[ANALYSE] Les brevets et l’intelligence artificielle – Mais qui est l’inventeur?

[ANALYSE] Les brevets et l’intelligence artificielle – Mais qui est l’inventeur?

Le 27 avril dernier, la compagnie montréalaise Zetane annonçait l’obtention d’un nouveau brevet américain pour une technologie en IA. Une fierté affichée du côté canadien, mais à côté de cela, qu’ont à nous offrir les brevets canadiens?

Tout d’abord, comment la compagnie Zetane s’est-elle distinguée? Les logiciels et services de cette société permettent de visualiser et de tester les algorithmes d’apprentissage automatique et leur traitement des données. Ces outils s’intègrent dans un flux de travail existant d’IA et éliminent le problème de «boîte noire» des algorithmes . Les modèles d’apprentissage profond deviennent alors plus robustes et transparents.

L’accomplissement de Zetane, rempli un défi sociétal important en faveur de la transparence des systèmes et le brevet desservi aura un impact de taille pour la réputation de l’entreprise.

BREVETER L’IA – EST-CE SI DIFFÉRENT?

Ryan Abbott

Ryan Abbott, Professeur de Droit et des Sciences de la Santé à l’Université de Surrey. Crédit Photo LinkedIn

Un brevet est le droit exclusif pour empêcher la fabrication, l’utilisation et la vente d’une invention par d’autres que l’inventeur, en échange d’une description complète de l’invention. Or, dans un domaine où la donnée est libre et les algorithmes accessibles, que suppose l’invention? Par ailleurs, l’intelligence artificielle, dans la mesure où elle construit des schèmes de neurones est-elle inventrice?

Ce dernier aspect ne fait pas l’unanimité:

« Nous croyons que de déclarer une IA comme une inventrice est cohérent aussi bien avec le vocabulaire qu’avec l’intention. »

– Ryan Abbott, directeur, Artificial Inventor Project

Dans son rapport intitulé « Traitement de l’intelligence artificielle : aperçu du paysage canadien des brevets» publié en octobre 2020, l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) présente des statistiques qui démontrent clairement la tendance à la hausse de l’activité des chercheurs canadiens en matière de brevets relatifs à l’intelligence artificielle.

Or, l’élaboration d’une « définition universellement acceptée de l’IA, pour le besoin des brevets » est un défi de taille car l’évolution constante de l’IA suppose une définition continuellement renouvelée qui tient compte également des découvertes récentes.

Bref historique

I. L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) a été l’une des premières institutions à fournir un aperçu général du brevetage dans le domaine de l’IA, à l’aide d’une définition adaptée aux brevets.

II. Ensuite, l’Office de la propriété intellectuelle du Royaume-Uni (UKIPO) a développé sa propre stratégie de recherche et a publié un rapport décrivant le paysage des brevets d’IA au Royaume-Uni.

III. Notre Office a adopté cette dernière méthode dans son rapport et l’a élargie pour esquisser le paysage des brevets canadiens déposés au Canada et à l’étranger. Les brevets des chercheurs et ceux des institutions ont été analysés séparément.

IV. Au Canada, la Loi sur les brevets stipule qu’un brevet ne peut être délivré que pour l’incarnation physique d’une idée, et, par conséquent, les programmes informatiques ne sont pas considérés comme des objets brevetables. Or cet aspect soulève actuellement des controverses.

Les domaines de prédilection

On constate que l’IA s’est d’abord retrouvée dans le cadre d’inventions brevetées dans le domaine de la Vision par ordinateur. Ce n’est qu’en 2006 que le Traitement du langage naturel a commencé à émerger en tant que domaine clé de l’innovation en rapport avec l’IA.

Le Canada est très spécialisé dans les Sciences physiques et l’Ingénierie ainsi que dans les Sciences de la vie et Sciences médicales, deux des domaines les plus brevetés qui sont liés de plus en plus aux technologies émergentes.

Le Canada est plus diversifié que les États-Unis en matière d’applications intelligentes. Pour leur part les États-Unis excellent dans les domaines du Traitement naturel du langage et de la Vision par ordinateur par rapport aux autres sous-catégories d’Applications d’IA.

POUR S’Y RETROUVER – SUR LES BREVETS

  • Base de données sur les brevets canadiens. Une base de données qui offre la description et la reproduction des documents de brevets déposés au cours des 95 dernières années et qui contient plus de 2 millions de documents de brevets.
  • Espacenet. Une répertoire de 70 millions de documents de brevets du monde entier, contenant des informations sur les inventions et les évolutions techniques de 1836 à nos jours.
  • PatentScope. Une base de données de la World Intellectual Property Organization (WIPO) qui répertorie plus de 45 millions de documents reliés aux brevets.
  • Scopus. Une base de données en sciences pures, appliquées et sociales qui répertorie le contenu de plus de 17 000 périodiques.
  • The Lens. Une base de données, en accès libre, créée par un organisme à but non lucratif indépendant et international, qui répertorie les brevets du monde entier.
  • United States Patent and Trademark Office (USPTO). Une base de données de tous les brevets américains.

LES BREVETS EN IA DANS LE MONDE

Sans grande surprise, la Chine et les États-Unis mènent la course à l’IA. Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) distingue 3 catégories pour effectuer des comparaisons. Les Applications d’IA, qui sont des systèmes d’IA, les Techniques d’IA et enfin, les Domaines d’IA qui utilisent des applications ou des techniques d’IA.

  1. Applications d’IA – La Vision par ordinateur et le Traitement naturel du langage (NLP) sont les applications d’IA qui sont à l’origine de la plupart des activités.
  2. Techniques d’IA – Aussi, l’Apprentissage machine (ML) dépasse toutes les autres techniques d’IA, tant à l’échelle nationale qu’internationale.
  3. Domaine de l’IA – Par ailleurs, on note que les Sciences de la vie et sciences médicales, et le Transport sont les domaines de l’IA les plus brevetés.

Au Canada, d’autres initiatives ont été mises en place comme l’initiative IA équitable et l’Initiative sur l’intelligence artificielle entre le Canada et le Royaume-Uni, chacune se concentrant sur des objectifs distincts pour faire progresser la collaboration internationale et nationale, l’éthique et la politique dans le domaine de l’IA.

De plus, le Canada a créé la Stratégie pancanadienne en matière d’intelligence artificielle, une initiative de 125 millions de dollars qui met en relation les principaux acteurs du domaine afin de garantir la collaboration, l’équité et le progrès économique.

QUI EST L’INVENTEUR EN BOUT DE LIGNE?

Stephen Thaler, président Imagination Engines. Crédit Photo Imagination Engines.

Stephen Thaler, président Imagination Engines. Crédit Photo Imagination Engines.

Comme nous l’avons esquissé, dire que l’IA invente pose problème. Mais, bien qu’il y ait de farouches opposants, la question ne semble pas tranchée et la notion de brevet devra être bien définie en ce qui concerne les systèmes d’IA.

Le débat qui s’ouvre alors, quant à savoir qui est l’inventeur d’un système est rattaché au débat sur la responsabilité. Qui possède les Droits d’Auteur, qui est responsable d’un système d’IA? Certains font valoir que la « loi américaine requiert qu’un individu prête serment quand il fait sa demande, et qu’un individu soit par définition une personne humaine. » Mais le débat reste ouvert.

« L’IA a créé l’invention, pas moi, il serait donc inexact que je sois enregistré comme l’inventeur. »

– Stephen Thaler, ingénieur et fondateur de DABUS

BIBLIOGRAPHIE

Agence France-Presse. (2022). L’IA ne peut déposer une demande de brevet, selon une juge américaine. Ici Radio-Canada.

Devillard, Arnaud. (2022). Dabus, l’IA qui ne peut pas déposer de brevets. Sciences et Avenir.

Gouvernement australien. (2022). Commissioner to appeal court decision allowing artificial intelligence to be an inventor.

Gouvernement du Canada. (2022). Traitement de l’intelligence artificielle : Aperçu du paysage canadien des brevets.

Sonnemaker, Tyler. (2020). No, an artificial intelligence can’t legally invent something — only ‘natural persons’ can, says US patent office. Insider.

Crédit photo: Unsplash