Depuis qu’elle a annoncé être atteinte du syndrome de la personne raide, les yeux du monde entier se sont à nouveau rivés sur Céline Dion, en portant sur elle un nouveau regard, encore plus admiratif, et compatissant. Un chercheur français du nom de Christian Jorgensen, directeur de l’institut hospitalo-universitaire de Montpellier, a même tenté d’interpeller la chanteuse, dans son appel au don de 10 millions d’euros pour trouver un remède, largement médiatisé dans la presse française. La raison de ce regain d’intérêt international pour le syndrome, décrit pour la première fois en 1956 ? Le courage et la popularité de celle qui aura souhaité combattre l’obscurantisme et éclairer les esprits.
« Si quelqu’un aujourd’hui arrive avec 10 millions d’euros en me disant ‘faites-moi un bio-médicament’, je le fais », a déclaré à France Bleu le Dr Jorgensen, découvrant un second souffle à sa motivation, engendré par la diffusion du documentaire Je suis: Céline Dion sur Prime Video. Car si cette star internationale issue du Québec, réputée pour être très proche de son public, n’a jamais tari sur la transparence et le don de soi en musique, cette fois-ci, c’est en se dévoilant dans la maladie à travers ce film qu’elle a touché des millions d’intéressés, tantôt ses fans, tantôt des curieux souhaitant s’éduquer quant à son syndrome. Une parfaite occasion, pour les 8 000 personnes aux prises avec cette affliction, de sensibiliser le monde à leur réalité, et un rappel à grande échelle de l’importance de faire avancer la discussion et la recherche sur les maladies rares, un geste à la fois.
Pourquoi est-ce important d’en parler ?
Pas si « rares » que ça…
On recense entre 6 000 et 8 000 maladies orphelines dans le monde, dont 80% sont d’origine génétique. Examinées individuellement, ces maladies dites « rares » semblent toucher un faible pourcentage de la population, ce qui entrave les avancées de la recherche, l’expertise clinique et les options de traitement. Mais lorsqu’on considère les cas de façon globale, toutes maladies rares confondues, on parle alors d’une communauté de 300 millions de personnes atteintes dans le monde, mettant en lumière l’importance de renforcer les actions collaboratives au sein du réseau médical et de la recherche, mais aussi d’en diffuser les connaissances à l’international, afin d’accélérer le progrès en matière de diagnostics, de suivis et de traitements de ces maladies encore méconnues.
La quête d’une vie pour les malades et leurs proches
S’il faudrait en moyenne cinq à sept ans pour diagnostiquer avec précision une maladie rare, selon les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), plusieurs malades passent quant à eux des décennies, sinon leur vie à attendre un diagnostic, avant même d’espérer avoir des soins adaptés. C’est le cas de Suzie Auclair, phénomène de la scène musicale, ambassadrice de la cause des maladies rares, et invitée de l’émission C+Clair produite par CScience et offerte en rediffusion sur ses canaux, en avril dernier. La guitariste classique et compositrice professionnelle a raconté ne plus pouvoir exercer son métier en raison du syndrome d’Ehlers-Danlos, qui l’afflige et qu’il a fallu plus de 40 ans à diagnostiquer chez elle.
En tant que patiente partenaire, Casandra Poitras a également foulé le plateau de C+Clair pour témoigner quant aux difficultés auxquelles elle fait face depuis son errance diagnostique entamée il y a huit ans. Tout comme Céline Dion, Mmes Auclair et Poitras ont été confrontées au manque de connaissances relatives à leurs symptômes respectifs, ce qui a parfois mené à l’idée erronée que leur maladie était « dans leur tête ». « Malheureusement, dans le cas des maladies rares, on se le fait souvent dire », a déploré Mme Poitras, illustrant les conséquences du décalage entre ce que vivent les malades, et les perceptions des milieux qu’ils côtoient, non sensibilisés à leurs réalités.
[Émission C+Clair] Maladies rares : comment optimiser les efforts de la recherche ?
La sensibilisation
La médiatisation : une aide non négligeable pour la recherche
Pour ces raisons, patients, parents d’enfants malades, médecins spécialistes et chercheurs eux-mêmes vous le diront; les célébrités, émissions, téléthons, films, contenus médiatiques et témoignages sur les réseaux sociaux, qui rendent compte des défis inhérents aux maladies rares, font rayonner la cause de façon non négligeable. « Pensons à des personnalités comme Claude Saint-Jean, fondateur de l’Association canadienne des ataxies familiales en 1972, lui-même atteint de l’ataxie de Friedreich, aujourd’hui décédé. Il se promenait partout, participait aux téléthons, était de toutes les tribunes, comme d’autres patients qui ont vraiment aidé à personnifier les maladies rares pendant des décennies au Québec », pointe le neurologue Bernard Brais, directeur du Groupe de recherche sur les maladies neuromusculaires de l’Institut neurologique de Montréal et membre du Centre de l’ataxie du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), en entrevue avec CScience.
Pas seulement le rôle des vedettes
Pour favoriser l’accès à l’information propre aux maladies orphelines, aux médicaments et aux essais cliniques, le lancement de campagnes de diffusion ou de mouvements sur les réseaux sociaux et les médias numériques, constitue une fenêtre de visibilité non négligeable et sans frontières, faisant de l’écosystème numérique, mais aussi des organismes socialement actifs, des alliés incontournables de la cause.
Au Québec, le Regroupement québécois des maladies orphelines (RQMO) a pour mission de sensibiliser le public et le milieu médical aux défis rencontrés par les patients atteints de maladies rares, en plus d’apporter du soutien et des informations à ces derniers et à leurs proches. Au moyen de diverses activités engageantes, le RQMO facilite la transmission des données sur les maladies rares entre organismes et chercheurs, en plus de permettre la diffusion de témoignages de patients et de faire connaître leur histoire.
« C’est notre rôle (…) Ce qu’on souhaite le plus possible, c’est de mettre en avant ce que vivent ces personnes, et ces témoignages m’interpellent car ce sont des choses dont on ne parle pas souvent. »
– Jonathan Pratt, directeur général du RQMO
« C’est notre rôle (…) Ce qu’on souhaite le plus possible, c’est de mettre en avant ce que vivent ces personnes, et ces témoignages m’interpellent car ce sont des choses dont on ne parle pas souvent », expliquait le directeur général du RQMO, Jonathan Pratt, au plateau de l’émission C+Clair. « Heureusement, beaucoup de choses se font en recherche, a-t-il poursuivi. De plus en plus de chercheurs se concentrent sur ces maladies, et le but est d’aider les patients. À cette fin, notre association a choisi de collaborer avec des groupes de recherche, comme le Réseau pour avancer la recherche sur les maladies rares au Québec (RARE.Qc). »
Les travaux d’analyse du RQMO ont d’ailleurs démontré à plusieurs reprises l’existence d’une grande disparité d’accès aux traitements et médicaments entre les patients québécois atteints de maladies plus communes et ceux aux prises avec des maladies orphelines, une iniquité qui commande d’agir pour favoriser l’échange de connaissances, la collaboration entre professionnels, et la sensibilisation du public, sans frontières géographiques.
Des avancées médicales grâce au partage de données et de connaissances
La diffusion des connaissances et leur mise en commun passent en grande partie par la collecte, le partage et la valorisation des données qui peuvent constituer une mine d’informations précieuses pour l’écosystème de la recherche et le réseau médical. Les données, lorsque bien exploitées grâce aux technologies avancées, permettent notamment, en génomique, d’offrir des perspectives révolutionnaires pour le traitement des maladies rares. En permettant aux chercheurs d’accéder à un large éventail de données génomiques et cliniques provenant de diverses sources, ces pratiques favorisent une meilleure compréhension des mécanismes sous-jacents à ces maladies souvent mal comprises.
« Les technologies avancent. La génomique va prendre de plus en plus de place, ce sera un pas à faire dans le futur. »
– Ahmed Zaki Anwar El Haffaf, chef du service de médecine génique au CHUM, médecin généticien et professeur agrégé affilié au centre hospitalier universitaire de l’Université de Montréal
La mise en commun des informations génétiques permet de détecter des variations rares et des mutations spécifiques qui pourraient passer inaperçues dans des ensembles de données plus restreints. De plus, le croisement de données entre différentes études et populations permet d’identifier des modèles et des corrélations qui peuvent conduire à de nouvelles pistes thérapeutiques. En outre, cette approche collaborative accélère la découverte de biomarqueurs spécifiques et le développement de traitements personnalisés, augmentant ainsi les chances de trouver des interventions efficaces pour les patients atteints de maladies rares.
Une investigation de tout le génome, sollicitant l’intelligence artificielle et ses mégadonnées, pourra nous donner les réponses attendues, pense le Dr Ahmed Zaki Anwar El Haffaf, chef du service de médecine génique au CHUM, médecin généticien et professeur agrégé affilié au centre hospitalier universitaire de l’Université de Montréal. Au plateau de C+Clair, il mentionne que « Les technologies avancent. La génomique va prendre de plus en plus de place, ce sera un pas à faire dans le futur. Un diagnostic rapide dans les huit jours, par exemple, sera possible pour les enfants nés avec une détresse vitale pour laquelle nous n’avons pas de diagnostic. La génomique sera alors essentielle pour savoir s’il y a des conditions traitables. »
Vers une médecine personnalisée : les promesses et défis de la génomique
Des initiatives telles que la création de bases de données accessibles, visant à mieux renseigner les professionnels, mais aussi les malades quant à un possible diagnostic, se mettent heureusement en branle.
Pensons à la mise en ligne de bases de données ouvertes comme Orphanet, ou encore à l’initiative « Tous pour un », déployée à travers six projets de mise en œuvre financés par l’Entreprise canadienne de la génomique (Génome Canada et six centres de génomique régionaux). Tous pour un implique notamment l’élaboration d’un écosystème pancanadien de données sur la santé. Ce « connecteur de données » reliera et exploitera les données génomiques entre les sites cliniques pour améliorer les soins prodigués aux patients et favoriser les percées en recherche. Il permettra le partage de données entre établissements, ainsi qu’entre le milieu clinique et celui de la recherche, sans frontières juridictionnelles.
En France, la Banque Nationale de Données Maladies Rares (BNDMR) est une base de données nationale se voulant doter le pays d’une collection homogène de données pour documenter la prise en charge et l’état de santé des patients atteints de maladies rares dans les centres experts français. Elle a pour objectifs de mieux renseigner le malade et documenter sa maladie, mieux organiser le réseau de soins, faire rayonner la cause des maladies rares, faciliter la recherche dans le domaine et mieux exploiter le potentiel des grandes bases de données nationales.
Lors de son passage à C+Clair, le Dr El Haffaf a annoncé en primeur le lancement d’une plateforme nommée Navi-Nat, qui fera le lien entre les différents centres de références ou les centres régionaux de compétences, et les patients atteints d’une maladie rare, diagnostiqués ou non – une première au Canada. « Le Québec se dote de structures qui sont vraiment très importantes pour harmoniser un peu les pratiques. Récemment, dans le cadre du Plan d’action québécois sur les maladies rares, cet organisme est en train de se mettre en place, et le CHUM et le CHU Sainte-Justine y travaillent de concert pour coordonner et fluidifier le flux des patients, avoir une sorte de guichet unique à travers lequel les demandes seront traitées, et documenter les besoins des patients pour les orienter vers les centres d’expertise au sein des centres de compétences », a expliqué le médecin généticien.
Le Dr John Mitchell, endocrinologue pédiatrique et généticien en biochimie à l’Hôpital de Montréal pour enfants, a quant à lui décrit à l’émission le projet INFORMER RARE, qui vise à « améliorer la santé des enfants atteints de maladies génétiques rares en générant des données concrètes, afin de soutenir la prise de décisions sur des thérapies nouvelles et existantes », tout en donnant un rôle plus actif aux patients.
Crédit Image à la Une : Amazon MGM Studios, kit de presse