Utiliser des techniques d’IA pour identifier et localiser les prostitués mineurs pourrait donner un sérieux coup de pouce aux enquêteurs.
Le sujet a en tout cas été largement évoqué lundi, lors de la dernière journée de consultations publiques tenues par la commission parlementaire qui se penche sur l’exploitation sexuelle des mineurs au Québec. « C’est un sujet intéressant et important », commente Ian Lafrenière, président de la commission spéciale et adjoint parlementaire de la ministre de la Sécurité publique. « J’ai eu la chance de visiter le NCMEC (National Center for Missing and Exploited Children), qui utilise de nouvelles technologies pour aider les autorités policières à retrouver les enfants disparus ou exploités. Nous avons d’ailleurs un établissement semblable du côté canadien, le CNCEE (Le Centre National Contre l’Exploitation des Enfants), en lien avec la Gendarmerie royale du Canada ».
IDENTIFIER LES VICTIMES GRÂCE À L’IA
Parmi les techniques évoquées, il y a celles utilisées pour identifier les jeunes prostitués. Paul Laurier, à la tête de Vigiteck, une société spécialisée en cyberenquête, a justement été auditionné par la commission. Il prône une méthode d’enquête à plusieurs outils, avec notamment tout un pan d’investigation numérique robotisée. « Depuis notre création en 2012, on a surtout développé l’outil D-Analyst, spécialisé dans la collecte de données, la reconnaissance faciale et d’objets. Par objets j’entends : un visage, un bijou, un sein, un tatouage, une couleur de peau, etc… Ce qui nous intéresse c’est d’être capable de retrouver une victime. Et grâce à l’IA, ce sont des éléments que nous sommes capables de retrouver sur le web », explique cet ancien policier.
Dans le cas de jeunes personnes disparues, « on va se demander : est-ce qu’il y a une trace de cette personne quelque part ? À quel endroit ? Fait-elle surface sur le web ? Sous quel pseudonyme? Tout ce qu’on peut rattacher de métadonnées à cette personne pour permettre de la localiser », ajoute-t-il.
REPÉRER LES ANNONCES JUVÉNILES GRÂCE À L’IA
La lutte contre la prostitution juvénile est « hautement technologique, répète Paul Laurier. « Il y a des signes, des mots-clés, des images, des tags, que nous pouvons chercher et qui nous feront penser que la personne n’est pas majeure derrière une annonce. Nos techniques et analyses nous permettent de repérer entre 20 et 40% d’annonces de prostitués adolescents ».
Quant aux proxénètes, Paul Laurier affirme qu’il est capable de retracer un réseau, mais que « c’est le travail de la police ».
Bonne nouvelle pour les autorités compétentes ? « Ça s’ajoute à un arsenal, à une panoplie de mesures déjà existantes, mais il n’y a pas qu’une méthode qui va tout régler », répond Ian Lafrenière.
ENCORE PEU UTILISÉ AU CANADA
C’est ce que déplore le leader de Vigiteck. « On est vraiment en retard au Canada au niveau législatif et technologique. Les techniques d’IA ne sont pas prises en compte, mais ce domaine est surtout incompris, alors que nous n’avons pas le choix. L’IA, les technologies sont là. Le “eDiscovery”, l’analyse de courriels par une machine, ça existe. L’humain n’en est pas capable, et ce pour deux raisons. D’abord pour la volumétrie et ensuite pour la précision du travail et la rapidité. Il faut convaincre la justice canadienne d’aller plus vite vers ces techniques ».
Aux États-Unis, les nouvelles techniques d’investigation en matière d’IA sont déjà prises en compte par les juges lors des procès. « C’est ce qu’on appelle l’ Electronic Discovery Reference Model », poursuit Paul Laurier.
Pour le président de la commission, certes, ces avancées technologiques constituent un apport par rapport aux méthodes passées. Il faut en tout cas les prendre au sérieux, mais « dans la recherche de victimes, il y a plusieurs questions à se poser. Si on se dit que les nouvelles technologies vont tout régler par elles-mêmes, on développe un algorithme, on le met en pratique et on laisse les choses aller… Et puis, en tant qu’ancien policier, en tant qu’homme qui croit vraiment à la présomption d’innocence, je pense qu’il faut être très prudent. Ce sont des outils qui peuvent être mis à la disposition des services de police mais même lorsqu’on a amassé des informations, il faut les vérifier. C’est comme n’importe quel outil, c’est bien, oui , ça doit être encadré oui , mais ça fait partie d’un tout », conclut Ian Lafrenière.