Cliquer, commenter, partager… sont les tâches qui dans l’ombre font rouler notre économie numérique. Elles représentent de nouveaux métiers qui redéfinissent notre économie.
« Il n’y a pas d’automatisation sans microtravail humain. » – Stephen Bouquin, Professeur de Sociologie, Université de Paris-Saclay
Ceux qui s’indignent de ce microtravail y voient une exploitation faite par le capitalisme numérique tandis les autres théorisent sur les bienfaits d’une transformation numérique complète de la société.
Or, pour la résoudre cette transformation, de profondes dualités sont à reconnaître. Examinons-les ! La société semble être divisée entre ceux qui prédisent la fin des emplois due à l’automatisation et ceux qui décèlent une pléthore de nouveaux emplois. Comment s’y retrouver ! Devons-nous craindre ou applaudir la nouvelle ère du travail numérique ?
Nos gestes transformés en marchandise
Le sociologue Antonio A. Casilli soutient, dans un dossier sur l’intelligence artificielle au service de l’humain de la revue Relations, que les nouvelles technologies entourant l’intelligence artificielle nécessitent « une quantité colossale de travail humain ».
Il qualifie le travail numérique de « marchandisation des formes d’interactions sociales sur Internet ». Chacun de nos clics compte, nous dit-il ! Le sociologue nous amène à comprendre également que nous sommes devenus par là même aussi traçables que des marchandises.
Ce travail dans l’ombre consiste à générer des masses de données pour alimenter le Big Data, puis à les faire interagir pour entraîner les algorithmes. C’est le fameux travail du clic ! Une industrie qui est généralement envoyée en sous-traitance dans des pays où la main-d’œuvre est à meilleur marché.
CHANGEMENT DE PARADIGME ÉCONOMIQUE
Alors que le sociologue Casilli nous ouvre les yeux sur l’aspect invisible d’un travail effectué dans l’ombre, comme le sont les métiers du Care (révélés par des mouvements féministes), on ne peut s’empêcher de voir tout un changement de paradigme économique.
Dans un rapport d’information du Sénat français, fait au nom de la mission d’information sur : « l’uberisation de la société : quel impact des plateformes numériques sur les métiers et l’emploi ? », le sénateur Pascal Savoldelli nous décrit les faiblesses de ces nouveaux paradigmes.
« Cet essor de la plateformisation de l’économie se traduit mécaniquement par une explosion du nombre de travailleurs des plateformes. »– Pascal Savoldelli, sénateur français
En effet, le sénateur Pascal Savoldelli nous explique comment des conséquences terribles dans la société sont causées par : « la faiblesse des rémunérations, la fragilité de la protection sociale, l’absence de perspectives professionnelles et les risques physiques et psychosociaux » subis par ces travailleurs des plateformes.
Bien que des initiatives d’encadrement pour ces travailleurs commencent à voir le jour, il semble essentiel d’inscrire ces travailleurs dans un portrait global de l’industrie du numérique. Est-ce le cas au Québec ? Le travailleur du clic est-il visible ou est-il supplanté par les métiers plus nobles du numérique ?
LA SITUATION AU QUÉBEC
Une étude portant sur le Profil de la main-d’œuvre en intelligence artificielle, sciences des données mégadonnées au Québec, nous révèle ceci:
« On compte près de 45 000 professionnels en intelligence numérique au Québec. » – TECHNOCompétences, Profil de la main d’œuvre en intelligence artificielle, sciences des données mégadonnées au Québec
Parmi ces professionnels en intelligence numérique, notons les métiers que TECHNOCompétences met en avant : les scientifiques de données, les analystes de données, les ingénieurs de données, les ingénieurs en apprentissage automatique, les chercheurs scientifiques en intelligence artificielle, les spécialistes en vision par ordinateur et les développeurs.
D’autres métiers sont décrits plus loin. L’étude identifie de nouveaux profils professionnels qui se dessinent. Trois métiers porteurs sont analysés :
- Le traducteur de l’analyse de données ;
- Le spécialiste en interaction homme-machine ;
- Le responsable de maintenance des systèmes d’IA.
Le premier cas de figure est un croisement ingénieux entre le scientifique des données et le gestionnaire de projet. Le second fait appel à l’intelligence artificielle responsable et demande d’avoir une vision cohérente des objectifs d’affaires, sociaux et éthiques. Le troisième cas de figure exige d’être en mesure de diagnostiquer les solutions numériques.
L’étude spécifie pour chacun de ces métiers la pertinence d’habilités en communication, en vulgarisation, en intelligence émotionnelle et plus encore de connaissances en éthique. Ces habilités semblent être primordiales. Or, nous ne trouvons aucune mention de formation adéquate.
Le spécialiste en interaction homme-machine, tel qu’ébauché dans l’étude doit s’assurer que « la logique derrière chaque algorithme est liée de manière éthique et vertueuse à l’homme ». Or, pour établir ce lien, le sens commun, à lui seul, ne pourrait l’effectuer. Cette tâche devra être reléguée à des spécialistes en éthique de l’IA. Mais cette mention n’apparaît pas dans les formations suggérées.
En définitive, nous nous demandons pourquoi l’étude de TECHNOCompétences ne comporte aucune analyse sur le travail du clic (ou encore le travail de plateforme), tel que soulevé plus haut.
BIBLIOGRAPHIE
L’intelligence artificielle : au service de l’humain ?, Presse-toi à gauche.
Casilli, Antonio A. ; Dossier sur L’intelligence artificielle au service de l’humain, Revue Relations.
Dufresne, Anne ; Conférence : Les travailleurs de plateforme : La lutte pour les droits dans l’économie numérique; UQÀM.
Savoldelli, Pascal ; Sénateur français; Rapport d’information au nom de la mission d’information sur : «l’uberisation de la société : quel impact des plateformes numériques sur les métiers et l’emploi ?» ; Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 septembre 2021.
TECHNOCompétences ; Profil de la main-d’œuvre en intelligence artificielle, sciences des données et mégadonnées au Québec.