[En mode solution] Réinventer nos villes et mieux gérer les données municipales

[En mode solution] Réinventer nos villes et mieux gérer les données municipales

Lundi le 5 juin avait lieu la 2ème édition d’ « En mode solution » (EMS), une série d’événements signés CScience, où l’on échange pour faire émerger les solutions concrètes et innovantes du secteur technologique. En plein cœur du centre-ville de Montréal et sous un soleil tapant, l’équipe de CScience, en partenariat avec Bradley & Rollins et les Fonds de recherche du Québec (FRQ), en présence de maires et d’invités issus de l’écosystème de l’intelligence artificielle et de la cybersécurité, ont pris part à des ateliers dynamiques, ainsi qu’au tournage d’une émission EMS, en deux parties.

Tournée sur la terrasse de l’Hôtel Monville, l’émission était co-animée par Philippe Régnoux, Chloé-Anne Touma et Pauline Merle, respectivement directeur de publication, rédactrice en chef et analyste-chroniqueuse chez CScience. Articulée autour de la collecte, la protection et l’exploitation des données municipales, la réflexion a permis de mettre en lumière, dans un premier temps, les défis auxquels sont confrontées les municipalités du Québec en matière de gestion des données, et, dans un deuxième temps, les technologies et projets qui leur permettent d’en tirer le meilleur.

En mode enjeux

Dans la première partie de l’émission intitulée « En mode enjeux », Elsa Bruyère, facilitatrice en innovation et co-fondatrice de La Fabrique Agile, a dressé le portrait des défis propres à la gestion, la collecte et le stockage des données visant à rendre les villes plus intelligentes, sensibilisant les participants à la question des données sensibles.

1) Les inégalités des ressources

« Le premier enjeu qui est ressorti, c’est la question des inégalités des ressources dont les municipalités bénéficient en la matière », a fait valoir Mme Bruyère, insistant sur l’importance des « cas d’usage pour être capable de se référer à des méthodes, des pratiques et des groupes ».

« Une petite municipalité, c’est souvent une dizaine d’employés qui ont à gérer l’ensemble des services. Leur demander de produire des données et de développer des techniques de transformation en prise de décision, c’est complexe (…) »

– François-William Croteau, PDG de l’Institut de la résilience et de l’innovation urbaine

Elsa Bruyère

« On a des grandes et des petites municipalités, et le monde du numérique en est un récent, l’émergence du digital remontant aux 30 dernières années, ce qui fait qu’on n’est pas tous formés pour y faire face », a-t-elle ajouté. Comme facteur renforçant ce problème, elle a également soulevé la pénurie de main-d’œuvre qualifiée.

« C’est très différent d’un territoire à l’autre, d’autant plus qu’au Québec, il y a plus de 1 000 municipalités, dont la majorité ont moins de 2 000 habitants. Une petite municipalité, c’est souvent une dizaine d’employés qui ont à gérer l’ensemble des services. Leur demander de produire des données et de développer des techniques de transformation en prise de décision, c’est complexe, et amène de nombreuses questions quant au manque de littéracie et d’aide technique. Mais ce n’est pas non plus parce qu’on est une grande ville et qu’on a plus de ressources qu’on est meilleur dans le domaine », a souligné d’entrée de jeu l’invité observateur, François-William Croteau, PDG de l’Institut de la résilience et de l’innovation urbaine, et ancien maire de l’arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie à Montréal.

François-William Croteau

Assis dans le public, le maire de Chute-Saint-Philippe, Normand St-Amour, a abondé dans le même sens : « C’est certain qu’on a des ressources limitées en tant que petite municipalité, mais on jouit d’une grande agilité, et notre succès passe beaucoup par les partenariats que nous formons avec les ministères ainsi que d’autres villes. » Selon lui, le défi réside davantage dans l’élaboration d’une « structure facilitante » ou de projets dits « structurants ».

2) Le manque de compétences pour exploiter les données

Chloé-Anne Touma

En matière de gestion des données, la deuxième problématique mise en évidence était « le manque de littératie et de compétences de nos villes et de nos citoyens dans le domaine ».

« Souvent, on s’emballe à imaginer ce qu’on pourra faire avec les données d’une municipalité, alors qu’avant de se poser cette question, on doit se demander comment on peut collecter ces données, et où les stocker ? », a lancé la rédactrice en chef de CScience, Chloé-Anne Touma, rappelant à titre d’exemple que si le concept des bâtiments intelligents pour réduire les GES et optimiser leur consommation d’énergie est souvent évoqué en lien avec les villes intelligentes, « 90 % des immeubles sur la planète engendre énormément de données qui demeurent inexploitées », citant Jean-Simon Venne, chef de la technologie chez BrainBox AI, qui propose des solutions pour rendre les bâtiments plus intelligents, écologiques et efficaces.

« Les MRC peuvent jouer un rôle pour accompagner les petites municipalités, c’est important. L’Union des municipalités du Québec (UMQ), la Fédération québécoise des municipalités (FQM) et le gouvernement le peuvent également. Mais il ne faut pas négliger un élément sous-jacent du besoin de littératie », pense M. Croteau, soit « le sens que prend cette transformation : à quoi va servir la donnée ? C’est souvent ce qu’il manque », d’apporter l’ex-maire.

3. Le manque de sensibilisation des utilisateurs aux risques

Philippe Régnoux et Bertrand Milot

« Dans un cadre de décentralisation de données, la cartographie de données a été un gros enjeu relevé, de même que la non-utilisation de données massives », a rapporté le fondateur et PDG de Bradley & Rollins, Bertrand Milot, qui animait les ateliers sur le renforcement de la cybersécurité et la protection accrue des données municipales, de sorte à rendre les villes plus résilientes, tout en tenant compte de la réalité du terrain et de la règlementation en vigueur. « On ne sait pas où se trouvent les données, ni comment les identifier. Il est là, l’enjeu ! On ne sait pas leur type, leur principe, leur fonction, ce qui génère un très gros enjeu pour les villes, à l’heure actuelle. »

« On ne sait pas où se trouve les données, ni comment les identifier. Il est là, l’enjeu ! On ne sait pas leur type, leur principe, leur fonction, ce qui génère un très gros enjeu pour les villes, à l’heure actuelle. »

– Bertrand Milot, fondateur et PDG de Bradley & Rollins

Mais avant de se lancer dans l’implantation de technologies pour lesquelles il faudra développer une expertise, et de s’attarder à « ouvrir les données de façon automatique, il faut se demander pourquoi on rend ces données publiques et dans quel but ? », de suggérer M. Croteau.

« La difficulté, c’est que cette corrélation de données doit être cartographiée par plusieurs acteurs », de compléter M. Milot.

4. Mieux identifier les accès aux données internes et externes

« L’une des problématiques que nous connaissons au Québec et dans le reste de l’Amérique du Nord, ce sont celles qu’entraînent les clauses de libre-échange, qui font, par exemple, qu’on ne peut pas obliger le stockage des données sur des serveurs au Québec », propose enfin M. Croteau.

En mode solution

Dans la deuxième partie de l’émission, « En mode solution », des exemples concrets afin de rendre nos villes plus intelligentes et résilientes ont été relevés.

Et si chaque ville avait son propre scientifique en chef ? « C’est un modèle qu’on essaie et que les villes peuvent modeler selon leur besoins, et se l’approprier, a relaté Julie Dirwimmer, conseillère principale, relations science et société au Bureau du scientifique en chef du Québec. Évidemment, ce n’est pas un luxe que peuvent se permettre les petites municipalités, contrairement à des villes comme Longueuil, mais elles peuvent très bien faire affaire avec un scientifique d’une université, qui leur est familier et qu’elles peuvent appeler régulièrement. Le milieu de la recherche peut aussi apporter des ressources humaines hautement qualifiées aux municipalités, ne serait-ce qu’au travers de stages. »

Pauline Merle (à gauche) et Julie Dirwimmer (au micro)

2) Des programmes de financement et d’accélération

« Qu’on soit une municipalité ou une PME qui veut se lancer dans un projet en IA et gestion de données, il y a des ressources et des programmes, a entamé la rédactrice en chef de CScience. Pensons à IVÉO, qui œuvre pour le maillage entre les besoins des villes et des PME qui offrent des solutions, ou encore à l’OBNL Prompt, auprès de laquelle on peut obtenir du financement et mobiliser des talents, créant ainsi de l’emploi. »

Antoine Auger, directeur du développement des affaires chez le catalyseur Prompt, explique que « Nous finançons l’innovation dans le domaine technologique, et les municipalités, comme milieu preneur, peuvent bénéficier de ces programmes ».

« IVÉO soutient les villes lorsqu’elles ont un défi technologique à relever. Cela peut se traduire par une aide dans plusieurs champs d’expertise, aux Loisirs, aux Travaux publics, en génie, en TI, etc., grâce à des projets pilotes et d’expérimentation de nouvelles technologies », de préciser Marie-Christine Foucault, directrice des relations avec le milieu et les services aux membres chez IVÉO.

Primaël-Marie Sodonon

Primaël-Marie Sodonon, directeur des Laboratoires Urbains chez IVÉO, explique que dans le cadre des projets menés dans sa division, « Neuf villes de notre réseau se prêtent au jeu, acceptant de devenir des laboratoires vivants, notamment en cybersécurité. L’objectif est de déterminer quels sont leurs enjeux, leurs besoins et leur complexité, et d’utiliser notre réseau d’entreprises et de partenaires pour leur apporter des solutions qu’elles pourront tester. »

3) Des formations et des ateliers

95 % du temps, la sécurité des données est compromise en raison d’une erreur humaine, a relaté la rédactrice en chef de CScience, soulignant l’importance d’investir dans de la formation.

Pour sensibiliser aux enjeux de sécurité et de gestion des données, et pallier le manque de littératie numérique, on a évoqué à l’émission l’offre de formations ou d’ateliers comme ceux donnés par la Fabrique Agile ou encore des entreprises comme CY-clic.

4) Des logiciels pour détecter la menace

On a proposé la solution de Verif AI, qui permet de reconnaître les courriels frauduleux, et de détecter la menace là où elle est le plus courante et où elle échappe souvent à l’œil humain.

5) Des solutions de cybersécurité intelligentes, complètes et personnalisées

Les solutions de Bradley & Rollins ou encore de CYBERDEFENSE AI, pour réunir des outils intelligents à même votre cloud, afin de stocker, sécuriser, surveiller et optimiser la gestion de vos données à distance et en continu, ont également été donnés en exemples.

6) Des protocoles et « recettes » à suivre

Enfin, en termes de « recette » à suivre pour orienter la mise en place d’une stratégie de gouvernance de données, le PDG de Bradley & Rollins a mentionné la Directive gouvernementale sur la sécurité de l’information, qui prévoit la mise en place de 15 mesures minimales de sécurité :

  1. Recourir à des versions de systèmes d’exploitation supportées par le manufacturier;
  2. Effectuer les mises à jour vers les dernières versions;
  3. Déployer un antivirus à jour et moderne contenant notamment des fonctionnalités d’Endpoint Detection and Response (EDR);
  4. Implanter l’authentification multifacteur (MFA) pour les accès des citoyens et des employés;
  5. Déployer une stratégie de prise de copies afin d’assurer une reprise informatique adéquate;
  6. Rendre disponible une solution de courriel sécurisée lors de l’utilisation de données personnelles ou confidentielles par les employés;
  7. S’inscrire au service de balayage de vulnérabilités des applications accessibles d’internet du Centre gouvernemental de cyberdéfense et définir un plan d’action pour corriger les lacunes découvertes;
  8. Effectuer une surveillance continue des solutions d’authentification pour détecter des situations anormales et définir un plan d’action pour corriger les lacunes découvertes;
  9. Ajouter un dispositif Captcha aux services d’authentification;
  10. Transmettre des notifications avisant le citoyen des accès ou des changements à son compte;
  11. Mettre à la disposition des citoyens un service leur permettant de transmettre des informations de façon sécuritaire autre que le courriel;
  12. Effectuer des campagnes de simulation à l’hameçonnage de façon continue et engageante auprès des employés;
  13. Définir ou mettre à jour une directive interne qui précise les consignes à respecter lors de l’utilisation du courriel, d’internet et des outils technologiques;
  14. Effectuer une surveillance accrue de la gestion des accès accordés aux employés;
  15. Exiger des employés qu’ils suivent les capsules de formation de sécurité.

    Jonathan Chodjaï

Rien que le début !

Pour clore l’émission, le directeur général de CScience Le Lab, et instigateur de l’événement, Jonathan Chodjaï, a pris la parole au micro. « On va monitorer les développement au cours des dix prochains mois, et on va s’assurer d’actionner auprès des municipalités présentes, mais aussi de toutes celles qui ne pouvaient être des nôtres aujourd’hui, pour ficeler une proposition que l’on présentera à l’UMQ afin de mettre en pratique les solutions mises de l’avant », a-t-il promis.

Visionnez les deux parties complètes de l’émission sur la plateforme de diffusion en continu de CScience pour en savoir plus sur l’ensemble des enjeux et solutions abordés.

Crédit Image à la Une : CScience Média