« Que diriez-vous d’incarner la toute-puissance pour la vie intelligente ? ». Le ton est donné dans le pitch de la production canadienne « Agence ». Cette oeuvre interactive de l’ontarien Pietro Gagliano, nourrie d’IA, ouvre la voie vers un cinéma d’un nouveau genre, avec une histoire qui change d’une séance à l’autre et dont les personnages pensent par eux-mêmes.
Présentée au Centre Phi à Montréal, pendant toute la durée de la Mostra de Venise, dans la catégorie Venice VR Expanded, qui s’est déroulée au début du mois, le film de réalité virtuelle « Agence » est décrit par ses créateurs comme une fiction dynamique dans laquelle le spectateur se voit remettre entre ses mains le destin de créatures dotées d’IA, nommées les Agents.
Au cœur d’un univers algorithmique, cinq petites créatures intelligentes occupent une planète désertique. Elles vivent en parfaite harmonie – programmée – dans un ensemble élémentaire de règles qui dictent chaque aspect de leur existence. Muni d’un casque et d’une manette, le spectateur est ainsi invité à interagir avec elles, en plantant par exemple, des fleurs aux pouvoirs mystérieux. Par ses actions, il peut maintenir l’équilibre de leur paisible existence ou bien choisir de perturber leur univers, et même les plonger en plein chaos.
Les Agents, qui pensent par eux-mêmes, adaptent leur propre scénario, en temps réel, en fonction des actions du spectateur. Créant ainsi une intrigue différente à chaque fois, dont la durée dépend des prises de décisions du spectateur.
ÉMOUVOIR LE PUBLIC POUR SENSIBILISER A L’IA
L’idée de cette collaboration entre le réalisateur Pietro Gagliano, lauréat de deux prix Emmy, et l’Office national du film du Canada (ONF), est de faire naître des émotions chez les créatures virtuelles du film, comme la crainte, la curiosité ou encore l’agressivité, sous le joug de l’action du spectateur.
Le but est « d’explorer l’empathie du spectateur en rapport avec l’IA. L’IA que nous créons est capable de penser par elle-même, et pourtant elle n’a jamais demandé à exister. Tant d’histoires montrent une montée en puissance de l’IA qui prend le contrôle des humains, et bien que nous puissions effectivement courir le risque que cela se produise un jour, la responsabilité des machines incombe actuellement à l’homme, et non l’inverse. C’est dans la nature humaine d’entrer dans un environnement ou une situation, et de tenter de le manipuler ou de le modifier d’une manière ou d’une autre. J’espère que les gens retiendront l’idée que si nous voulons jouer avec la vie intelligente, ce n’est pas aussi facile qu’on le pense de lui faire faire ce qu’on veut. C’est beaucoup plus compliqué que cela. Surtout si ces machines intelligentes émergentes peuvent penser par elles-mêmes. J’espère que les gens pourront intégrer l’idée qu’une réflexion et une empathie extraordinaires sont nécessaires pour que l’humanité puisse poursuivre en toute sécurité la création de machines super intelligentes », explique Pietro Gagliano.
« J’espère aussi que les gens seront émus par ce qu’il se passe lorsqu’ils décident d’utiliser leur pouvoir. J’espère qu’ils commenceront à réfléchir à l’idée d’éthique dans l’IA, aux implications et aux dangers réels inhérents lorsqu’un sous-ensemble restreint d’humains prend des décisions », ajoute le producteur David Oppenhein de l’ONF.
ENTRE LE JEU VIDÉO ET LE FILM DYNAMIQUE
Co-produit avec le studio-laboratoire Transitional Forms dont Pietro Gagliano en est le fondateur, « Agence » permet aux utilisateurs de choisir entre deux types d’IA : l’IA de jeu et l’IA d’apprentissage par renforcement. « L’IA de jeu est pilotée par des fonctions heuristiques qui permettent à notre film dynamique de se dérouler de différentes manières. Cependant, le comportement des Agents est déterminé par les réseaux de neurones. C’est-à-dire que ces créatures intelligentes sont entraînées grâce à un processus répétitif de récompenses et de dissuasion: répéter la simulation des millions de fois jusqu’à ce qu’elles trouvent comment maximiser le plus de récompenses », explique le réalisateur.
Et ce serait la première fois que cette technologie – dont l’un des pères fondateurs n’est autre que Yoshua Bengio – serait déployée dans une œuvre de ce genre, précise David Oppenhein. « Il y a beaucoup de recherches qui posent des questions et expérimentent différents types d’IA dans les jeux, mais quand il s’agit d’agents d’apprentissage par renforcement, formés et placés dans un film, nous n’avons encore rien vu de tel ».
UN CINEMA NOUVEAU GENRE
Au niveau studio, l’ONF réalise des histoires interactives depuis 15 ans, « et nous croyons fermement que la réalité virtuelle est un médium artistique qui vaut la peine d’être expérimenté. Il en va de même pour l’IA. Nous les voyons comme des outils artistiques qui peuvent être utilisés par des artistes comme Pietro, pour raconter des histoires et créer des expériences, et qui ont quelque chose à dire sur notre monde et sur nous, en tant qu’êtres humains », témoigne David Oppenhein. « Nous avions tous les deux travaillé sur de nombreuses expériences narratives non-linéaires dans le passé, mais nous n’avions jamais créé une expérience où l’histoire est générée en temps réel. L’IA semblait être la meilleure technologie pour ce type de narration générative, où l’expérience serait différente à chaque visionnage ».
« Là où les films interactifs ont tendance à proposer des choix et des scénarios non-linéaires mais prédéfinis, nous avons ajouté la possibilité pour les agents artificiellement intelligents de faire également des choix dans le récit en cours. Nous avons conçu ce film pour un troisième auteur : l’IA. En plus de mes choix en tant que réalisateur et des choix que nous permettons à notre public de faire dans le film », ajoute Pietro Gagliano.
L’ACCUEIL DU PUBLIC
Avant d’être présenté en compétition officielle à la Biennale de Venise, le film a été testé auprès des spectateurs. « Nous avons vu pendant le test de lecture, que les gens voulaient continuer et jouer plusieurs fois de suite pour essayer différentes stratégies dans leur façon d’interagir avec les Agents. Ils commençaient à se sentir responsables de ce qui leur arrivait. Certaines personnes ont vraiment aimé être davantage observatrices et rechercher des détails sur le comportement des Agents, quand d’autres ont vraiment voulu être un « dieu » actif de l’IA, et interférer vraiment avec leur monde. Certaines personnes ont même commencé à aborder l’expérience comme un casse-tête, par exemple, à la recherche de moyens d’amener les Agents à coopérer et à survivre pendant de plus longues périodes et à anticiper les différents scénarios qui en découleraient. Nous aimons vraiment le fait que le public voit, ressente et retienne des choses différentes de l’expérience – c’était notre intention », s’enthousiasment Pietro et David Oppenhein.
Et si vous aussi, vous avez envie de tester cet « ovni » cinématographie, les concepteurs ont prévu de rendre disponible « Agence » dès la fin septembre sur vos smartphones et tablettes.