[AMOUR + TECHNO] Robots sexuels : nos partenaires de demain ?

Les robots sexuels vont-ils devenir nos partenaires de demain ? Dans le cadre de la série de reportages estivaux de CScience consacrés à l’impact de la technologie sur les relations, la journaliste Roxanne Lachapelle vous propose une analyse sur la montée en popularité de ces technologies. Si le développement indéniablement rapide des robots sexuels promet et inquiète, la nécessité de réfléchir à un moyen d’encadrer éthiquement ces technologies, qui évoluent bien plus rapidement que la régulation les entourant, se fait criante.

« L’éclatement des possibilités »

Un robot sexuel est un « agent artificiel érotique qui est perçu comme incorporé, donc qui est dans un corps, et qui peut être développé pour ou qui peut apprendre à générer des comportements qui sont intimes ou sexuels », définit Simon Dubé, chercheur postdoctoral au Kinsey Institute.

Ces robots prennent différentes formes. Un intérêt marqué se dessine envers les agents conversationnels, comme le « compagnon d’IA » Replika, avec la progression fulgurante des intelligences liées à la production de langage.

« Ce qu’on voit aussi qui gagne en popularité dans certaines communautés, c’est une forme d’intégration entre des agents conversationnels et des poupées robotisées relativement réalistes », note le M. Dubé. Ainsi, il est possible de connecter des cellulaires à des systèmes de poupées sexuelles, permettant de leur amener une certaine forme d’intelligence.

« Je pense que les possibilités de l’érotisme vont éclater, être multipliées. Je pense qu’on entre progressivement dans une ère de ce qu’on pourrait appeler des relations multiagents : donc des relations à la fois entre humains à travers la technologie, mais aussi des relations avec la technologie, c’est-à-dire des relations orientées vers des partenaires artificiels plus ou moins complexes. »

– Simon Dubé, chercheur postdoctoral au Kinsey Institute

Les progrès en robotique se font à une vitesse hallucinante. Pour M. Dubé, il ne s’agit que d’un prélude du développement d’autres technologies, comme celles des agents en réalité virtuelle ou augmentée : « On peut s’attendre dans un délai plutôt court à avoir des expériences beaucoup plus intéressantes en réalité virtuelle, augmentée ou mixte, parce qu’elles vont être beaucoup moins chères, prendre moins de place, nécessiter moins de matériel et être plus versatiles », prédit-il.

Il ajoute que ces expériences seront de plus en plus personnalisées selon les désirs de l’utilisateur, immersives et réalistes, notamment grâce à l’intérêt marqué d’une industrie qui se dessine autour de l’haptique, du son, de l’odeur, pour créer une expérience de plus en plus complexe.

« Je pense que les possibilités de l’érotisme vont éclater, être multipliées. Je pense qu’on entre progressivement dans une ère de ce qu’on pourrait appeler des relations multiagents : donc des relations à la fois entre humains à travers la technologie, mais aussi des relations avec la technologie, c’est-à-dire des relations orientées vers des partenaires artificiels plus ou moins complexes », ajoute M. Dubé.

Des robots pour tous

Si les possibilités se multiplient quant aux robots sexuels, y a-t-il réellement un intérêt concret envers ces technologies ? Tout porte à croire que oui, et que cet intérêt continuera de grandir.

22% des Américains interrogés seraient prêts à avoir une relation sexuelle avec un robot.

– Sondage YouGov

En 2013, un sondage réalisé par YouGov révélait que 9% des Américains interrogés seraient prêts à avoir une relation sexuelle avec un robot. En 2017, ce chiffre a augmenté à 16%, puis à 22% en 2020. « La robotique a fait des sauts quantiques depuis 2020, et j’aurais tendance à penser qu’on suit encore cette (montée en popularité) pour deux raisons : la technologie continue d’avancer, et on en parle plus qu’avant », croit Simon Dubé.

Un constat presque systématique émerge dans près d’une dizaine d’études : les hommes souhaitent davantage avoir des relations sexuelles, intimes ou amoureuses avec des machines. Une convergence de divers facteurs émerge comme hypothèse à ce phénomène pour M. Dubé : l’impression qu’il n’existe pas de robots correspondant aux besoins des femmes, la représentation médiatique qui met souvent de l’avant des relations homme humain avec une gynoïde, une fembot, c’est-à-dire une femme robot, l’envie et la curiosité sexuelles généralement plus élevées des hommes en sont quelques-uns.

Il n’est pas improbable que cette tendance se transforme au fil des années à venir : « Je dirais que ce sera peut-être amener à changer à mesure que l’offre sera plus diversifiée ou du moins que dans les médias, fictionnels (dont les séries télé et les films) ou non fictionnels (sont les journaux), l’accent soit mis sur la possibilité pour les femmes et pour les personnes trans et non binaires d’avoir une expérience intéressante et d’avoir des partenaires intéressants. Les besoins d’intimité, de romantisme, de proximité, sont répandus dans toute la population. »

Au-delà des inquiétudes et des possibilités

Les opportunités liées à ces technologies innovatrices sont innombrables : donner un accès à la sexualité à une plus grande partie de la population, faire des humains de meilleurs partenaires grâce à du coaching, offrir un partenaire intime à des personnes seules, utiliser ces technologies en recherche, en éducation, en thérapie, ou simplement pour le plaisir.

À l’inverse, plusieurs personnes s’inquiètent d’une utilisation compulsive de ces outils, d’une augmentation de l’isolement, de l’exacerbation de comportements agressifs chez certains utilisateurs et d’une objectification du corps de la femme. En réponse, Simon Dubé avance que « ces robots peuvent être et représenter toute sorte de choses. Si les robots objectifient la femme, je ne suis pas tout à fait certain que ce soit à cause du robot en tant que tel : il y a peut-être d’autres causes sociales systémiques et problématiques qui se transposent et se matérialisent dans la techno. »

« Je pense aussi que c’est important de passer à un autre niveau dans la discussion : d’aller ailleurs que de nommer les simples bénéfices et risques anticipés pour plutôt réfléchir à une manière de diminuer les risques et de favoriser les bénéfices, tout en se demandant ce qu’on veut faire avec ces technologies. »

– Simon Dubé, chercheur postdoctoral au Kinsey Institute

Les craintes de la population sont parfois, selon Simon Dubé, « exacerbées par des incertitudes, de l’anxiété et de l’anticipation face à une projection dystopique polarisée, véhiculée par les médias. (…) Je pense aussi que c’est important de passer à un autre niveau dans la discussion : d’aller ailleurs que de nommer les simples bénéfices et risques anticipés pour plutôt réfléchir à une manière de diminuer les risques et de favoriser les bénéfices, tout en se demandant ce qu’on veut faire avec ces technologies. »

Éthique et régulation

« Les gouvernements doivent vraiment se pencher sur (des) questions de vie privée, de protection des données, de confidentialité, et investir de manière massive parce qu’ils sont déjà dépassés. L’industrie va trop vite, on est face au mur, il faut faire quelque chose », lance M. Dubé.

« Les gouvernements doivent vraiment se pencher sur (des) questions de vie privée, de protection des données, de confidentialité, et investir de manière massive parce qu’ils sont déjà dépassés. L’industrie va trop vite, on est face au mur, il faut faire quelque chose. »

– Simon Dubé, chercheur postdoctoral au Kinsey Institute

Selon le chercheur, une gestion éthique des données récoltées par ces nouvelles technologies impliquerait d’avoir une population consciente de ses données et qui a le contrôle sur l’utilisation de celles-ci. L’utilisateur saurait quelles sont les données enregistrées sur lui, saurait qui y a accès, pourrait contrôler ces données et idéalement en profiter financièrement, entre autres.

Chose certaine, il y a besoin de se pencher à multiples niveaux sur les questions de régulation et d’éthique liées aux robots sexuels : « Nous ne sommes pas des acteurs passifs qui subissent cette technologie. Nous avons une responsabilité et une possibilité d’influencer son développement, de le contrôler, de le réguler et de l’amener à devenir compatible avec nos besoins », conclut le chercheur.

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Crédit Image à la Une : Montage CScience