La traçabilité des images : bientôt une norme dans l’industrie de la photo

La traçabilité des images : bientôt une norme dans l’industrie de la photo

La traçabilité de l’image, une fonctionnalité permettant de vérifier l’authenticité d’une photo une fois en circulation sur le web, est adoptée par de plus en plus de grands fabricants d’appareils photo. Le but est de combattre les fausses nouvelles en lien avec le développement fulgurant des outils d’intelligence artificielle.

Fujifilm est le plus récent manufacturier à avoir ajouté cette technologie. Sa nouvelle caméra, la GFX100S II, annoncée ce 16 mai par l’entreprise japonaise, est plus compacte que sa cousine, la GFX100 II, et produira des images qui pourront être authentifiées à l’aide de l’outil Content Credentials. Ce dernier, développé par la Coalition pour la Provenance et l’Authenticité du Contenu (C2PA), organisation cofondée par Adobe et l’Initiative sur l’Authenticité du Contenu (CAI), permet de détecter si une image est originale ou si elle a été modifiée.

Connu pour ses appareils photo amateurs compacts qui simulent les couleurs nostalgiques des caméras argentiques, Fujifilm a annoncé, en même temps que la GFX100S II, son adhésion au C2PA et au CAI. La compagnie mentionne dans un communiqué que « ces dernières années, rétablir la confiance en ligne en prouvant l’authenticité des photographies et des vidéos est devenu un enjeu mondial important ». Le fabricant s’engage donc à « développer un système pour fournir le contexte et l’historique du contenu numérique en fournissant des informations précieuses, telles que l’origine et l’enregistrement du contenu, au fichier image », et promet d’intégrer la traçabilité des images dans ses futurs produits de séries GFX et X.

Comment fonctionne la traçabilité ?

Andrew James Gentile, photographe professionnel et formateur chez Gosselin Photo, explique qu’en regardant une photo prise avec une caméra qui permet la traçabilité des images, « dans l’information du fichier, il y a une couche cryptée, qui identifie que la photo était originalement un fichier pris par un capteur d’un appareil photo réel ». Donc par exemple, si une photo prise avec une GFX100S II, ou même une Leica M11-P, qui fut la première caméra au monde à posséder cette fonction, est modifiée avec une intelligence artificielle ou un logiciel de retouches, ses modifications vont s’ajouter à son historique de données. Content Credentials pourra les détecter. Disponible en page web distincte où l’on peut glisser un fichier pour l’analyser, il existe également sous forme d’extension sur Google Chrome. Une fois l’extension ajoutée au navigateur, il suffit de cliquer sur son épingle placée dans le coin supérieur droit de l’écran pour analyser une image sur le web.

« C’est un peu embêtant que l’on doive authentifier l’art de la photographie. »

– Andrew James Gentile, enseignant en photographie

Ce processus de vérification ne fonctionne qu’avec les caméras qui possèdent cette technologie. Une image prise avec un appareil photo manufacturé avant 2023 ou 2024 ne sera pas compatible. Cela dit, ce ne sont que quelques rares modèles sortis dans la dernière année qui ont souscrit aux normes de la C2PA. M. Gentile croit que « c’est un peu embêtant qu’on doive authentifier l’art de la photographie », mais que la traçabilité de l’image est une norme qui devient nécessaire et qui deviendra un standard dans l’industrie de la photographie dans un futur proche.

Un coup d’épée dans l’eau ?

C’est un pas dans la bonne direction pour contrer la désinformation. Fujifilm est loin d’être la première marque à se joindre à cette mission. Nikon, Canon et Leica, des géants de la photographie, font également partie de la C2PA, sans oublier les géants de la Tech comme OpenAI, Microsoft, Google et Adobe, qui en sont aussi membres.

La traçabilité des images n’est pas parfaite, mais elle agit comme un bouclier face à une volée de flèches qu’elle ne peut pas bloquer à elle seule. Andrew James Gentile fait remarquer que beaucoup d’images ne sont pas créées avec un appareil photo traditionnel aujourd’hui. En s’inspirant de la citation du photographe Chase Jarvis, il rappelle que « l’appareil photo qui est le plus important, c’est celui qui est sur soi, et souvent, c’est un téléphone ». De nombreuses images sont capturées avec un cellulaire, même certaines publiées dans des médias traditionnels, souvent pour la vidéo et les publications destinées aux réseaux sociaux. L’enseignant rappelle que « la photographie mobile est beaucoup affectée par l’intelligence artificielle », et que les appareils cellulaires traitent leurs images en grande partie en temps réel. « Juste le fait d’avoir un fond flou [sur une photo de type portait], un téléphone ne peut pas le produire [seul] parce qu’il voit à l’infini. Donc techniquement, c’est un traitement que l’ordinateur du téléphone applique tout seul », ajoute-t-il.

Pour lui, la traçabilité des images n’aura pas un grand impact tant qu’elle ne sera pas également  intégrée en tant que fonctionnalité dans les téléphones Android et d’Apple.

De plus, les boitiers qui possèdent cette fonctionnalité en ce moment ne sont pas des appareils d’entrée de gamme, mais plutôt destinés aux photographes professionnels, dont la valeur oscille entre 5 000 et 15 000 $. Les amateurs de photographie qui veulent avoir accès à cette technologie devront attendre encore un moment. Enfin, comme la CAI le mentionne sur son site web, « bien que les informations d’identification de contenu dans les métadonnées d’un fichier ne peuvent pas être falsifiées sans détection, les métadonnées de toute nature peuvent être supprimées délibérément ou accidentellement ». Les méthodes d’authentification pourraient donc être contournées.

Selon l’expert, la traçabilité des images aidera à combattre les fausses nouvelles, mais il faudra avant tout que la société soit ouverte à faire l’exercice de se questionner sur les images qu’elle voit, pour que l’outil ait un réel impact. Les photographes et internautes possèdent une arme de plus pour combattre les fausses nouvelles, il reste donc à voir s’ils l’utiliseront.

Crédit Image à la Une : Annie Spratt/Unsplash