SexTech : L’industrie du sexe face au défi de concilier éthique et innovation

SexTech : L’industrie du sexe face au défi de concilier éthique et innovation

Si vous pensiez que les technologies de rupture épargneraient votre intimité, c’est raté. Du jouet intelligent au compagnon virtuel en passant par l’érobotique, l’innovation technologique s’intéresse désormais à notre vie sexuelle, posant plus que jamais des enjeux déontologiques. Alors comment innover de manière éthique dans la filière SexTech ? C’est à cette question que les membres du collectif SexTech For Good ont tenté de répondre lors de la seconde édition de leur festival le 18 octobre dernier à Lyon, en France.

« Il faut définir la SexTech à partir de l’éthique, et non l’inverse ». Brice Gouvernet, psychologue et maître de conférence à l’université de Rouen, plante le décor dès l’ouverture du festival. Selon lui, la filière SexTech pose des « questions sociales, technologiques et sexologiques » qu’il est primordial d’encadrer à l’heure où l’innovation de rupture envahit déjà notre sphère intime. 

Rejouis est une start-up française spécialisée dans les sextoys reconditionnés et adhérente du collectif SexTech For Good. Crédit photo : Laurie Bruno

SexTech For Good, un collectif dédié à l’éthique de la filière

Mais de quoi parle-t-on exactement ? La SexTech englobe l’ensemble des nouvelles technologies axées sur le plaisir sexuel. Éducation, santé, plaisir, autant d’aspects de la sexualité humaine enrichis ou transformés par la technologie.

Longtemps stigmatisée, cette filière tend à se normaliser, jusqu’à atteindre 108 milliards de dollars en 2027 selon une étude de l’Allied Market Research. En clair, la SexTech entend mettre l’innovation au service du bien-être sexuel.

Une philosophie portée depuis six ans par le collectif SexTech For Good, fondé et présidé par Christel Bony. « En tant qu’acteurs, on nous oppose souvent notre éthique, notre politique, et même notre raison d’être » s’indigne la fondatrice du collectif, « alors on a voulu mettre un cadre pour obtenir la confiance des acteurs et avancer ».

Il y a dix ans, l’entrepreneure et sexologue lance B. Sensory, la toute première start-up française de la filière SexTech spécialiste des nouvelles érotiques connectées. Aujourd’hui, le collectif regroupe une cinquantaine d’acteurs de la filière en France, des jouets connectés aux applications mobiles en passant par l’audio, la cosmétique ou encore l’art.

« En tant qu’acteurs, on nous oppose souvent notre éthique, notre politique, et même notre raison d’être, alors on a voulu mettre un cadre pour obtenir la confiance des acteurs et avancer »

— Christel Bony, fondatrice du collectif SexTech For Good

L’un des plus connus du marché français Passage du Désir figure parmi les adhérents, aux côtés d’une pluralité de jeunes acteurs comme l’enseigne de sextoys reconditionnés Rejouis, la marque d’alèses imperméables Founty, ou l’application mobile d’événements érotiques Senskle.

De l’urgence d’encadrer l’innovation

Parmi les principales missions du collectif figure la nécessité d’innover pour adresser un maximum de problématiques dans le respect des personnes et de l’environnement. « La sexualité s’empare de la technologie, on peut pas faire autrement que cette rencontre » rappelle d’ailleurs Brice Gouvernet. Si la rencontre est inévitable, et déjà actée, il est urgent de l’encadrer. À commencer par l’utilisation de l’IA. 

Brice Gouvernet défend l’encadrement de l’IA dans la filière SexTech. Crédit photo : Laurie Bruno

La filière SexTech, comme toute filière, est confrontée aux enjeux de neutralité des outils d’intelligence artificielle. « Aujourd’hui, toute IA est pétrie de biais », martèle Fanny Parise. Cette anthropologue spécialisée dans l’étude des transformations socioculturelles contemporaines dirige la Chaire Managia, une équipe de recherche dédiée à l’intelligence artificielle formée et lancée en février dernier. Elle insiste sur la nécessité d’adresser ces biais pour construire une filière SexTech « saine et inclusive ».

« La sexualité s’empare de la technologie, on peut pas faire autrement que cette rencontre »

Brice Gouvernet, psychologue et maître de conférence à l’université de Rouen

L’anthropologue soulève également la question des maisons closes virtuelles, ou des avatars programmés pour être agressés. « Aujourd’hui, on observe plein de cas d’usage d’IA générative qui sont en train de construire une réalité qui échappe à l’éthique » déplore-t-elle. Des cas d’usage parfois déjà accessibles aux adolescents, et qui questionnent notre humanité. « Par capillarité, on va avoir une société anomique dont les droits vont être chamboulés » met en garde l’experte, rappelant que dans toute autre filière, l’IA générative avance plus vite que sa propre réglementation.

Vers une charte éthique

Autant d’enjeux qui nécessitent urgemment un cadre strict, pour à la fois protéger le grand public et garantir le bon développement de la filière. À ce titre, l’une des raisons d’être du collectif réside dans la mise en place d’une charte éthique, un cadre réglementaire qui permettrait la labellisation d’une IA éthique dans le secteur de la SexTech.

La seconde édition du festival SexTech For Good s’est déroulé à La Source à Lyon. Crédit photo : Laurie Bruno

En tant que première agence dédiée à la promotion et au développement de projets innovants dans tous les domaines de la sexualité, l’organisme incarne déjà un premier garde-fou face à la place grandissante des technologies de rupture.

Quant à la réglementation, loin de freiner l’innovation, elle doit être envisagée comme une force selon Brice Gouvernet : « Un label, un agrément “IA éthique” reconnu dans le secteur de la SexTech, c’est promouvoir une SexTech européenne forte ». Fanny Parise abonde dans son sens, soulignant que l’Europe laisse déjà entrevoir un horizon positif en matière d’éthique, notamment avec l’IA Act et le Bureau européen de l’IA. « Plus les acteurs concernés mettront des balises claires, plus on va construire une expérience positive dans la filière » conclut-elle.

« Plus les acteurs concernés mettront des balises claires, plus on va construire une expérience positive dans la filière »

— Fanny Parise, anthropologue et directrice de Chaire Managia

« L’intelligence artificielle n’est pas une fin en soi, c’est simplement un outil qui doit apporter une réponse à un moment donné » rappelle Fanny Parise en clôture de conférence, nous invitant à réfléchir au degré d’incarnation de ses outils liés à notre intimité. « Il faut décider ensemble jusqu’où l’on va, de quelles intentions on dote ces technologies. C’est ce qui fera le futur de l’IA générative dans la SexTech ».

Pour aller plus loin :

[AMOUR + TECHNO] Sexe, désirs et data : Quand le désir rencontre l’art technologique

Crédit Image à la Une : Laurie Bruno