Tout comme la science et les technologies, les sociétés sont en constante évolution. À l’ère de transformations sans précédent, les acteurs de changement, décideurs et collectivités sont plus que jamais appelés à soutenir les innovations sous leurs diverses formes, et à les concevoir comme étant interdépendantes. Dans le contexte actuel, chargé d’incertitudes et de grands défis de société, la mission de faire converger les innovations sociales et technologiques prend alors tout son sens, apparaissant comme essentielle.
Miser sur la transformation des institutions
« L’innovation sociale coule dans nos veines. On le voit, notamment, avec des mouvements comme Hacking Health, qui ne donnent pas seulement envie d’inventer des solutions, mais aussi d’innover en développant les façons de le faire », a lancé Luc Sirois lors de la Grande rencontre de la Maison de l’innovation sociale (MIS), le 3 novembre dernier, dans les locaux de l’entreprise Les 7 doigts de la main, à Montréal.
En présence de leaders publics et d’acteurs issus de divers secteurs, l’Innovateur en chef a rappelé que pour bien implanter un procédé ou une solution innovant(e) au sein des institutions, il était important d’être en mesure de transformer les institutions elles-mêmes. « Sinon, l’innovation n’y sera pas adaptée. »
La MIS et son réseau : une réaction en chaîne
La Maison de l’innovation sociale est l’un des rares organismes qui œuvrent pour valoriser et faire s’épanouir l’innovation à dimension sociale, tout en jouissant d’un fort rayonnement dans le monde public et économique, constituant son marché. Fondé en 2017, l’OBNL offre des services de formation, d’incubation et d’accompagnement d’initiatives à fort potentiel de retombées en phase d’amorce et de prédémarrage.
La MIS mène également des projets de recherche et développement de nature sociale pour relever les défis structurels et systémiques qui retardent l’implantation de solutions innovantes au sein des organisations. Elle a donc pour mission d’ « éliminer les obstacles qui se dressent entre une idée à impact social et environnemental positif et sa mise en œuvre », au travers d’un accompagnement et d’un soutien stratégiques, d’un incubateur à la fois civique et institutionnel, et de laboratoires d’innovation.
La MIS a soutenu plus de 80 projets au travers de son incubateur civique
L’OBNL a soutenu plus de 80 projets au travers de son incubateur civique. Rien qu’en 2022, la MIS a mobilisé plus de 120 intervenants issus des milieux municipal et de la recherche, d’organismes terrain et de la société civile autour de l’expérimentation réglementaire, pour accélérer la transition à l’échelle des villes. Selon son dernier rapport d’activités, 64 % des projets qu’elle a portés et propulsés cette même année ciblaient une échelle municipale; 19 % locale; 13 % provinciale; et 4 % fédérale.
En entrevue avec CScience, la directrice générale de la MIS, Marie-Christine Ladouceur-Girard, s’est dite « très très satisfaite » de la rencontre du 3 novembre. « C’était une première, à plusieurs égards, notamment quant au fait de connecter l’écosystème de l’innovation sociale aux acteurs publics, ce qui se fait rarement. Il y a avait une frénésie dans l’air. C’est un milieu qui gagne à être connu et promu, et qui a beaucoup à offrir. Les leaders publics en ont pas mal sur les épaules, ne serait-ce qu’avec les crises actuelles à gérer et la complexité des problématiques à résoudre. Nous pouvons être fiers d’avoir mobilisé des leaders publics durant tout un avant-midi sur la question! »
« Il ne faut pas opposer innovation sociale et innovation technologique (…) l’innovation sociale peut aider l’adoption des solutions technologiques innovantes. »
– Marie-Christine Ladouceur-Girard, DG de la MIS
Parmi les invités d’honneur, on a pu entendre le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, faire valoir que l’innovation technologique devait s’arrimer à l’innovation sociale, puis la directrice générale du Lab Excelles, Sévrine Labelle, le sous-ministre adjoint à l’éthique et à la performance organisationnelle au Ministère des transports et de la Mobilité durable, Didier Lambert Toni, la mairesse de Longueuil, Catherine Fournier, la mairesse de l’arrondissement de Verdun à Montréal, Marie-André Mauger, et la PDG de l’incubateur de communautés féminines Startop, Mariam Coulibaly.
Des exemples concrets
« Le Québec a une longue histoire d’innovation sociale. Pensons à des entités comme Desjardins, Fondaction, et des innovations sociales comme les CPE, la RAMQ, le microcrédit, le cohabitat, le transport en partage, ou encore le modèle ‘housing first’ pour loger les personnes itinérantes, amène Mme Ladouceur-Girard. Il y a de l’innovation sociale dans tous les domaines, en agriculture et en immigration, par exemple. Mais on peut en faire beaucoup plus. »
Quant au secteur des technologies, si la DG de la MIS estime que l’innovation sociale devrait y être plus présente et valorisée, elle rappelle qu’ « Il ne faut pas opposer innovation sociale et innovation technologique. La majorité des innovations sociales sont, certes, souvent non technologiques. Mais l’innovation sociale peut aider l’adoption des solutions technologiques innovantes. »
L’enjeu, selon Mme Ladouceur-Girard, c’est qu’ « il y a beaucoup moins de programmes de soutien consacrés à l’innovation sociale, alors qu’on fait face à de multiples problèmes auxquels la plupart des solutions relèvent de ce type d’innovation. » Elle évoque le vieillissement de la population, la crise migratoire internationale, la pénurie de logements et de main-d’œuvre, et par-dessus tout, « la question des réfugiés climatiques. Je trouve que c’est un défi particulièrement intéressant », mentionne celle qui a déjà été directrice du Bureau d’intégration des nouveaux arrivants à Montréal (BINAM). « L’année dernière, le Canada a accueilli plus de 90 000 demandeurs d’asile venus y chercher refuge. On constate une précarisation des statuts d’immigration, et on parle aussi beaucoup des feux de forêts canadiens, qui ont engendré des déplacements internes, ce qui m’a poussée à réfléchir à la situation des réfugiés économiques et à la manière dont la société se prépare aux nouvelles réalités qui en découlent. Le suivi des réfugiés climatiques au Canada n’est pas nécessairement reconnu par l’Organisation des Nations Unies (ONU) », défend Mme Ladouceur-Girard.
« Il y a un bassin grandissant de Québécois désireux d’innover sur le plan durable. On remarque aussi que la nouvelle génération en entrepreneuriat est plus attirée par les emplois à impact social et environnemental (…) »
– Marie-Christine Ladouceur-Girard, DG de la MIS
L’innovation sociale pour attirer les talents
Au chapitre des incitatifs, faire de l’innovation sociale une priorité peut aussi s’avérer bénéfique pour les employeurs en ce qu’elle s’inscrit souvent dans une vision qui se veut compatible avec les valeurs de la nouvelle génération de professionnels. À titre d’exemple, une récente étude commandée à l’institut Harris Interactive par le collectif Pour un réveil écologique révèle que 70 % des jeunes de 18 à 30 ans, toutes catégories sociales confondues, sont prêts à renoncer à travailler pour une entreprise si elle ne prend pas assez en compte les enjeux environnementaux. C’est d’autant plus pertinent pour les employeurs du secteur des technologies, où sévit une pénurie de main-d’œuvre qualifiée.
Dossier : Les défis de recrutement dans le secteur des technologies
« Il y a un bassin grandissant de Québécois désireux d’innover sur le plan durable. On remarque aussi que la nouvelle génération en entrepreneuriat est plus attirée par les emplois à impact social et environnemental, et notre incubateur répond justement à ces besoins, puisque la concrétisation des initiatives en ce sens doit forcément passer par l’incubation. »
« Les entreprises gagnent à s’allier avec la société civile et des OBNL pour résoudre des problématiques (…) Les entreprises privées ont tout intérêt à s’impliquer en innovation sociale. »
– Marie-Christine Ladouceur-Girard, DG de la MIS
Enfin, Marie-Christine Ladouceur-Girard rappelle que tous peuvent participer de ce mouvement et faire leur juste part. « Les employeurs doivent se réinventer et innover pour répondre aux aspirations des talents de la relève, et pas seulement en termes d’ESG (Environnement, social et gouvernance). Je pense qu’il faut du concret. Les entreprises gagnent à s’allier avec la société civile et des OBNL pour contribuer à résoudre des problématiques comme celle de la crise du logement. La mairesse de Longueuil, Catherine Fournier, a notamment fait appel aux banques pour revoir leur rôle là-dedans. À la MIS, nous collaborons aussi avec les institutions financières. Les entreprises privées ont tout intérêt à s’impliquer en innovation sociale, et je leur tends la main pour les y inciter! », termine la DG de la MIS.
Crédit Image à la Une : CScience