L’IA est-elle compatible avec la santé durable?

L’IA est-elle compatible avec la santé durable?

Lorsque l’on parle de santé au Québec, on fait régulièrement référence à un système défaillant, en déclin et nécessitant des réformes à tous les niveaux. Face à cette situation, le gouvernement prône depuis quelques années le modèle de la santé durable. C’est-à-dire un réseau basé sur la pérennité, la prévention et la participation des individus, permettant de traiter à titre préventif la maladie plutôt que les symptômes associés à la pathologie.

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Ce modèle permettrait d’améliorer la qualité et l’accessibilité des services aux patients, tout en réduisant la charge de travail du personnel de la santé, de même que les dépenses publiques. La population québécoise bénéficierait ainsi d’un mode de vie beaucoup plus sain sur le long terme.

Selon Hassane Alami, professeur adjoint au Département de gestion, d’évaluation et de politique de santé à l’Université de Montréal, le Québec n’est pas la seule nation à investir dans la santé durable. Il ajoute : « Je pense qu’aujourd’hui, tous les gouvernements sont interpellés par la durabilité. Mais je pense qu’au-delà de la volonté, nous n’avons vraiment plus le choix. Maintenant, il faut que cela se traduise en actions. »

Mais comment réorienter notre système vers un modèle de soins de santé durable? Pour de nombreuses personnes, que le problème soit d’ordre médical, bureaucratique ou environnemental, l’intelligence artificielle (IA) semble être la solution miracle.

Mais est-ce vraiment le cas ? L’IA est-elle la réponse à tous nos problèmes relevant de la gestion de la santé durable au Québec?

Prévention et solution : l’une dans l’autre

En matière de soins de santé, il est évident que la technologie a fondamentalement changé notre qualité de vie, et ce de manière exponentielle. Par ailleurs, l’intelligence artificielle est en quelque sorte le prolongement « naturel » de la révolution technologique de ces dernières décennies. Mais est-elle compatible avec le concept de santé durable?

Au premier abord, cette technologie semble être un atout en matière de durabilité. C’est du moins ce qu’affirme le professeur Alami : « L’intelligence artificielle pourrait être relativement utile pour de nombreuses choses, notamment en termes de promotion de la santé et de la prévention des maladies, telles que les pathologies cardio-vasculaires, le diabète, etc. L’IA pourrait être une approche intéressante pour éclairer les stratégies de santé publique. »

« L’IA pourrait être une approche intéressante pour éclairer les stratégies de santé publique. »

Toutefois, M. Alami maintient que l’IA, aussi puissante qu’elle puisse l’être, n’est pas une finalité mais un système qui doit être mis au service de la santé. Il ajoute : « cette technologie doit répondre à un besoin clair et défini pour la santé des individus et des communautés, tout en prenant en considération la santé de la planète. »

Car soutenir la santé durable ne consiste pas seulement à promouvoir le bien-être sur le long terme de nos citoyens, mais aussi celui de notre environnement immédiat et global. Selon Alliance Santé Québec, la santé durable se définit comme « un esprit sain dans un corps sain, dans un milieu de vie sain, sur une planète saine ».

Or, l’utilisation de ces technologies n’est pas sans conséquences écologiques. Le professeur Alami explique : « Ce sont des systèmes de plus en plus sophistiqués, mais qui consomment énormément d’énergie. Cette exploitation pourrait avoir un impact profond sur notre écosystème. »

Prenons l’exemple de ChatGPT, l’une des innovations d’intelligence artificielle les plus populaires au monde. Selon une étude menée par Digital@HEC Montréal, une seule conversation typique avec l’application consomme près de 500 ml d’eau. À ce jour, ChatGPT compte plus de 1,5 milliard d’utilisateurs par mois. Un impact écologique à ne pas négliger.

Le coût social

L’intégration de l’intelligence artificielle dans le déploiements d’efforts soutenant la santé durable peut avoir des effets bénéfiques. Mais à quel prix?

Une telle technologie coûte excessivement cher à l’État ainsi qu’aux contribuables. Au-delà de cela, un surinvestissement en intelligence artificielle pourrait empiéter sur l’accès à certains services publics. Un aspect à surveiller selon le Professeur Alami. « Parfois, certaines problématiques requièrent des innovations communautaires, locales où l’on n’a pas besoin des technologies qui coûtent quelques millions de dollars et qui prendraient le financement d’un autre service ou organisme communautaire, tel que la banque alimentaire par exemple.

Il s’inquiète également des disparités que l’intelligence artificielle pourrait créer à long terme entre les classes sociales. Autrement dit, il est impératif de prendre en compte les éléments structurels de notre société, c’est-à-dire le contexte social, économique, environnemental et culturel des individus.

« L’IA finira encore par privilégier les personnes qui sont déjà en bonne santé et qui ont un bon niveau de vie. »

M. Alami estime que les personnes issues de milieux défavorisés seront éventuellement pénalisées par cette évolution technologique. D’une part, les coûts associés aux appareils dotés d’IA, comme les montres de sport par exemple, rendent leur accessibilité plus difficile pour les personnes en situation de précarité. D’autre part, le contexte familial peut également avoir un impact sur l’utilisation de cette technologie, précise-t-il.

« Oui, nous pouvons utiliser la technologie pour obtenir des recommandations quant aux changements de comportement ou à l’adoption de bonnes habitudes de vie. Mais il ne sera pas toujours réaliste, ni même envisageable, de demander à une personne monoparentale en situation économique difficile d’aller courir cinq km par jour. L’IA finira encore par privilégier les personnes qui sont déjà en bonne santé et qui ont un bon niveau de vie », soutient le professeur.

Crédit Image à la Une : Magazine LES CONNECTEURS, numéro du 25 septembre 2024