Son apport en médecine et cancérologie est de plus en plus reconnu, mais l’intelligence artificielle (IA) demeure souvent méconnue et difficile à appréhender. Comment mieux apprivoiser l’IA au profit de la cancérologie, en contexte de collaboration et d’échange entre professionnels ?
Le parcours « IA-CANCÉROLOGIE au Québec : Partagez votre savoir avec impact », organisé par l’École de l’intelligence artificielle en santé du CHUM (ÉIAS) et la Société canadienne du cancer (SCC), avec le soutien du ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, était l’occasion d’explorer des stratégies visant à promouvoir la compréhension de l’IA dans le domaine de la cancérologie.
Le 9 novembre dernier, au terme du parcours, les participants ont clairement identifié les nombreux défis auxquels l’intelligence artificielle est confrontée dans le domaine hospitalier, incluant la gestion du changement, l’acceptabilité sociale des projets d’IA, le processus de déploiement de nouvelles technologies en milieu réel et les freins quant à la centralisation des données.
Au cœur des discussions, on a soulevé la problématique du transfert de connaissances entre experts : « On sait que le Québec est une plaque tournante dans le développement de l’intelligence artificielle, mais il y a plusieurs expertises qui sont très nichées. L’objectif d’une journée comme celle du 9 novembre est de (…) créer un réseau d’experts en intelligence artificielle en cancer au Québec, où ces derniers mettront en commun et échangeront leurs connaissances », explique Isabelle Girard, directrice des communications pour le Québec à la Société canadienne du cancer.
Transfert de connaissances
Comment transférer efficacement les connaissances liées à l’IA en santé? En comprenant les caractéristiques des apprenants (afin de saisir le niveau de langage à adopter, les motivations de l’apprenant à participer à une formation, son niveau de compétences professionnelles), en délimitant les objectifs précis du transfert (liés à l’action, la condition et les critères de performance) et en réfléchissant à la manière de transmettre son message, suggère-t-on dans le symposium.
Mais pour transférer ces connaissances, d’abord faut-il comprendre l’IA. La journée de formation du 9 novembre a permis de consolider et récapituler les apprentissages sur l’IA faits lors des deux journées précédentes : « Ma compréhension d’une présentation peut être différente de ta perception et de ta compréhension selon ton expérience. Alors durant cette journée, on a essayé d’amener tous ces morceaux ensemble pour vraiment construire une compréhension commune de ce qui a été fait », raconte Nadia Naffi, professeure adjointe au Département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval.
Les activités proposées aux participants les ont menés à s’adapter aux questions de différents apprenants, à structurer et à repenser leurs stratégies pédagogiques. Un exercice qui, selon Mme Naffi, peut améliorer la communication entre patients et médecins, et avoir un grand « impact sur les patients, qui vont se sentir plus impliqués dans leur propre parcours de soins ».
Maîtriser l’IA
« La santé peut être tout aussi complexe que (l’IA). On est vraiment dans une convergence de deux mondes (celui de l’IA et celui de la santé, qui ont chacun leurs défis) où (…) on ne peut plus former les gens comme on les formait auparavant. Il faut trouver de nouvelles façons d’accompagner les équipes dans ces transformations », relève Natalie Mayerhofer, adjointe de la directrice en Stratégie, partenariats et valorisation à l’ÉIAS.
Selon Mme Mayerhofer, « plusieurs résidents en médecine complètent leur diplôme se sentant nullement préparés à un bouleversement majeur de leur profession par l’IA. Les équipes cliniques sont surchargées de formation et de nouvelles connaissances à intégrer dans leur pratique au quotidien. À titre d’exemple, la COVID, à elle seule, générait plus de 300 articles scientifiques par jour. Imaginez devoir lire 300 articles après un quart de nuit aux urgences ! »
Elle évoque les résultats de sondages, « dont celui du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada », qui rendraient compte d’un manque de préparation de la relève quant à l’intégration de l’IA en santé, « et ce, même si les professionnels, dont les médecins, anticipent une transformation majeure de leur profession (en partie attribuable à) l’IA ».
Pour répondre à cet enjeu, l’ÉIAS, créée en 2018 avec près de 150 partenaires, a entre autres développé le « référentiel de compétences, soit une trousse informative complète, ainsi que des formations. Celles-ci contribuent à l’amélioration de seize compétences qui permettent de mieux intégrer l’IA en santé. Midi-conférences, formations, symposiums, balados, vidéos, guides, lexiques, outils pédagogiques, cartographies, l’ÉIAS « propose une multiplicité de méthodes pédagogiques pour la multiplicité d’apprenants, pour une multiplicité de compétences », résume Mme Mayerhofer.
Parler un même langage
Apprendre en IA, c’est aussi comprendre son langage parfois complexe : « Il est essentiel de former des ambassadeurs, car il faut que le savoir, le savoir-faire, le vocabulaire et l’expertise percolent dans différents milieux, pas uniquement dans un centre de recherche ou un hôpital universitaire », explique le Dr An Tang, professeur titulaire au Département de radiologie, radio-oncologie et médecine nucléaire à l’Université de Montréal, et radiologiste au CHUM.
Christian Blouin, patient partenaire au CHUM, rappelle la nécessité pour le milieu de la santé « d’être capable de parler un langage accessible à tous et de vulgariser l’IA ». Il ajoute que la présence d’ambassadeurs favorise l’inclusion du patient dans la prise de décisions éclairées tout au long de son parcours de soins.
Nadia Naffi abonde dans le même sens : « On veut que les patients prennent le contrôle de leur santé et leurs soins, qu’ils soient actifs dans leur rétablissement. Mais pour l’être, ils doivent comprendre, ils doivent être traités comme des égaux. Il faut cette discussion avec eux pour qu’ils se sentent impliqués dans leur propre santé. »
Automatisation, humain et santé
Pour le Dr Tang, l’IA et ses processus d’automatisation sont un outil, un moyen, mais ne sont pas un remplaçant de l’humain : « La finalité, ce n’est pas d’automatiser entièrement le travail humain, mais c’est d’automatiser certaines étapes, certaines tâches qui sont répétitives ou qui pourraient être faites de façon plus sécuritaire, moins risquée, et d’améliorer la performance diagnostique. »
Si l’IA inquiète, le Dr Tang note l’importance de mettre en lumière les retombées positives que l’IA peut avoir en matière de sécurité. « Je trouve que la question de l’automatisation est mal formulée sous l’angle du remplacement. L’idée, c’est d’améliorer la détection des cancers, de les trouver plus tôt, de faire moins d’erreurs, puis d’avoir un second lecteur », résume-t-il.
« Les bénéfices de l’IA pour la population sont peu promus (…) L’IA en santé, ça donne des traitements qui sont beaucoup plus ajustés au besoin du patient, ça permet de colliger de l’information sur des maladies rares. »
– Catherine Wilhemly, coordonnatrice du partenariat patient au Centre de recherche du CHUS.
Il donne l’exemple d’un médecin qui, à son arrivée au travail, doit se pencher sur une centaine de mammographies. Si, à l’heure actuelle, le médecin les trie dans l’ordre d’arrivée, un outil d’IA peut détecter et lancer une alerte propre à tous les cas susceptibles d’impliquer un cancer, en vue d’en faire une priorité. Un outil d’IA peut également faire une seconde lecture du cas déjà analysé par le médecin, réduisant ainsi le risque de laisser des cas lui échapper.
« Les bénéfices de l’IA pour la population sont peu promus (…) L’IA en santé, ça donne des traitements qui sont beaucoup plus ajustés au besoin du patient, ça permet de colliger de l’information sur des maladies rares », amène Catherine Wilhemly, coordonnatrice du partenariat patient au Centre de recherche du CHUS.
Elle ajoute que « l’IA, ce n’est pas la machine qui prend le dessus sur l’humain, c’est l’humain qui utilise la machine pour accélérer des processus, pour accélérer l’étude de centaines de milliers de données qu’il faudrait une vie entière à analyser. De manière ultime, l’humain demeure le décideur. »
Crédit Image à la Une : Pixabay et iStock