35 % des Québécois utilisent la reconnaissance faciale pour s’authentifier

35 % des Québécois utilisent la reconnaissance faciale pour s’authentifier

De plus en plus de Québécois ont recours aux données biométriques pour s’identifier, mais se montrent encore méfiants quant aux usages possibles de la reconnaissance faciale. L’innovation rencontrera-t-elle son acceptabilité sociale, à temps pour sa mise en œuvre?

Le ministère de la Cybersécurité et du Numérique a annoncé, parmi les chantiers à venir, celui propre à la certification de l’identité du citoyen qui utilise les services en ligne. Il envisage un système de reconnaissance faciale semblable au FaceID d’Apple, une fonction qui prendra forme à partir des données liées au permis de conduire et à la carte d’assurance maladie. Mais comme beaucoup d’innovations impliquant notre identité numérique, un défi s’impose; celui de l’acceptabilité sociale.

Car même si 35 % des Québécois utilisent la reconnaissance faciale, seulement 24 % se disent à l’aise à partager leurs données biométriques, révèle une récente étude de la société Capterra Canada, un fournisseur de marché en ligne gratuit.

Qu’est-ce que l’identification biométrique?

« De la même façon que les individus peuvent être identifiés par leur apparence physique, la technologie biométrique permet d’identifier les utilisateurs selon certaines caractéristiques physiques ou comportementales », indique Tessa Anaya, analyste de contenu chez Capterra.

Pour mieux cerner les perceptions des consommateurs à l’égard de la protection des données personnelles au Québec et au Canada, Capterra a mené une étude auprès de 756 Canadiens. Parmi eux, 165 répondants étaient Québécois.

Les conclusions de l’étude rapportent que selon l’échantillon, plus de la moitié des consommateurs résidant au Québec (59 %) s’identifient régulièrement à l’aide de leur empreinte digitale. Près du tiers (35 %) d’entre eux ont aussi recours à des méthodes de reconnaissance faciale de façon récurrente. On précise toutefois qu’ « étant donné que ces deux méthodes sont de plus en plus souvent (intégrées aux) téléphones intelligents modernes, il est logique qu’il s’agisse des processus biométriques les plus couramment utilisés ». Un quart des répondants québécois répondent quant à eux n’avoir jamais utilisé de marqueurs biométriques.

« L’utilisation abusive des données biométriques par Clearview AI a érodé la confiance des Canadiens envers ce type de processus. »

– Tessa Anaya, analyste de contenu chez Capterra

La peur du vol d’identité

Parmi les enjeux soulevés par les répondants, l’étude relève le vol d’identité comme étant la préoccupation majeure pour 50 % des participants, alors que « près de la moitié des personnes interrogées (49 %) s’inquiètent aussi de l’utilisation abusive de leurs données biométriques ». 45 % ont peur que la technologie biométrique puisse nuire à la protection de la vie privée.

Mme Anaya indique que « malgré le volume élevé de consommateurs inquiets, la majorité des participants nationaux (54 %) à l’enquête ignoraient que ces données pouvaient être partagées avec d’autres entreprises, selon l’accord de consentement signé. Au Québec, les personnes en étaient un peu plus conscientes (48 %). »

La reconnaissance faciale à des fins policières

L’année dernière, le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada et ses homologues provinciaux du Québec, de la Colombie-Britannique et de l’Alberta ont conclu que la société américaine Clearview AI, qui offre aux policiers un système de reconnaissance faciale controversé, avait fait de la surveillance de masse illégale au Canada, notamment au Québec.

Selon Mme Anaya, « L’utilisation abusive des données biométriques par Clearview AI a érodé la confiance des Canadiens envers ce type de processus. En effet, des balayages de reconnaissance faciale avaient été réalisés sans consentement des individus, et ce dans le but de participer au travail de la police. »

Rappelons que grâce à son partenariat avec la société Idemia, la Sûreté du Québec peut exploiter ce type de technologie dans le cadre d’enquêtes criminelles, afin de comparer des images vidéo à celles de sa banque, comptant des dizaines de milliers de photos signalétiques.
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L’Observatoire international sur les impacts sociétaux de l’IA et du numérique (OBVIA), en partenariat avec la Chaire de recherche de l’Université d’Ottawa sur l’intelligence artificielle responsable à l’échelle mondiale, a publié en 2020 un rapport portant sur le « cadre juridique applicable à l’utilisation de la reconnaissance faciale par les forces de police dans l’espace public au Québec et au Canada ».

Préparé par Céline Castets-Renard, Professeure à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, et les auxiliaires de recherche Émilie Guiraud et Jacinthe Avril-Gagnon, le rapport mentionne qu’un « risque résulte pour les services de police de recourir à des entreprises privées pour mettre en place un dispositif de reconnaissance faciale. Dès lors que ces acteurs accomplissent une mission de service public, les services de police doivent être vigilants et vérifier leurs bonnes pratiques. En outre, le choix éventuel d’opérateurs privés étrangers fait peser le risque de perte de contrôle de la souveraineté étatique, ce qui est particulièrement préoccupant. »

Des risques élevés d’atteintes aux libertés

Le rapport fait état de risques considérables « d’atteintes aux libertés individuelles susceptibles d’être induits par ces dispositifs de reconnaissance faciale utilisés par les services de police dans l’espace public (…) dont notamment la liberté d’aller et venir (art. 6 de la Charte canadienne des droits et libertés), la liberté de réunion et la liberté de manifestation (art. 2 b) et c) de la Charte canadienne des droits et libertés et art. 3 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne) ainsi que le droit à la liberté (art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés et art.1 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne). »

Selon la professeure et ses auxiliaires, « le recours à la reconnaissance faciale peut nuire à la liberté d’expression, d’association et de réunion. Le droit à la vie privée est aussi menacé (art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, art. 5 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne et art. 3, 35 à 37 du Code civil du Québec). »

Elles évoquent aussi la discrimination pouvant émaner de ce type de technologie. « La technologie de la reconnaissance faciale peut porter atteinte à la dignité des personnes et avoir aussi des répercussions sur le droit à la non-discrimination. Elle peut affecter les droits des groupes spéciaux, tels que les enfants, les personnes âgées et les personnes handicapées. En outre, si la technologie de la reconnaissance faciale se développe, le taux d’erreur reste toutefois élevé, spécialement envers certaines catégories de populations. »

Pour illustrer leur propos, elles suggèrent que « la technologie de reconnaissance faciale est plus efficace pour détecter les personnes à la peau claire et les hommes que les personnes à la peau foncée et les femmes. Ce risque porte naturellement atteinte au principe d’égalité et à la non-discrimination, protégé à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et à l’article 10 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. »

Finalement, Mmes Castets-Renard, Guiraud et Avril-Gagnon concluent que « compte tenu de ces risques et dans ce contexte, l’acceptabilité sociale de cette technologie risque d’être faible, sauf à envisager le recours à cette technologie dans un contexte traumatisant comme des attaques terroristes selon les ressorts de la ‘politique de la terreur’. »

Un nouveau cadre législatif

Notons que le projet de loi 64, adopté en septembre 2021 au Québec, a modernisé la protection des renseignements personnels, offrant un nouveau cadre législatif. Il impose des sanctions pécuniaires pouvant s’élever jusqu’à 25 millions dans le cas d’une identification tentée à partir de renseignements dépersonnalisés ou anonymisés, sans l’autorisation de la personne concernée.

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Crédit Image à la Une : Pexels