Dans la quête pour améliorer la santé des individus et des communautés, la recherche joue un rôle central. L’approche émergente de la santé globale transcende les frontières disciplinaires, intégrant les perspectives médicales, sociales, économiques et environnementales, pour mieux comprendre et répondre aux défis complexes de la santé publique. Comment cette nouvelle manière de penser la santé en recherche ouvre-t-elle la voie à des solutions innovantes et durables pour promouvoir le bien-être de tous, aujourd’hui et pour les générations à venir ?
Selon Carole Jabet, directrice scientifique du Fonds de recherche du Québec – Santé, il faut cibler toutes les disciplines qui sont interpellées et impliquées dans le processus, pour comprendre, à travers l’exercice, qu’en plus des professionnels de la santé, dont les médecins, d’autres acteurs sont aussi indissociables de la démarche, comme ceux des sciences humaines et sociales.
« (…) il y a un certain nombre d’intervenants, qui sont les récipiendaires de la connaissance que l’on génère, mais que l’on oublie de mentionner. »
– Carole Jabet, directrice scientifique du Fonds de recherche du Québec – Santé
« Ce qu’il faut sans doute préciser pour démystifier l’approche de la recherche en santé globale, c’est qu’il y a un certain nombre d’intervenants, qui sont les récipiendaires de la connaissance que l’on génère, mais que l’on oublie de mentionner. Par exemple, si l’on souhaite redessiner sa ville et améliorer l’endroit où l’on vit, qui s’inscrit au chapitre des facteurs influençant la santé des individus, il faut inclure des urbanistes, des économistes et responsables de politiques publiques. Ça s’étend aussi aux employeurs. Et comme la santé globale s’exerce en dehors des établissements de santé, il faut aussi faire rentrer dans la boucle toute l’ingénierie et toutes les technologies qui vont permettre d’accompagner cet état de santé. »
Soutenir une recherche collaborative et l’interaction entre milieux
Comment les Fonds de recherche répondent-ils à ces objectifs de santé globale ? Selon la directrice scientifique du FRQS, en agissant pour créer de la capacité de recherche, pour que recherche soit performante en la matière, au Québec, au Canada et ailleurs dans le monde.

Carole Jabet
« Au Fonds Santé (FRQS), on s’occupe des soins et services de santé et on mobilise toute la recherche pour s’assurer d’avoir les meilleurs soins et services de santé possible. C’est donc tout le volet biomédical qu’on essaie d’ouvrir. Si l’on se tourne vers le Fonds Société et culture (FRQSC), là, c’est de tout l’aspect des sciences sociales et des approches que l’on va adopter au ministère de la Santé, dont il est question. C’est ce Fonds qui vient les soutenir et les développer. Du côté du Fonds Nature et technologies (FRQNT), quand on aura besoin d’algorithmes pour détecter une tache sur un poumon et diagnostiquer un cancer, ce sont les ressources du FRQNT qui viendront y répondre. »
Elle rappelle l’un des premiers mandats des FRQ, qui implique de soutenir des talents et carrières, par le financement de chercheurs et d’étudiants, mais aussi la mise en place de regroupements pour renforcer la cohésion entre eux et permettre que la recherche se fasse mieux. « On peut les aider à diversifier leurs domaines d’expertise, par exemple, dans le cas d’un étudiant en intelligence artificielle qui voudrait travailler dans le domaine de la santé et qui aurait besoin de stages en santé, auprès de patients, dans des organismes communautaires, pour s’y familiariser. Comme Fonds de recherche, nous pouvons adapter notre programme pour permettre cette mobilisation autour d’objectifs communs, ce qui rend le tout très intéressant. »
« Lorsque je veux poser une question, je ne commence plus par une équipe de recherche. Je me tourne d’abord vers des organismes communautaires, une municipalité, un groupe d’individus (…) »
– Carole Jabet, directrice scientifique du Fonds de recherche du Québec – Santé
De nouvelles idées, issues d’équipes qui existaient déjà mais qui n’échangeaient pas, émanent alors au sein d’un milieu de recherche reconstitué, diversifié et pluridisciplinaire. « Et qui dit nouvelles idées, dit aussi nouvelles connaissances, et nouvelles applications qui vont pouvoir se développer. Cette capacité de faire des maillages est d’autant plus importante dans le contexte où l’on a des objectifs de santé globale. »
Elle ajoute qu’en tant qu’organisme légitime ayant pignon sur rue, et exerçant une certaine autorité, les FRQ sont amenés à « beaucoup dialoguer avec des organismes homologues à l’international. Nous portons alors à la fois le chapeau d’ambassadeurs, et celui de promoteurs, et jouissons de tribunes d’échanges qui nourrissent les réflexions et nous aident à adapter nos programmes. Nous réalisons aussi que tous les organismes se posent les mêmes questions : comment favoriser la recherche participative ? Qu’est-ce que la science de la durabilité ? Comment mène-t-on un vrai dialogue science-société ? »
Les FRQ se sont donc inspirés de ce modèle pour reproduire une courroie de transmission similaire à l’échelle locale, « à l’envers », tel que l’exprime Carole Jabet : « Lorsque je veux poser une question, je ne commence plus par une équipe de recherche. Je me tourne d’abord vers des organismes communautaires, une municipalité, un groupe d’individus, pour leur demander, par exemple, quel est leur problème de santé durable, et la démarche de recherche se génère ensuite à partir de leurs propres questions. »
Les retombées concrètes de la recherche collaborative
La Chaire de recherche en santé durable
La Chaire de recherche en santé durable, créée en 2023 par le Fonds de recherche du Québec – Santé (FRQS), et attribuée aux cotitulaires scientifiques Jean-Pierre Després et Catherine Laprise, mais aussi à des cotitulaires citoyens en Guy Poulin et Nadine Arbour, s’inscrit au chapitre des initiatives structurantes qui engagent justement le pas vers une nouvelle façon d’aborder la santé des Québécois, et qui permet aussi de passer de la recherche fondamentale à appliquée, grâce au partage de connaissances intersectorielles et de projets collaboratifs au sein de la communauté.

Jean-Pierre Després
Actif dans le monde de la recherche depuis 38 ans, Jean-Pierre Després est professeur au Département de kinésiologie de la Faculté de médecine de l’Université Laval et directeur scientifique de VITAM. Toute sa vie, il s’est intéressé et consacré aux maladies chroniques communes, comme les maladies cardiovasculaires, et à la prévention. « J’ai dirigé pendant 20 ans la recherche en cardiologie à l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec (CRIUCPQ). À la fin des années 80, on a démontré, par exemple, que l’obésité n’était pas ce que l’on pensait, que c’est la graisse viscérale et non pas cutanée qui était dangereuse pour la santé, grâce à des techniques d’imagerie. » Bien au fait des nombreux facteurs qui influent sur la santé, il relate que les nombreuses découvertes issues de la recherche de son équipe ont permis de renforcer la compréhension collective et internationale de la façon dont ces maladies chroniques de société se développent, et réagissent aux facteurs relevant du mode de vie des patients.

Catherine Laprise
Catherine Laprise, pionnière de la recherche en santé durable, professeure à l’Université du Québec à Chicoutimi et directrice du Centre intersectoriel en santé durable (CISD), s’intéresse depuis longtemps à la santé globale des populations. Elle constate que « même si l’on fait beaucoup de recherche à impact scientifique significatif, on accuse quand même un certain retard et frappe toujours un mur sur le plan sociétal en termes de gestion de notre santé ». L’urgence qu’elle y voit de s’attarder aux problèmes de la santé de façon « plus holistique » et pluridisciplinaire est ce qui l’a motivée à s’y intéresser dans le cadre de ses travaux de recherche, « en vue de contribuer à bâtir la santé durable dans tout le parcours de vie de l’individu en mettant l’accent sur la sensibilisation, la prévention et un nouveau modèle de gestion socio-économique de la société, tant à l’échelle individuelle que collective, particulièrement pour ceux qui sont en situation de vulnérabilité et qui n’ont pas le luxe ou le potentiel de pouvoir le prendre en charge personnellement ».
La professeure Laprise illustre l’importance de travailler en collaboration avec les communautés pour répondre à leurs besoins spécifiques en matière de santé. Elle évoque un exemple concret dans le Bas-Saguenay, où des membres de la communauté ont initié un projet visant à lutter contre le décrochage scolaire en lançant des classes nature. En partenariat avec ces initiateurs, le CISD a étroitement collaboré avec les familles et les enfants impliqués, en croisant leurs besoins avec des questions de recherche pertinentes, pour mener ce projet visant à évaluer les apprentissages durables et la santé durable. Après avoir effectué une revue de la littérature existante et mené une version pilote du projet, ils ont pu obtenir une subvention de 400 000 $ pour le mettre en œuvre. C’est donc grâce à la coopération entre les chercheurs et la communauté que l’initiative a pu se concrétiser, témoignant de l’impact concret de l’approche collaborative en santé durable.
Une politique pour orienter les stratégies nationales

Le Dr Horacio Arruda répond aux questions de CScience
Pour Carole Jabet, grâce à l’implication des décideurs gouvernementaux, mais aussi des citoyens qui se mobilisent en ce sens, développer des politiques en faveur de la santé durable, et qui se fondent sur le fruit de la recherche, fait partie des axes d’intervention sur lesquels miser.
Depuis qu’il est sous-ministre adjoint au ministère de la Santé et des Services sociaux, le Dr Horacio Arruda se consacre justement au déploiement de la « Politique gouvernementale de prévention de la santé », issue de l’engagement du gouvernement, qui mobilise une quinzaine de ministères et 27 organismes centraux, en matière de promotion de la prévention en santé. Elle se décline en plusieurs plans d’action, exécutés de concert avec les autres ministères, en vue d’agir sur les environnements et différents leviers déterminants de la santé : prévenir les cancers, traiter de la question des changements climatiques, intervenir tout au long du cycle de vie des Québécois, soit de leur naissance jusqu’à leur âge avancé, et réduire les inégalités relatives à la santé des populations, puisque certaines communautés sont plus vulnérables en ce sens.
Rencontré au Sommet de la santé durable en janvier, il a rappelé que « la santé est une richesse importante pour la société, et qu’il y a beaucoup de maladies que l’on peut éviter si l’on intervient très tôt et adéquatement. Ça ne relève pas seulement du système de santé et de soins, mais de l’ensemble de la société, d’où l’importance de travailler en partenariat avec les autres ministères, mais aussi tous les acteurs sociaux, tant à l’échelle nationale que sur les plans régional et local. Il faut travailler ensemble, insister sur la prévention, et redonner aux communautés le pouvoir de faire des choix éclairés pour se maintenir en santé. »
Crédit Image à la Une : La Chaire de recherche en santé durable a été créée en 2023 par le Fonds de recherche du Québec – Santé (FRQS)
Pour en savoir plus, consultez le dossier thématique de CScience consacré à la santé durable, propulsé par les Fonds de recherche du Québec (FRQ) :