[ANALYSE] La gouvernance de l’IA – un pouvoir à prendre et à partager

[ANALYSE] La gouvernance de l’IA – un pouvoir à prendre et à partager

Au cœur d’un dilemme économique entre prise de risque et innovation, la gouvernance de l’IA est plurielle. C’est un pouvoir encore à prendre, à supposer que nous soyons les plus agiles. Les systèmes intelligents ne sont que partiellement régis, les possibilités restent donc innombrables.

Mais de plus en plus de voix se font entendre pour encadrer l’intelligence artificielle de manière plus globale et pour faire place à ce qu’on pourrait qualifier de « pilote dans l’avion », car les initiatives actuelles semblent manquer de coordination. D’ailleurs, un certain nombre de multinationales en appellent aujourd’hui au G7, pour développer une gouvernance globale de l’IA plus efficace.

RÉGIR L’IA SANS MENACER L’ÉCONOMIE

Selon l’homme politique Michael Froman, vice-président de Mastercard, élu au directoire de la Walt Disney Company, le G7 devrait trouver des moyens pour régler les inquiétudes légitimes des gouvernements en termes de gouvernance de l’IA.

Il s’agirait de trouver un commun accord, par exemple, sur la protection des données privées, « sans pour autant sacrifier les bénéfices d’une économie numérique ouverte ». Autrement dit, de trouver l’équilibre entre risque et innovation. Mais de quels risques parlons-nous alors ?

« Nous recommandons de régir l’IA en adoptant une approche contextuelle au cas par cas de la gestion des risques ».

Daniel Munro, chercheur et directeur de projets de politiques au laboratoire des politiques d’innovation de la Munk School of Global Affairs and Public Policy de l’Université de Toronto.

Le prochain rassemblement du G7 portera évidemment sur les solutions à apporter à la pandémie actuelle. Cependant, les questions de gouvernance numérique seront forcément sur la table puisque les interventions du regroupement demandent en grande partie l’usage des technologies. 

Le sommet du G7 se tiendra en Angleterre. Le Premier ministre, Boris Johnson, compte demander aux dirigeants de « saisir l’occasion de mieux reconstruire le monde après le coronavirus, en s’unissant pour rendre l’avenir plus juste, plus vert et plus prospère ». On doit également s’attendre à la création d’un « Forum des données et technologies » pour tenter d’harmoniser les différentes politiques. 

LA PRISE DE RISQUE
a) La balkanisation des technologies

Un des risques mentionnés par les multinationales est celui de la balkanisation des technologies, selon Michael Froman. Les gouvernances de l’IA, à travers les pays, démontrent effectivement un tiraillement entre mondialisation et fragmentation.

La « balkanisation du web » désigne l’isolement de certaines nations par leur web national face au réseau Internet mondial. La gouvernance de l’IA effectuée par la Chine en est un bon exemple.

La balkanisation est un concept qui renvoie donc à la fragmentation d’Internet. Dans son rapport de 2020, le Forum économique mondial affirme que la fragmentation du web est une menace majeure pour l’économie mondiale. 

« Cet isolement est généralement motivé par l’envie de contrôler une nation.»

Kevin Townsend, écrivain sur la cybersécurité, Université d’Oxford.

La Chine

La Chine dispose d’un pare-feu (Firewall) lui permettant de contrôler sa population au moyen d’un système de justice automatisé. Son niveau de balkanisation est donc total. 

Selon le Forum économique mondial, les effets négatifs de la balkanisation pour l’économie seraient, par exemple, l’augmentation de certaines transactions juridiques ou la mauvaise utilisation de certaines applications. 

La Russie

La Russie a développé son propre système de noms de domaine (DNS). Ce système isolé du web mondial, permet à l’État russe d’avoir une gouvernance des technologies. Cela impliquerait que les internautes russes ne puissent plus accéder à l’Internet mondial et que les internautes étrangers ne puissent plus accéder aux sites Web russes. L’État pourrait utiliser cet Internet souverain en cas de crise. 

La Corée du Nord

La Corée du Nord est le pays qui affiche le plus haut niveau de balkanisation du web. Seuls les dirigeants ont accès au web mondial qui passe par les réseaux russes ou chinois. Les dirigeants ont un contrôle total sur l’information divulguée. De plus, l’intranet nord-coréen reste fermé à la plupart des pays étrangers. 

Royaume Uni

Le royaume Uni a pris certaines mesures protectionnistes. L’état a tenté de bloquer l’accès de certains citoyens à des sites de pornographie. Par contre, influencé par les pressions en faveur de la liberté d’expression, l’État n’a pas pu mettre en place cette censure.

b) La mondialisation

En contrepartie, on peut penser que le web mondial est une solution devant cette fragmentation. Or, la mondialisation d’Internet crée des tensions géopolitiques. Ces tensions sont palpables dans les échanges commerciaux. 

« La concurrence entre multinationales prend parfois des allures de lutte géopolitique entre les pays ».

Éric Desrosiers, journaliste, Le Devoir – Économie.

Par ailleurs, une gouvernance mondiale des technologies apparaît comme un désir de contrôle, mais à plus grande échelle. Le contrôle des populations semble alors plus global. La force dominante du web peut avoir des aspects à la fois d’impérialisme et de colonialisme.

Le journaliste, Kevin Townsend, propose, dans son article Les nationalismes alimentent la fragmentation d’Internet, un (plus) juste milieu. Les États pourraient décider de bâtir un réseau privé indépendant (VPN), pour l’administration publique, parallèle au web mondial auquel auraient accès tous les citoyens. 

LES RISQUES DE DYSTOPIE

On entend parler de dystopie comme d’une nouvelle menace. Mais qu’est-ce que la dystopie ? À l’opposé d’une utopie, une dystopie est un régime politique fondé sur de mauvais principes. La dystopie conduit à des régimes totalitaires et les récits de science-fiction en ont dépeint de nombreux. 

Les alter-numéristes, comme les alter-mondialistes, s’opposent en groupe à toute forme de menace à la liberté individuelle. Pour eux, la mondialisation des technologies conduirait nécessairement à un univers où les autorités contrôleraient les individus. 

CONCLUSION

Il existe un vrai dilemme entre un trop grand protectionnisme et une mondialisation contrôlante, au niveau de la gouvernance des technologies. La réaction d’isolement est légitime si on considère les menaces d’un terrorisme numérique. Quel serait alors le meilleur modèle de gouvernance de l’intelligence artificielle à l’intérieur de cette opposition ?

Une situation mitoyenne d’un certain contrôle des réseaux serait à considérer par les différents pays. Suivons le sommet du G7, pour connaître les recommandations qui émaneront du Forum des données et des technologies! Seront-elles en faveur d’une gouvernance globale de l’IA ?

BIBLIOGRAPHIE

BMF.TV; Le prochain sommet du G7; 2020.

Desrosiers, Éric ; Les multinationales à l’heure de la «moudialisation»; Le Devoir, 2020.

Forum Économique Mondial ; Mapping TradeTech: Trade in the Fourth Industrial Revolution; 2020.

Munro, Daniel ; LA GOUVERNANCE DE L’IA : Risques, incertitudes et avantages; Forum des politiques publiques, 2019.

Townsend, Kevin ; Les nationalismes alimentent la fragmentation d’Internet; Blog Avast, 2020.