Alors que la santé est un sujet qui délie les langues au Québec, des instances gouvernementales se sont récemment rassemblées dans un colloque sur le thème d’une « nouvelle vision » portée sur la prévention. Une notion omniprésente dans le jargon des acteurs du système de santé, mais qui soulève de nombreuses interrogations quant à sa mise en place et ses retombées.
En présence de nombreux acteurs de la santé et de la rédaction CScience sur place, les langues se sont déliées pour évoquer les stratégies collectives visant à encourager une santé préventive.
Repenser et revoir la vision de la santé dans un contexte de prévention
Si on a tendance à penser que les soins de santé dépendent d’une question d’offres et de demandes, c’est précisément ce que le ministre de la santé a mis de l’avant dans son allocution lors du colloque sur une nouvelle vision de la santé, tenu le 1er novembre dernier.
Le « sur trop » de demandes, allié au manque d’offres dans les services de soins de santé, constitue alors l’un des enjeux majeurs de société.
Christian Dubé, ministre de la Santé, a ainsi évoqué quelques facteurs accentuant l’augmentation de la demande, notamment le vieillissement de la population, qui représente un défi dans l’offre des soins mais aussi dans le budget de la santé accordé par le gouvernement.
« En 2004, le budget de la santé était de 22 milliards. En 2018, 40 milliards. Cette année, le budget va dépasser les 60 milliards, c’est une augmentation de 50 % en 6 ans. (…) C’est intenable. »
– Christian Dubé, ministre de la santé
Selon le ministre de la santé, il est ainsi primordial de travailler en amont sur la demande, et donc en prévention afin d’être en mesure de réussir cette augmentation des besoins en services de santé.
Une vision à long terme
L’un des principaux enjeux cités par le ministre de la Santé concerne les mauvaises habitudes de vie qui représentent un coût annuel considérable. Tabagisme, obésité ou encore alcoolisme ; ces habitudes de vie au coût exponentiel s’élèvent entre 3 et 4 milliards de dollars octroyés par le gouvernement chaque année.
Pour cette vision à long terme, le ministre indique le besoin « d’inverser la tendance » en se concentrant sur quelques gestes de prévention mis en place, notamment les politiques de dépistages de cancer et de vaccination, qui montrent un fort potentiel, selon lui.
Des initiatives qui doivent être communiquées au grand public pour prendre effet et s’avancer vers un système plus préventif : « la communication de ces saines habitudes de vie, c’est la mesure qui est la moins dispendieuse mais la moins utilisée, il y a un effort à faire », affirme Christian Dubé.
Cette démarche de communication s’apparente également à un travail d’accès aux données, qui contribue fortement à l’atteinte de cette vision pense-t-il, se réjouissant des efforts menés quant à cet aspect.
M. Dubé ne manque d’ailleurs pas d’évoquer la recherche et les sommes qui y sont consacrées notamment pour promouvoir l’innovation dans la santé, en collaboration avec tout un ensemble d’acteurs de l’écosystème.
L’objectif étant bel et bien de travailler en interdépendance avec les milieux d’enseignement et les ministères sur la recherche, même s’il affirme en parallèle le défi que cela pose pour mettre en place cette intersectorialité.
Le ministre espère ainsi la mise en place d’une politique nationale de prévention résultant d’une grande consultation avec tous les partenaires du réseau de la santé.
Rassembler les joueurs pour faire face au changement démographique
Une démarche de collaboration d’ailleurs similaire avec le plan « Fierté de Vieillir » mis en place par la ministre responsable des Aînés, Sonia Bélanger, qui aborde l’enjeu du changement démographique en cours.
« Aujourd’hui il y a 1.8 millions des québécois qui ont 65 ans et plus. En 2031, on en sera à 2.3 millions. C’est 24% de notre population. »
– Sonia Bélanger, ministre responsable des Aînés
Le plan gouvernemental 2024-2029, qui s’étend sur 5 ans, mobilise ainsi plus de 30 ministères et organismes de divers secteurs pour mettre en place des mesures de santé visant à soutenir les personnes âgées, notamment à travers l’aide à domicile et des actions de prévention liées aux maladies qui les touchent, comme la politique de lutte contre la maladie d’Alzheimer.
Selon les intervenants, ce projet solidifie cette démarche d’intersectorialité, qui a pour ambition d’approfondir la vision de la santé.
« Cette révision de nos rôles nous donne une occasion en or de retravailler ensemble sur de nouvelles bases et de continuer à prendre tous les bons coups qui ont été faits en santé publique et avec les milieux de recherche, l’enseignement, l’éducation (…) »
– Sonia Bélanger, ministre responsable des Aînés
La santé populationnelle pour une santé durable
« La santé populationnelle est l’idée d’agir avant que la maladie se présente. »
– Joanne Castonguay, Commissaire à la santé, Gouvernement du Québec
Si les nombreuses ambitions des ministères sur le système de santé projettent une vision plus prospère, Joanne Castonguay s’interroge sur cette valeur systémique et souligne la nécessité de transformer le système de santé au Québec et dans tous les pays industrialisés.
Elle soutient notamment que le système actuel est davantage axé sur la quantité de services plutôt que sur les résultats, et pointe du doigt les nouveaux risques sociaux en croissance qui posent un enjeu sur la santé.
Ces risques sociaux, relatifs à l’augmentation de l’itinérance, l’intégration des immigrants ou encore le changement climatique sont présentés comme facteurs à impact déterminant sur la santé des individus.
« L’éducation, l’enseignement… Il y a toute une panoplie de domaines où il y a urgence d’investir, notamment dans le changement climatique. On ne peut pas juste augmenter les budgets de la santé, il faut penser autrement. »
– Joanne Castonguay, Commissaire à la santé, Gouvernement du Québec
La commissaire à la santé adhère ainsi à l’idée de partager la responsabilité et de collaborer avec d’autres secteurs pour soutenir les populations vulnérables. Elle défend ainsi cette approche de la santé populationnelle, qui consiste à analyser les caractéristiques de la population pour adapter l’offre de services.
Quelles ressources à mettre en place au Québec ?
Cet objectif d’agir sur les déterminants de la santé pour adapter l’offre de services confirme le besoin d’accès généralisé aux données pour y arriver. C’est ce que soutient le sous-ministre adjoint au ministère de la Santé et des Services sociaux et directeur national de santé publique du Québec, Luc Boileau, qui considère la réduction des inégalités sociales ainsi que le maintien de la santé de la population comme finalité de la santé publique.
Partisan de cette volonté de collaboration à travers le souhait d’une « complicité élargie » avec les experts, Luc Boileau affirme tout de même que le Québec dispose de nombreuses ressources compétitives.
« Plusieurs considèrent qu’on n’a pas assez d’argent. C’est vrai, on pourrait en avoir plus, on peut toujours en avoir plus, mais il faut faire attention sur les simplicités à dire qu’on a juste 2 % de notre budget qui va là par rapport aux autres provinces canadiennes (…). Ce qu’on réalise, c’est qu’il y a énormément de ressources, d’énergie, de politiques qui sont ajoutés au niveau québécois lorsqu’on se compare aux autres juridictions, on n’est pas mauvais. »
– Luc Boileau, sous-ministre adjoint au ministère de la Santé et des Services sociaux et directeur national de santé publique du Québec, Gouvernement du Québec
Désireuse de l’interpeller quant aux préoccupations des Québécois, la rédaction de CScience a tenté de s’entretenir avec Luc Boileau sur ces questions, qui a refusé en amont toutes sollicitations des journalistes, filtrées par les organisateurs. Il n’a pourtant pas manqué de demander que la foule lui souhaite bonne fête à la fin de son allocution.
@chloe_decode Visiblement, pour Luc Boileau, se faire chanter « Bonne fête » était plus important que de répondre aux questions de notre journaliste et de la population, vendredi le 1er novembre dernier, au Colloque « Une nouvelle vision de la santé » organisé par l’ASPQ. On nous dit de faire un travail plus nuancé, rigoureux et équilibré, c’est ce que m’avait rappelé son collègue Horacio Arruda en entrevue au début de l’année, et ça s’entend! Mais si on refuse systématiquement d’être “challengé” par les journalistes, comment ces derniers peuvent-ils faire preuve de la rigueur et de la nuance qu’on attend d’eux?! #quebec #nouvelle #debat #sante #lucboileau #gouvernement #legault #journalistes #presse #fpjq #journaliste #cscience #lesconnecteurs #libertedepresse #journalisme #opinion #reflexion ♬ original sound – Chloe-Anne Touma
Images captées par Sacha Israël
Outils, financement, données, innovation… Quels axes majeurs pour arriver à un consensus ?
Sollicité par CScience, Thomas Bastien, directeur général de l’ASPQ, travaille en vue d’une culture de prévention et de réduction de la maladie, reliée à quatre axes majeurs pour y arriver, selon lui.
Ces axes comprennent alors un acte de gouvernance, un plan national de santé publique, une politique gouvernementale de prévention et promotion de la santé ainsi que l’utilisation de la loi de la santé publique.
Selon le répondant, plusieurs problématiques relatives à ces axes doivent être adressées pour atteindre un système préventif efficace. Il soutient ainsi le besoin de mieux valoriser les outils à notre disposition ainsi que les montants de financement du ministère de la santé.
Il évoque notamment un « sous-financement chronique » au Canada qui se trouve à « des années lumières des pays nordiques. » D’après lui, d’autres initiatives pourraient être mises en place pour attirer du financement, notamment à travers des incitatifs, des programmes, ou des taxes pour récolter de l’argent, qui permettraient d’avoir à la fois un effet positif sur la réduction de certains comportements délétères pour la santé, tout en augmentant les ressources gouvernementales.
« Actuellement il y a 2 % du financement du ministère de la Santé vers la prévention. Si on veut vraiment aller vers un système qui va vers la prévention, il faut doubler, tripler les montants qui sont investis pour avoir les effets escomptés. »
– Thomas Bastien, directeur général de l’ASPQ
En matière de données, il est ainsi essentiel selon lui d’accéder aux données du nombre de malades pour aider la réduction de la maladie. Pourtant, il soutient en parallèle qu’il est impossible d’aller chercher ces données sur les maladies à cause du manque de tableaux de bords qui répertorient les maladies. Le répondant souligne alors la complexité de travailler en prévention et en réduction de la maladie sans ces données.
Évoquant le volet d’innovation, le directeur général de l’ASPQ soutient pourtant que malgré l’arrivée de nouvelles solutions d’accompagnement des patients, le manque se fait ressentir en prévention.
« Aujourd’hui, le milieu de la santé utilise le milieu entrepreneurial pour trouver des solutions, comment ça se fait qu’on ne le fasse pas en prévention ? Pourquoi il n’y a pas des personnes qui se valorisent comme des entrepreneurs de prévention ? C’est ça qu’on aimerait voir au Québec. »
– Thomas Bastien, directeur général de l’ASPQ
La communication, une arme suffisante pour prévenir les mauvaises habitudes de vie ?
Ces mauvaises habitudes de vie évoquées par le ministre de la santé font pourtant l’objet d’interrogations sur ses causes. La sédentarité, l’obésité ou encore le tabagisme constituent des problèmes de société majeurs qui nécessitent une prise en charge conséquente. Les messages de promotion de la santé seront-ils suffisants pour convaincre les fumeurs d’abandonner la cigarette ?
Interrogé sur la question, Thomas Bastien est d’avis que ces tentatives de prévention sont réalisables mais que la communication ne sera pas suffisante. Pour que cette dernière soit efficace, elle se doit d’être alliée aux éléments de financement, de gouvernance, de données ou encore d’innovations cités par l’intervenant.
La stabilité de l’écosystème dépend alors de ces axes majeurs pour le directeur général de l’ASPQ, essentiels pour une santé durable.
Crédit Image à la Une : Image à la Une : Colloque sur la nouvelle vision de la santé. (Photo : Sacha Israël)
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