Quand on parle de science et de cuisine ou d’œnologie, on imagine souvent un savant fou transformant les aliments et vins au milieu de fumées, d’ordinateurs et d’explosions. Détrompez-vous! Chaque fois que vous cuisinez, vous créez des réactions. Vous faites de la science sans le savoir… La cuisine moléculaire est pratiquée par certains chefs qui s’appuient sur des scientifiques. Sans oublier la technologie qui prend de plus en plus présence. La rédaction de LES CONNECTEURS approfondit ces réflexions avec un créateur d’ateliers de cuisine moléculaire pour les jeunes, un chef primé exploitant la science des plantes sauvages québécoises et deux experts québécois en vin.
Pour lire l’article tel que paru initialement dans la revue animée et interactive LES CONNECTEURS :
Science de l’atome et cuisine
L’organisme Les neurones atomiques propose depuis 15 ans un atelier de cuisine moléculaire dans les écoles. Martin Brouillard, cofondateur et animateur, s’est inspiré de recettes du célèbre restaurant avant-gardiste Elbulli. « Nous étions des pionniers au Québec », dit-il. Parmi ces recettes des frères Adrià, une préparation de mangue mélangée avec du chlorure de calcium, trempée dans un bain d’alginate de sodium, une chaine de polymères et gélifiant naturel.
« Dans cet atelier, les jeunes fabriquent et dégustent des billes de caviar au jus de fruits », explique-t-il. Ce procédé s’inspire de la nature. Le caviar est fait à partir d’œufs d’esturgeons, ces poissons utilisant le calcium de leur environnement et l’alginate des algues qu’ils consomment. L’atelier recrée ce processus avec du jus de fruits et des molécules de laboratoire.
Lien techno
En termes de solutions technologiques, dans le même esprit, des applications émergent en matière de cuisine moléculaire afin d’optimiser la création d’associations d’aliments. Pensons à l’application québécoise Mon Ricardo + qui, en partenariat avec les firmes innovantes MoovAI et Tubulent, propose avec l’IA des repas personnalisés en fonction de vos goûts, allergies et habitudes. Pensons sinon aux réfrigérateurs intelligents, qui ont des caméras pour gérer les stocks, les listes de courses et les dates limites de consommation. Les fours connectés, aussi, sont équipés de caméras et peuvent être contrôlés à distance. Les robots de cuisine modernes arrivent quant à eux à tout faire sans intervention : peser, couper, mélanger, cuire, sauter ou chauffer à la vapeur. Il suffit de déposer l’ingrédient dans un bol. Enfin, en rentrant les produits présents dans votre frigo, l’application mobile Chef IA concoctera pour vous des recettes personnalisées.
Science des plantes sauvages et gastronomie
François-Emmanuel Nicol est le chef et propriétaire de La Tanière, élu restaurant de l’année au Québec. Il se souvient avoir beaucoup aimé son cours de science des aliments à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ) : « J’ai gardé cela en tête. On avait vu, par exemple, l’impact des acides et des produits basiques sur les couleurs. Nous avions appris comment garder le maximum de jus dans les viandes en observant les différents modes de cuisson et les temps très précis de cuisson ou de repos. »
Il travaille avec les plantes sauvages présentes au Québec, des espèces peu documentées, en échangeant parfois avec le biologiste et chercheur Fabien Girard. « Nous les testons en les infusant dans de l’huile, de l’eau, du sirop avec de l’eau et du sucre, de l’alcool neutre ou du vinaigre de vin blanc, pour constituer une base de connaissances gustatives. Les molécules aromatiques ressortent différemment », constate-t-il.
Selon les résultats, le chef intégrera ses plantes à tel ou tel nouveau plat, en fonction du goût et de la texture recherchés. « Si l’on infuse du gingembre dans de l’huile, on obtient un côté parfumé, mais non piquant. Nous constituons ainsi une carte des saveurs des plantes sauvages. Nous nous sommes aperçus que la racine d’armoise, plante envahissante très commune, en se mélangeant à du sucre, donnait un arôme de pain d’épice », note-t-il. Selon les espèces, il se sert des fleurs, feuilles, racines, fruits ou graines, pour agrémenter ses plats.
Lien techno
Avec un logiciel comme celui de Foodmeup, l’IA aide les chefs à concevoir un nouveau plat. L’algorithme va rechercher des milliers de recettes et d’ingrédients, et peut filtrer par produits de saison. Il crée automatiquement la fiche technique complète du plat (calcul de rentabilité, planification de la production, commandes à faire pour le confectionner, transmission des informations à la brigade en cuisine).
Vigne et chimie
Le climat est crucial : plus de soleil et de chaleur signifie plus de photosynthèse. « Elle permet aux raisins d’accumuler des sucres qui se transforment en alcool [éthanol] après fermentation », explicite Benoît Marsan, expert international en vin. Cette fermentation produit également du gaz carbonique et des glycérols, ajoutant de l’onctuosité au vin.
Vendanger précocement réduit le sucre et donc l’alcool, mais affecte les pigments, donnant des vins moins colorés. « Quand les raisins murissent, ils perdent en acidité et en notes végétales », ajoute M. Marsan. Cela contribue à la diversité des vins. Les vignerons recherchent l’équilibre entre sucre, acidité et pigments.
Après la récolte, les raisins sont écrasés à la cave. La fermentation doit commencer rapidement pour éviter l’oxydation, qui peut brunir le vin blanc. Il convient de prévenir la présence de moisissures ou d’excès d’acides acétiques (vinaigre), rendant le vin impropre à la consommation.
Lien techno
Le robot Ted, enjambeur électrique autonome, travaille dans un domaine français, sarclant et désherbant sans abîmer les vignes. En Nouvelle-Zélande, un autre robot Rd2, taille, pulvérise précisément et récolte. Des drones et capteurs y sont aussi utilisés pour surveiller la santé de la vigne. Des applications (comme Process2Wine) basées sur l’IA gèrent la production viticole de la création de la parcelle à la logistique, en passant par la fermentation.
Pour lutter contre le gel, le système à infrarouge Frolight, en Belgique, cible directement les bourgeons, et des tunnels (Viti-Tunnel) se déploient sur la vigne automatiquement en cas de forte pluie ou de climat extrême.
À la cave, la solution Wine Grid épaule le personnel dans la vinification, du pressage au vieillissement, en complément de l’installation de milliers de capteurs connectés. L’IA détecte ensuite automatiquement toutes les étapes de la production. Le logiciel analyse les données en offrant un suivi en temps réel de la température et du niveau de liquide, émettant des alertes et informant du bon moment pour ajouter les intrants (azote, nutrition, etc.).
L’œnologie aussi
Pour devenir œnologue au Québec, il faut un diplôme national français (DNO) ou un équivalent étranger, correspondant à une maitrise universitaire. Le DNO est accessible après des études en chimie, biologie, microbiologie, agronomie, ou pharmacie. « L’œnologue est le scientifique du vin, traitant de la culture de la vigne et de ses maladies […] », soutient Jean-Philippe Robert, président de l’Association canadienne des œnologues.
L’apprentissage inclut la chimie du vin (acides, polyphénols, sucres, alcools), les réactions enzymatiques, l’action des levures et des bactéries, et l’analyse sensorielle et chimique des vins en laboratoire. Les œnologues peuvent travailler dans des laboratoires-conseils, prendre la responsabilité d’un chai ou d’une cave. « Nous rendons visite aux producteurs de vin, goutons et analysons des échantillons au niveau biologique afin d’améliorer la qualité du vin », conclut M. Robert. Au Québec, une grande partie des œnologues évoluent dans les laboratoires du département qualité de la SAQ, assurant la conformité des vins.
Lien techno
Des applications comme Matcha wine sont des sommeliers virtuels. Ils prodiguent des conseils personnalisés pour choisir la meilleure bouteille en fonction de vos goûts, de votre fourchette de prix ou de votre repas. Il peut la sélectionner dans la carte des vins de certains restaurants.
Crédit Image à la Une : Magazine LES CONNECTEURS, édition