Finies les machines qui apprennent en ingurgitant sons et images pour affiner un résultat. Yann LeCun, responsable scientifique de Meta (Facebook), travaille désormais sur une intelligence artificielle autonome capable de prédire, une intelligence capable d’émotions. L’un des pères de l’intelligence artificielle explore de nouvelles avenues en s’inspirant du cerveau humain.
Invité de la Ville d’Antibes-Juan-les-Pins le 16 avril 2022, à l’occasion du Word Artificial Intelligence Cannes Festival, Yann LeCun a donné une conférence sur les avancées de l’IA sur la Côte d’Azur française. Il a également été fait Docteur Honoris Causa par l’Université Côte d’Azur à cette occasion. CScience IA a eu le privilège d’assister à l’événement, organisé en virtuel.
« L’essence de l’intelligence c’est la capacité à prédire », a expliqué le scientifique, pour dévoiler une partie de ses travaux. Il veut passer de la machine qui est programmée et qui a appris, à une machine capable de raisonner et prédire.
LES BÉBÉS APPRENNENT PAR OBSERVATION DU MONDE
Le chercheur a beaucoup observé les bébés et il s’interroge : « On ne sait pas reproduire en machine ce que les bébés apprennent au cours de leur croissance; comment font-ils la différence entre objets animés et inanimés ? » À deux mois, un nouveau-né sait qu’un objet caché derrière un autre existe toujours; à neuf mois, il sait qu’un objet non supporté tombe par gravité.
Le scientifique travaille sur le mécanisme derrière l’apprentissage par observation et surtout, si ce type d’apprentissage constitue la base de ce qu’on appelle le sens commun.
À la clef, imaginer une machine qui puisse apprendre des représentations du monde par observation et ainsi, par raisonnement, prédire ce qui va se passer dans le monde.
Selon le scientifique de Meta, cette machine n’est pas pour demain : « On les imagine pour l’instant, on a construit certains modules mais on ne sait pas tout faire marcher ensemble ». Il s’appuie sur le cerveau humain et étudie notamment le cortex préfrontal qui abrite notre modèle du monde, selon lui le siège de l’intelligence.
A system architecture for autonomous intelligence
MODÈLES À BASE D’ÉNERGIE SUR ARCHITECTURE JEPA
Pour avancer dans ses travaux, Yann LeCun veut abandonner la théorie des probabilités. Dans les modèles classiques de prévision du monde, les prédictions sont floues, car on s’appuie sur une moyenne.
Pour gérer l’incertitude dans les prédictions, il s‘appuie désormais sur les modèles à base d’énergie (energy-based models), « une espèce d’extension de la modélisation probabiliste qui abandonne les probabilités ».
« J’ai beaucoup de mal à convaincre mes collègues », concède le scientifique, qui reste persuadé que ces modèles ouvrent la voie à la prédiction de représentations abstraites du monde.
Grâce à l’architecture JEPA, la Joint Embedding Predictive Architecture, la machine pourrait apprendre des modèles prédictifs du monde. « Ce serait essentiel pour qu’un système apprenne comment le monde fonctionne par observation, en regardant des vidéos. Les bébés apprennent, en gros, en regardant le monde passer et en apprenant la physique intuitive. Et les animaux font ça aussi. Et nous aimerions que nos machines le fassent. », complétait le scientifique de Meta à Zdnet.fr le 1er avril 2022.
« Les machines à l’intelligence autonome auront des émotions puisque les émotions sont simplement une espèce d’anticipation du résultat de situations positives ou négatives » – Yann LeCun
Avec l’apprentissage de modèles prédictifs du monde, la machine de demain va raisonner et planifier.
LES MACHINES DE DEMAIN SERONT-ELLES CONSCIENTES ?
Yann LeCun s’explique : « La conscience c’est la possibilité de configurer notre modèle du monde pour faire face à une situation ». Puisque nous n’avons qu’un seul modèle du monde, nous ne pouvons effectuer qu’une seule tâche consciente à la fois.
Lorsque nous conduisons pour la première fois, cette action est consciente. Avec le temps et l’expérience, la conduite n’occupe plus totalement notre conscience qui peut s’occuper d’autre chose.
« La conscience est une conséquence de notre stupidité » – Yann LeCun
Pour lui, la conscience n’est pas la conséquence du fait qu’on soit très intelligent, c’est la conséquence du fait que notre cerveau est trop petit; si on avait plein de modèles du monde dans une énorme tête, nous n’aurions pas besoin de conscience car nous pourrions tous les faire marcher en même temps.
Ces machines, au sens commun aiguisé, prendront quelques décennies avant de voir le jour selon le chercheur français. Il se veut également rassurant en expliquant que les machines ne vont pas dominer l’Humanité. « Les humains ont envie de dominer pour assurer leur survie », justifie-t-il. Les machines de demain ne ressentiront pas la pulsion de la peur car elles n’auront pas besoin de dominer pour leur survie.
(crédit : Photo de Pavel Danilyuk provenant de Pexels)