Dans un monde de plus en plus connecté, la question de l’impact environnemental du numérique devient cruciale. Devant des industries technologiques en constante expansion, les petits gestes individuels font-ils vraiment la différence? La sobriété numérique cible-t-elle suffisamment tous les acteurs importants pour un avenir plus durable?
Pour lire la version originale de cet article dans la revue interactive et animée LES CONNECTEURS :
La sobriété numérique est, entre autres, mais pas uniquement, l’adoption de gestes individuels quotidiens pour réduire la pollution du virtuel : fermer des onglets non utilisés, baisser la luminosité de ses écrans, éteindre ses appareils électroniques plutôt que de les laisser en mode veille, faire le ménage des boîtes courriel et des nuages, etc. L’application mobile EcoistClub, conçue au Québec, aide à prendre conscience des impacts de la consommation numérique et à faciliter la transition vers une sobriété numérique.
Une recherche sur ChatGPT consomme près de 10 fois plus d’électricité qu’une recherche Google.
Parce que les impacts de l’usage numérique sont bien réels. Selon des chercheurs de l’Université de Lancaster, les activités numériques représentaient en 2021 entre 2 et 4 % des émissions mondiales annuelles de gaz à effet de serre (GES), ce qui dépasserait les émissions de GES du transport aérien. Si le numérique engendre déjà un peu plus de 10 % de la consommation mondiale d’électricité, l’IA exacerbe cette demande, alors qu’une recherche sur ChatGPT consomme près de 10 fois plus d’électricité qu’une recherche Google, nous l’apprend la banque d’investissement Goldman Sachs sur son blog.
Sobriété numérique, bien plus que des actions quotidiennes
Au-delà des gestes quotidiens, la sobriété numérique passe aussi par la réalisation que le numérique « n’est pas une industrie immatérielle ». Anne-Céline Guyon, analyste climat pour Nature Québec, explique que quand on parle de numérique, on a l’impression qu’on parle de vide, de nuages et que le virtuel est quelque chose qui n’est pas palpable. Mais nos objets technologiques sont faits avec des matières qui ne sortent pas de nulle part, qui ont été extraites et qui, donc, ont aussi un coût environnemental énorme. Je pense qu’il va falloir aussi que les gens comprennent que c’est tout sauf dématérialisé. »
Les « appareils des utilisateurs » ont raison de 32 à 57 % de la production des GES en matière de numérique, toujours selon les chercheurs de l’Université Lancaster. Ce pourcentage nécessite d’être divisé en observant l’analyse du cycle de vie (ACV) de ces objets : le poids environnemental de leur fabrication et de leur transport dépasse souvent largement celui de leur utilisation, d’où l’importance de limiter leur remplacement rapidement.
En plus d’adopter des comportements responsables en ligne et de conserver aussi longtemps ses appareils numériques, une réflexion sur nos rapports aux technologies est à avoir pour se diriger vers une meilleure sobriété numérique. Le nombre d’objets connectés connaît une montée en flèche. En moyenne, on parle de près de 20 appareils connectés par foyer ayant accès à Internet, aux États-Unis.
« Peut-on réfléchir au besoin de voir nos courriels sur notre porte de frigo dans la vie, alors que tout le monde à l’heure actuelle est en train d’étouffer sous la recherche de performance, et de courir dans tous les sens ? (…) On nous crée des besoins dont on n’a pas besoin », déplore Mme Guyon.
Quand l’individu n’est pas une cible suffisante
Ainsi, il est indéniable que les individus aient un rôle important à jouer dans les émissions de GES du système numérique et dans la prise de conscience collective pour un avenir plus durable.
Par contre, la sobriété numérique tend souvent à « continuer sur exactement le même modèle », soit celui de la responsabilisation individuelle, alors que « pendant ce temps-là, il n’y a aucune réglementation à l’heure actuelle sur le développement de l’intelligence artificielle, alors que cela crée des enjeux éthiques, environnementaux et moraux incroyables », dénonce Mme Guyon.
« On aura beau communiquer sur tous les changements individuels, si les gouvernements et le milieu industriel ne mettent pas en place les alternatives, les individus ne pourront pas faire les bons gestes. »
– Anne-Céline Guyon, analyste climat pour Nature Québec
Elle ajoute que, malgré la bonne volonté des utilisateurs, en termes d’avenir durable, « On aura beau communiquer sur tous les changements individuels, si les gouvernements et le milieu industriel ne mettent pas en place les alternatives, les individus ne pourront pas faire les bons gestes ».
La population québécoise est « prête » pour une accélération de la mise en place d’importantes décisions environnementales qui dépassent l’échelle de recommandations individuelles. Selon le baromètre de l’action climatique 2023, 77 % des Québécois croient « qu’en s’unissant, l’ensemble des acteurs (gouvernements, entreprises, individus, etc.) pourraient exercer une influence concrète contre la crise climatique ». Cependant, seulement 38 % des Québécois croient que cet ensemble agit de manière efficace.
Anne-Céline Guyon note « qu’on ne peut pas dire que le gouvernement ne sait pas que la population du Québec est mobilisée sur ces enjeux-là et veut de l’action climatique, mais il a décidé d’en faire le minimum. Et ça, c’est lui qui l’a décidé », défend-elle.