Les tableaux tactiles et interactifs, ainsi que les tablettes numériques pédagogiques sont de plus en plus présents dans les salles de classe, non pas sans soulever des questions quant aux inégalités pouvant en émerger dans le secteur de l’éducation. Quels sont les enjeux, constats et limites propres à ces innovations, et comment peuvent-elles creuser un fossé numérique, pour les élèves comme pour les enseignants? Rencontre avec le chercheur Simon Collin, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’équité numérique en éducation à l’UQAM, pour tenter de répondre à ces questions.
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Les inégalités numériques persistent
« Nous nous intéressons à l’intégration des technologies dans le système scolaire et à comment elles peuvent soutenir la pédagogie et la pratique des enseignants, ou encore l’apprentissage des élèves. Il s’agit de regarder les apports, tout en gardant un point de vue critique », explique Simon Collin.
Les recherches de sa chaire touchent en outre aux disparités dans l’éducation, équipements compris. « Les inégalités numériques vont être reliées aux inégalités scolaires et aux inégalités sociales », constate-t-il.
60 % des enseignants des établissements privés utiliseraient 7 heures par semaine le numérique en classe, contre 14 % dans le public
Une enquête menée en 2021 au Québec par l’Académie de la transformation numérique trace le « Portrait des usages du numérique dans les écoles québécoises ». On y découvre que 60 % des enseignants des établissements privés utiliseraient 7 heures par semaine le numérique en classe, contre 14 % dans le public. 77 % des écoles privées admettraient les tablettes et ordinateurs personnels, contre 19 %.
« Le privé pourra aussi solliciter la participation des parents pour les dotations. Les jeunes utilisent déjà tous les technologies à l’extérieur de l’école, pour jouer ou pour communiquer. Or, c’est là que l’école peut faire une différence en apportant des technologies pour apprendre, de façon plus égale », observe-t-il.
Les compétences, les usages et l’accessibilité à la technologie sont des facteurs d’inégalité. Pensons au fait d’avoir accès ou non à une borne Wi-Fi, par mot de passe plus ou moins complexe, à des ordinateurs, ou aux quelques tablettes accessibles au fond de la classe, dans des chariots « techno », ou encore au besoin de réserver ces outils à l’avance.
Le volet éducation au numérique
Dans l’un de ses volets de recherche, l’universitaire tente de comprendre les implications sociales et effets sur la santé de l’utilisation des technologies, en vue d’en encourager un usage plus avisé. Il estime que la sensibilisation des élèves est importante en ce qui a trait à la gestion de leur identité en ligne, à leur temps d’écran, aux implications sur la santé mentale et physique, et aux fausses nouvelles. « Il faut former les élèves sur ces enjeux, avec la logique que si l’école ne le fait pas, personne ne le fera », croit-il. L’innovation dans les écoles ne doit cependant pas être simplement vue comme un temps d’écran supplémentaire.
Les apports et effets
Est-ce que les technologies changent les choses? L’arrivée de technologies novatrices dans une classe apporte une motivation, mais cette dernière n’est pas durable dans le temps. « Il n’y a pas d’effet consensuel net des technologies sur l’enseignement et sur l’apprentissage, conclut-il. Une étude de l’OCDE de 2015 a d’ailleurs comparé les systèmes scolaires en fonction du nombre de technologies utilisées et de leurs fréquences, mais elle n’a pas vu de différence substantielle. »
Pour Simon Collin, la question des effets précis des technologies reste ambiguë, voire une mauvaise question, dans la mesure où les technologies ne sont pas isolables et distinguables de l’activité pédagogique à laquelle on les intègre. « On ne peut pas savoir si un gain de résultat est dû à cette technologie ou pas. » Si d’autres organismes interrogés par LES CONNECTEURS emploient toujours le terme « fracture numérique », il souhaite plutôt que l’on parle aujourd’hui d’« inégalités numériques » dans le secteur de l’éducation, surtout après le plan d’action numérique ministériel de 2019 qui offrait un choix de matériel important pour les acteurs du monde éducatif.
Une dimension critique nécessaire
Pour le spécialiste des technologies en éducation, le monde scolaire a dépassé la période où l’on parlait de révolution. Au-delà du « technojovialisme », il rappelle qu’il ne faut pas oublier les considérations éthiques et enjeux qui font en sorte que les technologies ne répondent pas toujours aux attentes fixées, souvent « disproportionnées ».
M. Collin invite à vérifier que chaque ressource éducative, matérielle ou non, « soutienne davantage qu’elle ne complique l’enseignement tout comme l’apprentissage ». La technologie ne doit être qu’une ressource.
Concernant l’IA, les algorithmes n’auraient pas la capacité de s’adapter à la complexité et à la singularité de chaque salle de classe. « Ils ne pourront pas remplacer un enseignant et son jugement pédagogique face à des élèves, sa compassion ou la différence entre les milieux scolaires », assure-t-il. Son but n’est pas de remplacer l’enseignant pour prendre des décisions, mais de l’aider.
Les biais font aussi partie des enjeux. L’innovation doit intégrer la diversité des apprenants. Si l’on reprend l’IA, selon les données avec lesquelles l’algorithme a été entrainé, « le produit pourrait être représentatif de certains profils et en négliger d’autres ».
L’âge des enseignants ne serait pas un indicateur fiable de l’utilisation des technologies en classe. Les jeunes enseignants arrivent bien souvent avec une meilleure maîtrise technique. « Mais la gestion de la classe et la recherche de nouvelles activités leur prennent beaucoup de temps, et ils en ont moins à consacrer à l’innovation et à trouver le sens pédagogique, afin de développer tel ou tel apprentissage », conclut M. Collin.