser l’adoption de solutions prédictives pour anticiper les zones problématiques, mais aussi pour réagir post-sinistre, puisque « Des solutions prédictives telles que les applications d’intelligence artificielle existent pour prévenir les catastrophes, combinées avec des données météo », le rappelle Martin Beaudoin, responsable du marché régional – Environnement Est du Canada chez GHD -;
Un « parc éponge » est un parc aménagé de façon à recueillir les eaux excédentaires en période de pluies abondantes ou de fonte des neiges, afin de prévenir les inondations.
– Office québécois de la langue française
Plusieurs participants suggèrent qu’à défaut de s’attarder aux bâtiments, on mise trop souvent sur les parcs éponges, sans en étudier réellement l’efficacité et les retombées. Il faudrait également procéder à des évaluations plus fréquentes des systèmes de protection afin de s’assurer de leur « non-vétusté ».
[ÉDITO] Inondations : l’eau monte, les ennuis affluent, et les solutions émergent… peut-être
Crédit Image à la Une : Luc Sirois animant la conférence tenue avec les maires et mairesses. (Photo : Chloé-Anne Touma)