Casinos : souriez, vous êtes surveillés par une IA

Casinos : souriez, vous êtes surveillés par une IA

L’intelligence artificielle (IA) viendra-t-elle en renfort aux casinos pour lutter contre la triche aux tables de poker? C’est ce que croit Loto-Québec et une jeune pousse montréalaise qui ont mis au point un algorithme qui pourrait bientôt surveiller croupiers et joueurs dans les établissements de jeux de la province.

Fondée il y a un peu plus de 2 ans, HookMotion est une entreprise qui a développé l’outil TableMotion, un logiciel de vision par ordinateur capable d’observer une multitude d’interactions aux tables de jeux de cartes.

Allant de la détection des mises à l’analyse des gestes des croupiers et des joueurs, l’algorithme est en mesure d’améliorer les rendements d’un casino en éliminant les erreurs de transactions, ainsi qu’en mettant en évidence les comportements suspects des joueurs.

« On a créé une solution pour les tables à cartes, car contrairement aux machines à sous où tout est géré par informatique, les casinos devaient encore compter sur le personnel pour effectuer la surveillance par caméra et prendre des décisions quant à l’optimisation de la gestion. Tout était encore fait à la main », affirme Dominic Morin-Proulx, directeur de l’exploitation et cofondateur de HookMotion.

GARDER L’AVANTAGE POUR LA MAISON

Contrairement à l’idée reçue voulant que la maison possède un fort avantage sur les parieurs, son atout statistique n’est supérieur que d’un maigre 1 % aux tables à jouer, selon M. Morin-Proulx.

Cet avantage représente tout de même des milliers de dollars par table à la fin d’une journée, mais cette marge de manœuvre étant mince, quelques erreurs peuvent faire basculer l’équilibre du jeu.

« S’il y a des erreurs de paiement par un croupier, de la triche ou des compteurs de carte, cet avantage est vite perdu. Ce sont tous des facteurs qui sont difficiles à suivre pour un humain, mais pas pour la machine » -Dominic Morin-Proulx, cofondateur, HookMotion

En effet, les joueurs experts capables de compter les cartes qui ont été jouées afin de prédire à leur avantage lors des prochaines mains possèdent des techniques sophistiquées, presque impossibles à déceler pour un observateur humain. « Ils vont faire exprès de perdre une main de temps à autre pour éviter d’être détectés », donne en exemple M. Morin-Proulx.

Ainsi, l’algorithme peut classifier la performance des joueurs et des croupiers durant leur présence à une table et leur donner une note. En plus de combattre contre les tricheurs, cela permet de mieux gérer l’efficacité du personnel.

Enfin, l’observation des comportements de joueurs peut servir à autre chose que des gains accrus pour les casinos.

Selon M. Morin-Proulx, l’outil serait en mesure de détecter les comportements à risque de dépendance au jeu.

Des données concernant la durée de la présence du joueur à la table, ses habitudes de mises et les sommes jouées seraient toutes indicatrices d’une dépendance, affirme-t-il.

CRÉÉ EN COLLABORATION AVEC LOTO-QUÉBEC

TableMotion est le fruit des efforts de trois jeunes entrepreneurs, dont deux sont issus des classes de l’École de Technologie Supérieure (ÉTS).

Toutefois, c’est une intervention de Loto-Québec qui a déclenché l’initiative.

« Des employés de Loto-Québec ont visité l’ÉTS lorsque nous étions encore aux études, mon collègue et moi, afin de nous présenter les enjeux des casinos et pour savoir si l’IA pourrait apporter des solutions à certains problèmes », raconte M. Morin-Proulx.

À la suite de cette présentation, les cofondateurs s’engagent à la création de leur entreprise et de leur outil et entretiennent plusieurs discussions avec l’agence gouvernementale. Ces rencontres guideront le développement de leur algorithme.

La pandémie aura un peu brouillé les cartes, mais HookMotion est enfin parvenue à produire une preuve de concept et à lancer un projet pilote au Casino de Montréal cette année.

TableMotion ne gère cependant pas les jeux sur les tables de poker, de baccarat ou de Blackjack pour l’instant, indique le cofondateur.

« La technologie n’est pas déployée en ce moment, elle est toujours en adaptation. Nous collectons des images dans un environnement réel pour l’améliorer », souligne-t-il.

Contactées à ce sujet, les relations médias de Loto-Québec se disent « fière d’encourager des entreprises novatrices comme HookMotion et ainsi de valoriser la créativité et le savoir-faire d’ici ».

« La mise en commun des expertises complémentaires de Loto-Québec et de HookMotion a contribué à la création de TableMotion, une solution novatrice en intelligence artificielle pour les casinos qui est basée sur la vision par ordinateur » -Loto-Québec

Qualifiant la technologie de l’entreprise comme étant « une solution novatrice en intelligence artificielle pour les casinos », l’agence gouvernementale croit qu’en  « modernisant [ses] outils de surveillance, TableMotion constitue un réel atout dans le maintien de l’intégrité des jeux en établissement ».

SÉCURITÉ ET VIE PRIVÉE

Évidemment, un nouvel outil de surveillance grâce à l’IA soulève des questions de vie privée et de sécurité des données personnelles, surtout lorsqu’il est question de collecte d’information.

Par souci de confidentialité, M. Morin-Proulx n’a pas pu donner tous les détails de l’entente avec Loto-Québec, cependant ce dernier à insisté sur le fait que ce contrat particulier ne comprenait pas la surveillance des croupiers.

« Ce n’est pas ce qui est recherché ici au Québec. Les croupiers sont syndiqués et ont des carrières, donc ils ont souvent de l’expérience. Toutefois, dans les casinos privés, comme en Ontario, il y a un gros roulement de personnel. TableMotion peut aider à mieux gérer leur rendement aux tables », affirme-t-il.

Celui-ci veut aussi se faire rassurant quant à la surveillance des joueurs et à la protection de leur vie privée.

Ne demandant pas l’installation de caméras directement sur les tables, mais reposant plutôt sur le matériel de vidéosurveillance déjà mis en place dans les établissements, TableMotion ne capte pas les visages des joueurs, assure-t-il.

« Ce qui est évalué, c’est la partie à la table. Si un joueur quitte la partie, l’algorithme ne fait pas de suivi des comportements si celui-ci décide de se joindre à une autre table. On ne suit pas les gens dans le casino, seulement leur jeu sur chaque table individuelle », confie ce dernier.

Crédit photo: Pexels/Javon Swaby