Avec l’IA une nouvelle guerre informationnelle émerge

Avec l’IA une nouvelle guerre informationnelle émerge

Des campagnes d’influence malveillantes utilisant des capacités cyber ont causé de graves ruptures politiques, notamment aux États-Unis. Mais l’utilisation massive de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage automatique pourrait mener à un nouveau type de guerre informationnelle.

En 2019, Katie Jones fait son apparition sur le réseau LinkedIn. Elle travaille pour un think tank reconnu. Plusieurs membres des hautes sphères politiques à Washington D.C se connectent naturellement à son compte. Sauf que Katie Jones n’existe pas. Son profil et sa photo ont été générés par des algorithmes d’IA pour faire de cette jeune femme un véritable cheval de Troie. Qui a créé cet être artificiel à des fins d’espionnage ?

Tous les regards se tournent vers la Russie. Les cibles ? Des membres de think tanks, l’assistant principal du secrétaire d’État, l’adjoint d’un sénateur, un économiste qui a ses entrées au sein de la Réserve fédérale et un ancien attaché militaire à Moscou.

L’IA TIRE SA FORCE DE NOS FAIBLESSES

Internet permet d’agréger des individus pour influencer les opinions publiques, diffuser des idéologies et même influer sur les États. Dans ce contexte, l’intelligence artificielle crée de nouvelles opportunités pour agir sur le monde physique.

La grande force de l’IA dans la guerre informationnelle repose sur plusieurs éléments clés qui peuvent apparaître comme autant de nos faiblesses : la dépendance de nos sociétés aux médias sociaux et au cyberespace comme source d’information fiable ; l’accès illimité aux informations et la capacité de répandre rapidement ces informations ; la difficulté de distinguer clairement le vrai du faux ; le manque de capacités de vérification des informations en ligne.

De ce fait, comme le souligne Hajnalka Vincze, analyste en politique internationale et de défense au sein du Foreign Policy Institute de Philadelphie, « dans nos sociétés hyperconnectées, le citoyen lambda devient potentiellement cible, relais, spectateur et acteur de ces opérations de désinformation et de manipulation ».

« L’IA joue un rôle de plus en plus important dans la guerre informationnelle, dans un camp comme dans l’autre. Il y a une véritable course aux armements. » – Alexis Rapin, chercheur au sein de la Chaire Raoul Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, UQAM

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Hyperconnecté, le citoyen est à la fois cible, relais, spectateur et acteur des opérations de désinformation.
© Reuters/Kacper Pempel

LE CANADA DANS LA LIGNE DE MIRE

Face aux opérations de désinformation, le Département d’État américain a créé le Global Engagement Center pour « reconnaître, comprendre, exposer et contrer la propagande de désinformations d’État ou de groupes non étatiques ».

Les États-Unis ne sont pas la seule cible de campagnes informationnelles malveillantes. Dans un récent rapport, deux chercheurs français de l’IRSEM (Institut de recherche stratégique de l’école militaire), détaillent par le menu les opérations d’influence chinoises, notamment au Canada. Celles-ci visent à étouffer les défenseurs des Tibétains, des Ouïgours, de l’indépendance de Taïwan, etc. Également, elles ciblent Ottawa en tant que partenaire des États-Unis, dans le cadre de l’OTAN mais aussi du Five Eyes (renseignement).

Les modes d’action sont la manipulation de l’information et de l’image, la création de fausses identités, de faux comptes sur les réseaux sociaux, de trolls, etc., des domaines dans lesquels l’IA est de plus en plus présente.

« La vitesse à laquelle on est capable de détecter, de caractériser et de neutraliser les opérations informationnelles hostiles devient déterminante » – Hajnalka Vincze, analyste en politique internationale et de défense

L’IA RENDRA-T-ELLE LA DÉSINFORMATION INCONTRÔLABLE ?

La guerre informationnelle soulève un autre enjeu. Alexis Rapin souligne « qu’il s’agit moins d’un problème technologique que d’un problème de masse et de vitesse. Les auteurs trouvent des parades pour contourner la surveillance d’une IA. Le véritable problème est de stopper la désinformation avant qu’elle inonde les réseaux sociaux et déploie ses effets ».

Or, dans les décennies à venir, la guerre informationnelle gagnera en puissance et en efficacité grâce par exemple, à l’automatisation de l’intelligence artificielle. Cette dernière sera alors déployée pour des campagnes de désinformation intégrées dans une stratégique globale et coordonnée.

L’IA servira aussi à créer automatiquement de fausses informations. Cette automatisation va également permettre de limiter le nombre d’opérateurs. Ainsi, grâce à des systèmes automatisés, il sera dès lors possible de créer un nombre illimité de comptes sur une multitude de réseaux sociaux, inondés de contenus créés par l’IA, le tout géré par un seul individu.

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Les opérations informationnelles s’inscrivent dans la guerre « hybride », mélange de moyens de guerre conventionnels et non conventionnels comme la tromperie, la désinformation et le sabotage.
DR

L’ÉDUCATION EST LA CLÉ

Alors, comment lutter contre cette guerre informationnelle high-tech ? Alexis Rapin apporte un élément de réponse, indiquant « qu’il serait possible d’engager des discussions multilatérales, mais cela pourrait ouvrir une boîte de Pandore. Certains pays pourraient se sentir légitimés par une « charte internationale » et renforcer la censure ».

Hajnalka Vincze souligne que « le meilleur moyen de résistance consiste à nous armer contre notre propre hyperréactivité. Il est également nécessaire de sanctuariser les instances de décision contre la pression de l’opinion publique. Entre deux échéances électorales, il faut pouvoir mener une politique étrangère à l’abri d’une opinion hyperconnectée et émotive, facile à manipuler. Cela limiterait, pour l’adversaire, le bénéfice à espérer d’une opération informationnelle».

L’analyste conclut : « Dans la guerre informationnelle d’aujourd’hui et demain les trois atouts sont l’éducation, l’éducation, l’éducation. Une école qui mettrait l’accent sur le développement de la capacité de discernement et l’esprit critique apprendrait aux citoyens à être moins perméables aux manipulations. »

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