Alors que les villes intelligentes font peu à peu leur apparition à travers le monde en proposant des innovations d’aménagement urbain plus fonctionnelles et modernes, elles peuvent également révéler leurs limites concernant certains enjeux globaux. Répondent-elles réellement aux besoins complexes des communautés et aux crises mondiales qui les touchent? Ce sont les enjeux auxquels Numana tente de répondre en encourageant l’adoption du concept de « quartiers empathiques » comme alternative aux modèles traditionnels.
À l’occasion de la semaine MTL connecte, qui a rassemblé divers panélistes sur des sujets en lien avec les nouvelles technologies, Numana a pour sa part profité de l’occasion pour présenter son projet des quartiers empathiques, lancé en 2022, une initiative qui se veut au cœur des technologies bienveillantes.
L’empathie pour réfléchir globalement
L’empathie vise à compenser les lacunes des villes intelligentes, qui, selon les porteurs du projet, pourraient avoir des effets négatifs en raison d’un manque de vision globale, d’une priorité excessive accordée à la technologie plutôt qu’aux besoins de la communauté, et d’un défaut de consultation des citoyens.
Ce que l’étude de Numana soulève, ce sont les enjeux critiques d’éthique, d’inclusion sociale et de durabilité des villes intelligentes qui doivent prendre conscience qu’une autre utilisation des technologies est possible. L’objectif n’étant pas de les utiliser dans une approche purement optimale mais bien de les intégrer de manière éthique et participative pour mieux comprendre les besoins de la communauté.
« Un quartier empathique, c’est bien plus qu’un simple lieu de vie. C’est un espace où l’innovation technologique se met au service de la communauté, en favorisant l’inclusion, la résilience et le bien-être de toutes les personnes qui y vivent. »
– Numana
« Un quartier empathique, c’est bien plus qu’un simple lieu de vie. C’est un espace où l’innovation technologique se met au service de la communauté, en favorisant l’inclusion, la résilience et le bien-être de toutes les personnes qui y vivent. En intégrant les besoins et les aspirations des personnes concernées dès le début, ces quartiers créent des environnements plus durables et résilients, plus justes et plus agréables à vivre », décrit Numana.
Enfin, les fondateurs du projet conçoivent les quartiers empathiques dans le but de réinstaurer le lien entre individus et environnement, et ainsi de permettre une cohésion sociale afin de mieux réfléchir globalement à des enjeux mondiaux. Les fondateurs du projet font notamment référence au rapport publié en 2024 par Horizons de Politique Canada, qui attire l’attention sur le fait que des menaces imminentes telles que la crise climatique posent de sérieux défis pour les villes modernes.
L’initiative vise ainsi à ce que les progrès technologiques dans les villes n’exacerbent par les inégalités mais comblent plutôt les écarts entre les communautés.
Les principes pour mettre en place un quartier empathique
Alors que les technologies sont prédominantes dans les villes intelligentes, les représentants du projet ont la volonté d’utiliser ces technologies pour améliorer le bien-être des habitants, au-delà de la simple gestion urbaine. Interviennent ainsi certains principes pour mettre en place un quartier empathique, relatifs aux notions de gouvernance, de pérennité, de résilience ou encore d’inclusion.
L’inclusion de toutes les parties prenantes, y compris les résidents, donne ainsi plus de chance à la pérennité des solutions, qu’il faut réévaluer au fur et à mesure pour vérifier qu’elles conviennent à la communauté. Cette notion de réadaptation s’allie également à une approche systémique qui consiste à comprendre le milieu et le contexte pour faire évoluer les solutions.
Ces principes incluent également la gouvernance participative et accessible en impliquant activement la population locale et en mettant en place des mécanismes de soutien collectif pour éviter la fatigue des bénévoles. La volonté étant d’avoir une certaine mixité, que ce soient en termes générationnels, de groupes de minorités ou encore de déficience des individus afin d’avoir une approche complète.
Une utilisation éthique des technologies
Mais alors, comment intégrer des technologies bienveillantes qui respectent les balises éthiques ?

Anaïs Détolle, directrice et présentatrice du projet « Quartiers empathiques » de Numana à MTL connecte. (Photo : Sacha Israël)
Respecter les balises éthiques sous-entend ainsi de s’immerger dans le milieu urbain en favorisant l’échange et l’écoute avec la population qui s’y trouve. Pour ce faire, le projet suggère de faire de l’ethnographie, c’est-à-dire prendre le temps de vivre avec les individus pour comprendre les modes de vie.
Selon Anaïs Détolle, la directrice et présentatrice du projet, il faut « bénéficier d’une intelligence collective » qui, selon elle, apparaît comme une approche qualitative pour mieux comprendre le milieu. Cela induit ainsi d’expérimenter le milieu grâce à un indicateur de mesure d’impact pour évaluer en continu et assurer une pérennité.
Les solutions technologiques vont ainsi s’identifier aux besoins technologiques qui ont été repérés et maîtrisés lors de l’étude. Les quelques balises éthiques projettent ainsi la création d’un environnement inclusif, équitable et respectueux de l’environnement.
Elles incluent notamment la protection de la vie privée, avec une utilisation transparente dans la collecte, l’usage et le stockage des données des résidents, ainsi que la souveraineté qui garantit le contrôle qu’ils ont sur leurs données. Cela comprend également la littératie numérique promouvant l’éducation numérique responsable grâce à des formations et ressources éducatives.
Ces démarches viennent ainsi avec certains défis, notamment pour les entrepreneurs de technologies qui doivent garantir que leur base de données ne sera pas partagée à l’extérieur. Cela induit tout autant des défis de mise en marché et de retour sur investissement pour des bénéfices à long-terme.
Établir une norme pour les technologies bienveillantes
Afin de suivre la progression des technologies, le projet met l’emphase sur des échelles spécifiquement adaptées aux technologies bienveillantes, qui intègrent les enjeux éthiques à chaque phase du développement. Le Technological Readiness Level, dit TRL, décompose les étapes de fabrication d’un bien technologique, tandis que le Societal Readiness Level, dit SRL, veille à suivre les étapes de validation d’un service ou d’une innovation.
Ces deux approches ont ainsi pour vocation d’être intégrées dans le parcours de mise en marché et montrent leur utilité dans la demande de subventions en développement technologique.
Les obstacles et opportunités qui découlent des technologies dans le milieu social
Si certains défis se manifestent en termes de financement intersectoriel et de la longue durée du retour sur investissement, il est également d’autant plus complexe de développer des solutions technologiques dans un milieu social, comme l’explique la directrice du projet.
Selon Anaïs Détolle, il serait même nécessaire de faire une ethnographie sur un an afin d’avoir plus de données sur la vie des individus et de mieux comprendre les besoins technologiques et non technologiques des habitants, ainsi que les défis qui y sont reliés. Elle souligne également la rigidité des cadres réglementaires en aménagement qui s’identifie comme un obstacle.
Pourtant, la directrice du projet soutient que ces obstacles créent des opportunités. D’après elle, il faut prioriser les quartiers par des initiatives déjà existantes en centrant les approches sur l’humain. Elle incite d’ailleurs à collaborer avec des organismes existants qui travaillent déjà à rendre les cadres réglementaires plus flexibles, pour commencer à créer ces quartiers.
Le Québec, un écosystème riche pour accueillir les technologies bienveillantes
Les porteurs du projet Numana marquent l’importance de l’emplacement stratégique des quartiers empathiques et considèrent le Québec comme un écosystème riche en matière d’IA.
À travers ce projet, ils soulignent leur volonté de devenir des portes-paroles du TechForGood dans la province, renommée pour son écosystème académique fort et ses différents chercheurs qui œuvrent autour de l’IA et des technologies éthiques et durables.
Cet emplacement pousse d’ailleurs à collaborer avec des organismes divers, comme Numana le fait notamment avec la fondation Berthiaume-du-Tremblay, qui veut prochainement débuter une ethnographie pour comprendre les besoins de la population du Quartier des générations (situé dans le quartier Ahuntsic, Montréal) en termes de technologies bienveillantes.
Crédit Image à la Une : Sacha Israël