Avec le variant Omicron et l’arrivée de la cinquième vague, les outils numériques, mis en place pour contrer et suivre la pandémie au Québec, sont-ils toujours efficaces ? Comment les améliorer ? Retour sur ce dispositif de crise…
La pandémie de COVID-19 a été, sans conteste, un accélérateur en matière de développement technologique. Il suffit de comptabiliser les outils mis en place, depuis deux ans, visant à suppléer les services sanitaires pour s’en convaincre…
« Depuis avril 2020, avec l’instauration de la plateforme Akinox (TSP), les données ont été centralisées et rendues accessibles à l’ensemble des Directions régionales de santé publique », se réjouit Marie-Christine Therrien, Professeure titulaire et Directrice de Cité-ID Living Lab Gouvernance de la résilience urbaine, ENAP.
« Maintenant, [les Directions régionales de santé publique] disposent d’un certain portrait régional et provincial de la situation sanitaire. Cela permet d’avoir une information sur les trajectoires des cas COVID. » – Marie-Christine Therrien, Professeure titulaire et Directrice de Cité-ID Living Lab Gouvernance de la résilience urbaine, ENAP
QUELS OUTILS ?
Toutefois, la plupart des principaux outils sont perfectibles. Si la plateforme Akinox TSP a automatisé le traçage des cas contacts, les informations sont générales et rien n’est communiqué sur la localisation géographique. En réalité, ces outils se perfectionnent à l’usage.
Ainsi, depuis décembre 2020, Akinox TSP reçoit les résultats positifs via l’interface Nosotech. Les centres d’hébergement et de soins de longue durée s’appuient sur des systèmes de gestion propres (GESTRED).
La plateforme Power Bi de Microsoft est alimentée par TSP, depuis janvier 2021. Sa mission : aider les autorités sanitaires à visualiser l’ensemble des cas et les milieux affectés, en temps quasi réel. Les mises à jour sont réalisées huit fois par jour.
Alerte COVID, développée par Santé Canada, a été adoptée en octobre 2020 au Québec. Les attentes étaient nombreuses. Cependant, l’application ne permet pas l’accès au nom de l’utilisateur, ni à ses contacts, ni à ses adresses et encore moins à ses renseignements médicaux. Conséquence : la santé publique ne peut s’appuyer sur ce logiciel pour faire des analyses ou du traçage.
EXTRACTION DES DONNÉES PERSONNELLES
La coresponsable de la fonction délibération de l’Observatoire international sur les impacts sociétaux de l’IA (OBVIA), Marie-Christine Therrien, nuance elle aussi son constat, conformément au rapport qu’elle a publié avec son équipe, cet automne, sur la « Résilience du système de santé publique face à la COVID-19 : développement des systèmes informationnels par les directions régionales de santé publique au Québec ».
« Avec l’ intégration de TSP, chacun connaît le nombre total des cas par région, néanmoins, pour des raisons de confidentialité, il est impossible d’extraire certaines des données personnelles, entre autres. Or la gestion d’une pandémie s’effectue sur le terrain avec des informations précises, locales, de proximité. » – Marie-Christine Therrien, Professeure titulaire et Directrice de Cité-ID Living Lab Gouvernance de la résilience urbaine, ENAP
Le rapport auquel elle a contribué, publié le 26 octobre dernier, prône quant à lui la mise en place d’une plateforme centralisée favorisant « le processus de prise de décision en santé publique et les besoins locaux », par « la gouvernance multiniveau », « la coordination et la collaboration entre les acteurs du réseau ».
7 PISTES D’AMÉLIORATION
Les auteurs de ce rapport identifient sept pistes pour améliorer les outils en place :
1- Améliorer l’interopérabilité entre les systèmes d’information ;
2- Centraliser les systèmes d’information et intégrer les données;
3- Améliorer les capacités de stockage et d’analyse, incluant les capacités de faire des modèles prédictifs ;
4 – Créer des nouvelles variables ;
5- Standardiser les formats de partage de données ;
6- Prendre en compte les besoins du terrain ;
7- Accompagner les équipes dans l’implantation des outils numériques ;
ENCORE DES FREINS
Pour Marie-Christine Therrien, les freins à la mise en place de ces outils sont de deux ordres. D’une part, la pandémie mobilise « tellement de ressources que l’efficience des outils numériques est rarement la priorité ».
D’autre part, «pour l’avenir, il serait souhaitable que les données soient gérées localement et que les protagonistes puissent les extraire sans être confrontés à des questions de confidentialité ».
« Il faut résoudre ce problème pour avoir une gestion efficace, quitte à anonymiser les données », avance-t-elle.
ANONYMISATION DES DONNÉES
Selon elle, outre l’urgence liée à leur « interopérabilité et leur accessibilité en temps réel », l’anonymisation est « importante pour la prise en charge des populations vulnérables par les Directions régionales. Pour agir, il est nécessaire de disposer d’un portrait précis pour savoir où sont les besoins sur les territoires. »
La chercheuse en appelle également à la « création d’une base de données centralisée protégée, mais accessible. » Ainsi, celle-ci pourrait s’appuyer sur l’IA, « si un travail est effectué en amont. La concertation pourrait porter sur la signification de ces algorithmes, entre autres, s’ils effectuent des calculs épidémiologiques. »
« Nous avons beaucoup appris de ces outils numériques et ces apprentissages sont transposables. Si, grâce à ces outils, nous disposons de meilleurs indicateurs, les autorités sanitaires seront aussi en mesure d’extraire des données pour leurs missions de prévention, conclut-elle. »
Crédit photo : Pexel / Anna Shvets