[Entrevue] : La prochaine bataille de l’espace sera une bataille des données

[Entrevue] : La prochaine bataille de l’espace sera une bataille des données

L’entreprise montréalaise NorthStar Ciel & Terre a entamé à la fin 2020 la construction de ses trois premiers satellites, qui seront chargés de surveiller les débris spatiaux depuis l’espace. Avant leur lancement prévu l’année prochaine, Cscience IA s’est entretenu avec le PDG et co-fondateur de NorthStar, Stewart Bain. À ses yeux, la hausse spectaculaire du nombre de satellites en orbite de la Terre représente un risque majeur, et doivent nous amener à un changement de comportement radical dans notre rapport à l’espace. 

CScience IA : NorthStar Ciel & Terre se lance dans la commercialisation des données spatiales, à un moment où les débris spatiaux sont de plus en plus nombreux, et où le trafic s’apprête à augmenter significativement. Sommes-nous à un tournant de la colonisation de notre orbite ?

Stewart Bain : Je pense que le tournant que vous mentionnez est déjà derrière nous. Avant, les gouvernements dominaient l’espace, la plupart des satellites étaient envoyés et contrôlés par les gouvernements. Mais aujourd’hui on a bien dépassé ce point avec la nouvelle population de satellites dits commerciaux. C’est un changement de paradigme sur lequel on ne reviendra jamais, et nous sommes maintenant dans une situation où l’on doit collectivement regarder comment nous allons contrôler notre environnement, d’une manière sécurisée et durable dans l’espace.

CScience IA : Pourquoi la problématique des débris spatiaux est devenue une priorité aujourd’hui  ?

SB : En anglais, on ne parle pas de débris, mais de résident space objects. Parce qu’il n’y a pas seulement des petits débris, mais aussi des satellites complets, de la taille et du poids d’un autobus, qui sont totalement incontrôlables dans une orbite que nous ne comprenons pas parfaitement. On a parlé très récemment de Noah 17 ou encore du satellite chinois Longue Marche-5B, des satellites que l’on place à peu près à 550 kilomètres de la Terre, qui ont rapidement été détruits, mais on ne sait pas pourquoi. ce qu’on sait en revanche, c’est que les bris de ces satellites peuvent créer beaucoup de problèmes.

Il faut comprendre que les orbites qu’on occupe aujourd’hui sont un peu comme la Côte d’Azur en France. On cherche la meilleure propriété, avec le meilleur emplacement et la meilleure vue ! Il y a des orbites très populaires, qui sont très occupées, et c’est dans ces orbites que l’on doit être vraiment prudents, car ce sont des ressources qui on une fin. On ne peut pas continuer à les occuper sans se soucier de savoir où se situent les débris en orbite, et comment naviguer autour d’eux. 

CScience IA : Quels risques représente la future explosion du trafic spatial ?

Les risques sont énormes. Et ce n’est pas comme la Covid 19 où l’on peut trouver un vaccin après. Dans l’espace, nous devons trouver une solution avant ! Selon moi, les humains préfèrent nettoyer le problème plutôt que de l’éviter. Mais dans l’espace nous n’avons pas le choix. Parce que si le syndrome de Kessler (théorie selon laquelle nous serons un jour incapable de lancer quoi que ce soit dans l’espace à cause d’un trop grand nombre de débris spatiaux, ndlr) devient une réalité, on ne pourra plus accéder à l’espace, et toute notre économie risque de s’écrouler à cause de cela. Début 2020 nous avions environ 2700 satellites fonctionnels en orbite, et en 2030, nous devrions en avoir 27 000. A ce moment, on aura des millions de débris spatiaux. C’est pour ça que l’on doit absolument changer de comportement.

Les trois satellites de NorthStar seront destinés à repérer les objets dans l’espace et prédire leur position pour assurer la sécurité des vols spatiaux. Crédit : NorthStar Ciel & Terre

CScience IA : Comment vont fonctionner les trois premiers satellites que vous allez envoyer dans l’espace pour connaître la position des débris spatiaux ? 

SB : Le plus important c’est de voir tout l’espace. Nous avons développé un système pour être en mesure de regarder toutes les orbites en même temps. Ensuite, nous développons des algorithmes pour transformer ces images en trajectoires précises, et en temps réel pour pouvoir prendre des décisions. Le but c’est de se servir de l’apprentissage machine pour faire des prédictions sur tous les scénari possibles. Regardez la fusée Dragon Crew de Space X (qui a effectué le dernier voyage vers l’ISS, et qui aurait risqué une collision ndlr), on se pose la question après le risque de collision, mais c’est avant qu’il faut se la poser. On doit connaître au minimum 4 jours à l’avance si on peut lancer une fusée dans l’espace. Et c’est là que l’IA va nous aider à avoir les informations nécessaires pour prendre les meilleures décisions. 

Récemment j’ai entendu à la radio que la prochaine bataille dans l’espace sera remportée par la société qui génèrera la plus grande quantité de données et qui sera en mesure de les traiter en temps réel. C’est ça la “space race” aujourd’hui, ce ne sont plus les fusées.

“Nous avons toutes les compétences nécessaires, que ce soit en intelligence artificielle ou en fabrication de satellites, pour être un leader dans l’espace. L’opportunité est là.” – Stewart Bain, PDG et cofondateur de NorthStar Ciel & Terre

CScience IA : Est-ce que la concurrence est rude dans le domaine des données spatiales ?

SB : Ma philosophie de vie, c’est qu’on n’a pas de temps à perdre. J’ai 6 enfants, je dois protéger l’environnement, sur Terre et dans l’espace. J’ai pas le temps d’être égoïste ou de penser que c’est moi qui doit gagner contre les autres. Je suis pour l’idée de coopérer avec mes concurrents. D’ailleurs nous avons lancé une collaboration avec ExoAnalytic Solutions, un société américaine qui est clairement un concurrent, car ils offrent un service d’observation des satellites dans l’espace avec le plus grand réseau de télescopes du monde. Mais nous avons décidé qu’ensemble, nous pouvions faire beaucoup mieux. C’est comme ça que je vois l’évolution de l’espace.

CScience IA : Vous avez récemment écrit une tribune chez nos confrères de La Presse. Vous y appelez justement le Canada à encadrer le trafic spatial, un rôle qui n’existe pas encore aujourd’hui.

SB : Je pense que le Canada a toujours joué un rôle très important dans l’espace, et surtout, nous avons toutes les compétences nécessaires, que ce soit en intelligence artificielle ou en fabrication de satellites, pour en être un des leaders. L‘opportunité est là. Je ne suis pas le Premier Ministre du canada, mais nos dirigeants devraient regarder la combinaison des innovations qui sont présentes dans notre pays et en profiter pour faire quelque chose de très intéressant pour le monde entier. Car le monde, c’est déjà une réalité, fait face à une vraie crise dans l’espace et le canada est bien positionné pour avoir un rôle important.

CScience IA : NorthStar va d’abord pour surveiller les débris spatiaux, mais votre entreprise compte également protéger notre planète depuis l’espace. Comment comptez-vous faire ? 

Ce sera une deuxième génération de satellites, pour en effet observer la Terre. Notre équipe en charge de ce projet, qui fera de l’analyse hyperspectrale. c’est-à-dire que l’on va analyser la chimie de la Terre, la signature chimique de tout ce qu’il se passe dans nos sols. Notre vision, c’est d’aider les industriels et les potentiels utilisateurs partout dans le monde à avoir accès à ces données sans avoir forcément un doctorat en imagerie hyperspectrale et 2 millions de dollars d’équipement pour en faire l’analyse ! Notre activité, c’est de retranscrire 365 terabytes par jour et de placer tout cela sur une plateforme sécurisée pour permettre à nos clients de développer des applications.