Phénomène « Barbie » : quand la poupée de Mattel devient influenceuse virtuelle

Phénomène « Barbie » : quand la poupée de Mattel devient influenceuse virtuelle

L’effervescence autour de la promotion du film Barbie, maintenant dans les salles de cinéma, propulse la poupée de Mattel en tant que nouvelle reine des réseaux sociaux. En véritable influenceuse virtuelle, Barbie domine le web et croît en popularité auprès d’une communauté internationale d’adeptes. Appartenant à un mouvement rassembleur, coloré, créatif et, contre toute attente féministe, des centaines de millions d’internautes construisent leur propre culture autour de celle qui a longtemps été l’archétype de la « bimbo » mais qui, aujourd’hui, s’en affranchit.

Lorsqu’ils ne sont pas conquis par la nostalgie de la Barbie, certains craquent pour l’univers déjanté du rose et des paillettes en bloc, tandis que d’autres sont plutôt séduits par l’intention derrière la parodie, qui veut que Barbie se reconvertisse petit à petit en une figure d’indépendance, anti-jouet et anti-objet.

Nombreux à trouver leur place au sein de cette communauté virtuelle, les fans de Barbie prouvent qu’il est facile de vénérer un personnage fictif, façonné selon des codes, puisqu’ils peuvent continuellement se les réapproprier. Après tout, Barbie a traversé les époques, a survécu à diverses vagues sociales, et ne décevra jamais autant qu’une célébrité ayant sa propre conscience, existant en chair et en os, bref, humaine…

Des outils technologiques pour exprimer sa créativité

meme et filtre barbie

Transformation par « Barbie Movie Poster » et « Fotor »

Mèmes, éditeurs photo reposant sur l’intelligence artificielle, les idées ne tarissent pas pour permettre à quiconque de se joindre à cette communauté créative, de contribuer ou de goûter à l’effervescence de Barbie sur le web.

Pensons aux portraits personnalisés aux couleurs de Barbie, transformés par l’IA de l’outil Fotor, ou encore par Barbiecore, ce produit de Perfectcorp, qui développe des technologies avancées d’essais virtuels de maquillage et d’analyse de peau en IA. Accompagnés d’une légende humoristique, ils pullulent sur les réseaux sociaux, en guise de photos de profil ou de posters.

« Évidemment, le côté obscur des filtres irréalistes, tels que ceux de Barbie, réside dans le fait qu’il est absolument impossible de ressembler à ces idéaux. Suivront les conséquences possibles sur plusieurs générations de femmes (…) »

– Caroline Tassé, experte marketing et de l’image de marque

D’un côté, ces applications et filtres génèrent un engouement inclusif et mixte, en ce que presque autant d’hommes que de femmes se plaisent à les essayer. Mais de l’autre, ils pourraient également renforcer les stéréotypes quant aux critères de beauté, renvoyant l’image d’un idéal de perfection biaisé  — une conséquence directe du succès du film Barbie et des produits dérivés non encadrés qui en découlent.

« Comme beaucoup de filtres beauté sur les réseaux, Barbie ne fait pas exception, entame Caroline Tassé, experte marketing. Même si plusieurs voient en ces filtres d’IA un amusement et une source de divertissement et d’humour, beaucoup d’autres y voient un tout autre monde. Évidemment, le côté obscur des filtres irréalistes, tels que ceux de Barbie, réside dans le fait qu’il est absolument impossible de ressembler à ces idéaux. Suivront les conséquences possibles sur plusieurs générations de femmes : baisse de l’estime, anxiété, voire même l’apparition de comportements négatifs par rapport à l’alimentation. Plusieurs femmes considèrent les chirurgies et passent à l’action pour ressembler aux filtres beauté », ajoute la spécialiste de l’image de marque.

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Une Barbie pourtant féministe

« La vie en plastique, c’est fantastique ! », chantait Aqua — des paroles qui ont encore leur résonance, selon Mme Tassé. « Est-ce que Barbie se définit encore comme le stéréotype de la femme parfaite, superficielle et reine de la beauté ? Je crois que, visuellement, elle l’est encore, même si on essaie de montrer davantage de diversité (couleur de peau, handicap, orientation sexuelle). Par contre, j’ai l’impression que la personnalité qu’on veut lui donner est différente et plus actuelle : indépendante, féministe, forte. Barbie ne se définit plus seulement par son style et son corps, mais par ses actions. C’est un tout, comme pour les femmes d’aujourd’hui. Les standards n’existent plus. »

« Barbie ne se définit plus seulement par son style et son corps, mais par ses actions. »

– Caroline Tassé, experte marketing et de l’image

Depuis des décennies, l’entreprise Mattel tente de redorer l’image de sa poupée, souvent critiquée pour les attentes sociales et esthétiques qu’elle semble créer, associées à l’image de la femme parfaite, toujours de bonne humeur et comblant son Ken.

caroline tasse

Caroline Tassé

Multipliant les représentations et déclinaisons de Barbie en poupées de différentes corpulences, couleurs et carrières, Mattel tente en effet d’en faire un modèle à suivre pour les petites filles. « Inclusion, ouverture, féminisme, Mattel veut que Barbie soit plus contemporaine que jamais. Notamment, en 2022, la première poupée transgenre à vue le jour. Elle s’affiche et démontre son soutien dans la lutte pour les droits LGBTQ », remarque l’experte marketing.

Ces efforts trouvent leur écho dans le film satirique Barbie, où Margot Robbie, dans le rôle éponyme en quête du vrai bonheur, redescend sur terre, et cherche à se désaliéner.

« Est-ce que la qualité du film, le sujet, les idéologies mis de l’avant méritent toute cette attention médiatique ? À mon avis, c’est démesuré. Mais s’il peut y avoir du positif, ce serait de miser sur la morale qui, je l’espère, montre une Barbie contemporaine, loin des stéréotypes, et que le film se positionne sur l’égalité des genres », estime Mme Tassé.

Une « Barbie vlogueuse », suivie par de vrais abonnés

En 2015, Mattel avait commencé à insuffler une nouvelle image à sa poupée, lorsqu’elle a introduit sa « Barbie vlogueuse », sous forme de vidéos inspirationnelles.

Dans cette série de vidéos animées, Barbie tient sa propre chaîne YouTube, et y véhicule des messages adressés à de réels abonnés, tels que « Parfois, il m’arrive de ne pas avoir le moral, puis de me sentir coupable parce que je suis plutôt censée être toujours positive et de bonne humeur. Du moins, j’en ai la réputation. Mais la vérité, c’est que je ne le suis pas tout le temps. J’ai réalisé que j’étais injuste envers moi-même, car je n’ai pas à être toujours de bonne humeur. Ces attentes sont injustes et irréalistes. Je ne devrais pas avoir à me transformer pour correspondre à un moule qui reflète d’autres aspirations que les miennes quant à la manière dont je devrais agir, me sentir ou penser. Avoir de telles attentes ne vous aidera pas mais mènera plutôt à votre perte. »

barbie youtubeuse

Peu à peu, la vlogueuse artificielle s’est imposée dans le paysage virtuel en tant qu’influenceuse, au même titre que n’importe quelle autre personnalité publique suivie sur les réseaux sociaux. Générant autant d’attention, la Barbie YouTubeuse s’est jointe au rang des « influenceurs virtuels », ces personnages fictifs ou générés artificiellement, qui parviennent à gagner des abonnés et à accroître leur communauté —  un phénomène en pleine ascension depuis les dernières années.

La Barbie vlogueuse compte pas moins de 11,4 M abonnés sur YouTube

« Il n’y a pas une seule manière de définir un influenceur, indique l’Australien Ben Robinson, chercheur en éthique de l’IA. Toutefois, on peut en dire qu’il détient un certain pouvoir social et qu’il influence le comportement d’autrui par ses discours ou ses actions. Il peut s’agir d’une personnalité présente ou absente du web, mais le terme ‘influenceur’ est surtout utilisé dans un contexte propre aux réseaux sociaux », précise M. Robinson.

Il donne l’exemple de Miquela Sousa, plus connue sous le nom de Lil Miquela, première influenceuse générée par un ordinateur. « Depuis sa conception en 2017, elle est suivie par plus de deux millions d’abonnés sur Instagram, et génère pour ses créateurs des profits considérables sur les campagnes publicitaires auxquelles elle participe en tant que mannequin, pour des marques telles que Prada, Samsung et Calvin Klein. » La jeune fille artificielle cartonne également sur Tik Tok, où elle est suivie par plus de 3,7 millions d’abonnés.

miquela sousa

Miquela Sousa sur Instagram.

Quant à Barbie, plus populaire que jamais, elle compte déjà 11,4 millions d’adhérents depuis sa première vidéo en tant que YouTubeuse, en 2015.

« Je crois qu’avec la centaine de partenariats que Mattel a créés avec des marques de renommée, Barbie est virtuellement une très grande influenceuse, d’ajouter Caroline Tassé. Zara, CROC, Airbnb, Canada Pooch, Forever 21, Starbucks, Xbox, Wet’n Wild, voici quelques exemples de partenariats, pour ne nommer que ces marques. Les créateurs de contenu sont des éléments clés dans cette démesure publicitaire. Ils créent des vidéos notamment avec des vêtements Barbie, ils montrent des univers et des décors avec des produits dérivés, ils font des challenges (défis) avec les couleurs rose bonbon, ils inventent des cocktails, etc. Les hashtags se multiplient par milliers et font briller la marque et le film. Snapchat, Tiktok, Instagram, les réseaux ne parlent que du film. »

Une popularité éphémère ?

L’équipe marketing de ce film de Greta Gerwig aura donc réussi son pari, récoltant pas moins de 155 millions $ de recettes dans les cinémas nord-américains durant le premier week-end suivant son lancement. Mais ce nouvel élan d’intérêt pour Barbie, qui bat actuellement son plein, pourrait bien s’essouffler au cours des prochaines semaines. Reste à voir si Barbie l’influenceuse virtuelle continuera de captiver les internautes des quatre coins du monde, actuellement envoûtés par sa nouvelle aura.

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Crédit Image à la Une : Fotor (gauche), Mattel (milieu) et Warner Bros (droite)