Le vol d’essai du vaisseau Starliner de Boeing vers la Station spatiale internationale (SSI ou ISS), ce 5 juin, a été un succès. Depuis le centre spatial de Houston en Floride, l’astronaute de l’Agence spatiale canadienne (ASC), Joshuah Kutryk, en était l’agent de liaison. Il sera d’ailleurs à bord lors de la prochaine mission. Nous avons pu échanger, sur ce vol et les expériences scientifiques en santé menées dans l’espace, avec Mathieu Caron, Directeur des Astronautes, sciences de la vie et médecine spatiale à l’ASC, dont le siège est situé à Saint-Hubert, dans la zone de l’aéroport.
Une mise en contexte
Le 5 juin à 10h52, la fusée Atlas V de United Launch Alliance a réussi son lancement, puis propulser le vaisseau spatial CST-100 Starliner de Boeing vers l’ISS. À bord se trouvaient les astronautes de la NASA Butch Wilmore et Suni Williams. Pendant deux ou trois semaines, le but est de certifier la capsule Starliner, qui est un concentré de technologiques révolutionnaires : une conception sans soudure, un système d’amarrage autonome jusqu’à la station, et un retour sur terre qui se fera non pas dans un océan, mais sur la terre ferme, grâce à des ballons gonflables pour amortir le choc.
L’astronaute canadien Josuah Kutryk était, au sol, le « Capcom » de ce vol d’essai. Il fera partie de l’équipage pour la mission finale Starliner-1 de six mois qui aura lieu en 2025, et réalisera notamment plusieurs expériences scientifiques depuis l’ISS.
La station spatiale internationale est un laboratoire qui gravite autour de la terre, à une vitesse de 28 000 km/h et à une altitude moyenne de 408 kilomètres. Les pays partenaires sont le Canada, les États-Unis, la Russie, l’Europe et le Japon.
Les expériences en orbite concernent plusieurs domaines, dont la santé. À ce titre, les recherches s’articulent autour de la prévention des évanouissements des astronautes, des troubles cardiovasculaires, de la désorientation, du déficit de perception, de la rigidité oculaire ou de la masse osseuse, par exemple. Le but de ses recherches dans l’espace est d’améliorer les risques et la qualité de vie, dans l’espace comme sur la terre.
Notre entretien avec Mathieu Caron
CScience a fait le point avec M. Caron sur cette mission, ainsi que sur le rôle important de l’ASC dans la recherche en santé.
1. Des nouvelles de ce vol d’essai ? Et quel a été le rôle de l’astronaute de l’ASC ?
Le lancement s’est bien déroulé et l’arrimage a eu lieu une journée plus tard. Notre astronaute Josuah Kutryk était en poste au centre spatial à Houston [Floride, États-Unis] où il jouait le rôle d’agent de liaison, ou «Capcom». Il a été nommé sur l’équipage de Starliner 1, et sera à bord de la prochaine capsule Boeing envoyée vers la station. Dans ce cadre-là, il a aidé à la vérification et aux tests des différents systèmes en apportant le point de vue de l’équipage. À Houston, son rôle était de communiquer avec les astronautes à bord de la capsule et de relayer les informations qui provenaient du centre de contrôle. Il sera là aussi pour le retour sur terre.
2. Pourquoi ce vol d’essai était-il nécessaire ?
Le but de cette mission-là était de vérifier que tous les systèmes de la capsule de Boeing seront prêts pour la prochaine mission qui devrait en principe avoir lieu l’année prochaine, en 2025. De plus, il y a des nouveautés comme un atterrissage au retour sur le sol au Nouveau-Mexique, au contraire des capsules Dragon qui reviennent en pleine mer.
3. Autre technologie exceptionnelle, la capsule devrait s’amarrer de façon autonome à la station ?
Oui cela est en grande partie automatisé, mais les astronautes auront la possibilité justement d’effectuer des manœuvres manuelles. L’équipage se prépare depuis longtemps, parce que l’on veut vraiment faire des ajustements très très très délicats pour procéder à l’arrimage. C’est une mission d’une durée de deux semaines environ, et la NASA ainsi que Boeing vont s’assurer de bien comprendre tout ce qui s’est passé lors du décollage et de l’arrimage, du désamarrage et du retour au sol. Chaque détail compte.
La prochaine mission en 2025 va avoir une durée de six mois pendant laquelle la capsule restera arrimée à l’ISS. Il restera donc du travail pour voir comment on peut prolonger la certification et garantir que rien ne changera pour une mission de six mois.
4. Pourquoi parle-t-on de vols commerciaux ?
Les véhicules qui emmènent les astronautes et décollent depuis le sol américain sont maintenant des entités commerciales, comme SpaceX pour les capsules Dragon ou Boeing pour Starliner […] Après 2030, la NASA a indiqué dans son plan général que les plateformes en basse orbite terrestre seraient possiblement des plateformes commerciales.
5. Quels sont les tests et recherches effectués sur ce type de mission ?
Dans la station, il y a presque sept astronautes en permanence, dont, habituellement, trois Russes. Les autres sont principalement américaines, avec en plus un ou deux astronautes japonais, européens ou canadiens.
Les tests pour Boeing seront principalement concentrés sur le décollage, l’arrimage, et le retour. Mais, entre-temps, l’équipage s’occupe des opérations de la station spatiale, comme changer des pièces ou orienter les panneaux. Il s’occupe finalement de l’entretien de celle-ci, avec de temps en temps des sorties.
Mais à l’intérieur, le but de la station, c’est d’être un laboratoire en microgravité avec des expériences qui regardent les multiples facettes. On peut simuler la microgravité, par exemple, en utilisant des vols paraboliques avec un avion qui monte et qui descend sur de courtes périodes de 20 secondes. Offrant de meilleures conditions que sur la terre, c’est l’idéal pour observer le phénomène sur une longue période, et voir, par exemple, ce qui arrive quand on fait pousser une plante, ou pour voir des phénomènes physiques ou biologiques.
Nous, au Canada, nous devons cibler nos recherches, et elles sont finalement sur les effets sur la santé. Même les scientifiques canadiens seraient intéressés par toutes les facettes de la microgravité, mais nous sommes un plus petit partenaire.
6. Pourquoi la santé ?
Nous avons choisi la santé pour deux principales raisons. La première, pour bien comprendre comment réagit le corps humain lorsqu’il est dans l’espace. Cela est un prérequis pour pouvoir s’aventurer un peu plus loin. Nous sommes chanceux, car un Canadien, Jeremy Hanson, va prendre place à bord de la mission Artémis 2 qui va aller autour de la Lune en 2025. Au fur et à mesure que l’on s’aventure un petit peu plus loin de la terre, il faut arriver à comprendre quels sont les effets des missions prolongées dans l’espace, et ce que nous pouvons faire pour réduire leur impact. Le but est aussi que les astronautes puissent se débrouiller par eux-mêmes en cas de problèmes de santé, sans une assistance au sol. Sur l’ISS, à 400 km d’altitude, il est possible de revenir sur terre assez rapidement en cas d’urgence, mais sur Artémis 2, une fois que l’on va vers la Lune, il faut plusieurs jours. Si un jour on parle d’aller vers Mars, des mois et des années.
Nous travaillons sur la santé des astronautes pendant la mission, et quand ils reviennent au sol. Mais la deuxième raison, c’est que si nous nous focalisons sur les astronautes, cela bénéficie aussi à la vie sur terre. La vie à bord de la station spatiale en microgravité simule un petit peu les mêmes effets que l’on voit pour un vieillissement ou ce qui arrive pour une personne très sédentaire. Les chercheurs ont ici l’opportunité de voir, en accéléré, les effets néfastes du vieillissement, d’une forte sédentarisation ou d’une longue immobilisation, par exemple, lors du remplacement d’un genou. On peut apprendre des choses dans l’espace et les mettre au service des gens au sol.
Pour rendre les astronautes autonomes face aux soins médicaux, c’est un petit peu le même défi auquel font face des personnes dans les régions éloignées du Nord canadien par exemple, où l’accès à un hôpital de fine pointe est plus difficile. Donc, qu’est-ce que l’on peut faire pour leur donner des outils de diagnostic et de traitement à distance, et leur permettre, justement, de régler des problèmes de façon plus efficace, sans avoir à transférer des patients finalement sur des kilomètres ?
Les recherches sont collaboratives et l’ASC propose des expériences canadiennes. Tous les astronautes, dont les Français et Européens, y participent sur une base volontaire.
Crédit Image à la Une : Lancement du vaisseau Starliner. Courtoisie de l’Agence spatiale du Canada. Source NASA. Photo Joel Kowsky