Endormie durant des années, l’inflation tutoie aujourd’hui des sommets. Dans un monde économique chamboulé par la pandémie de Covid-19, la prévisibilité devient cruciale pour apporter les réponses appropriées. Un professeur de l’UQAM, Philippe Goulet-Coulombe, a mis au point un outil, propulsé par l’IA, capable de prédire l’inflation, et surtout ses causes.
« Les modèles traditionnels n’ont pas vu que l’inflation allait sortir du bois dans de telles proportions », explique le professeur au Département des sciences économiques de l’ESG UQAM.
Avec des taux records à 7% aux États-Unis, ou encore 5% au Canada ou en Europe, l’inflation dépasse les prévisions des banques centrales. En 2021, les modèles propulsés par l’IA donnaient bien une inflation à la hausse, mais « aucun banquier ou décideur public n’aurait voulu prendre ça pour cash car il n’y a pas d’explication qui vient avec », explique l’économiste de l’UQAM.
Les banques centrales s’appuient sur des estimations statistiques et relient des données comme le PIB et le taux de chômage pour prévoir la tension inflationniste, et réagir ensuite en ajustant le taux directeur et la politique monétaire. Or, les théories macro-économiques suggèrent que les deux composantes importantes pour prévoir l’inflation sont, les attentes inflationnistes et l’écart de production (la différence entre l’offre agrégée et la demande agrégée). Mais cette dernière donnée est estimée.
UN MODÈLE QUI S’APPUIE SUR L’ÉCART DE PRODUCTION…
C’est précisément sur cette donnée que le professeur Goulet-Coulombe s’est appuyé pour modéliser son algorithme. Données économiques et théories économiques viennent alimenter le modèle. « On a pris des bases de données larges, explique l’économiste, 250 à 300 indicateurs économiques au Canada, des données depuis 1960 aux États-Unis, depuis 1980 au Canada. »
« On est capable de faire de l’IA en macro-économie qui est interprétable et compréhensible pour les économistes et les décideurs publics ». Philippe Goulet-Coulombe
Le modèle de l’UQAM, contrairement aux autres modèles, permet d’utiliser les résultats pour obtenir une interprétation des résultats. « L’interprétabilité du modèle est absolument essentielle pour poser des actions », justifie le professeur Goulet-Coulombe.
Les nouveaux modèles sont capables de palier les problèmes des modèles statistiques standards car ils utilisent des variables différentes. Ils utilisent l’IA pour les transformer de façon pertinente et sont en meilleure posture pour capter les tensions inflationnistes.
… OU L’OFFRE DU MARCHÉ DU TRAVAIL
Selon Philippe Goulet-Coulombe, l’inflation devrait tenir compte des pressions venant du marché du travail.
« Notre modèle, contrairement à certains modèles standards, attribue moins d’importance à l’indicateur des marchandises et plus d’importances à des indicateurs comme l’offre du marché du travail par exemple », explique-t-il.
Il cite le Help-Wanted Index, un indicateur américain qui mesure l’offre de postes vacants postés sur internet. « Notre modèle a trouvé que cet indicateur-là, avec les données historiques compilées depuis les années 60, est meilleur pour prédire des tensions inflationnistes futures que les indicateurs traditionnels de la banque centrale, comme le PIB ou le taux de chômage », se réjouit l’économiste. Cet indicateur atteint des sommets en ce moment.
D’ailleurs, la semaine dernière, le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, enjoignait les entreprises à augmenter leur productivité pour limiter l’inflation, augmenter le pouvoir d’achat des ménages et réduire la tension sur le marché du travail.
L’inflation est-elle là pour durer ? Les spécialistes le pensent et prévoient une inflation au dessus de 4% en 2022. Philippe Goulet-Coulombe confirme: « L’algorithme voit des pressions économiques fondamentales gardant l’inflation au dessus de la cible de la Fed pour au moins une bonne partie de 2022.»
UN FUTUR OUTIL POUR LA BANQUE DU CANADA ?
Construit sur des données américaines, l’outil de l’UQAM et en train d’être adapté au modèle canadien et devrait être prêt dans les prochains mois. Il pourrait s’ajouter à la palette d’outils utilisé par la Banque du Canada pour faire ses prévisions et adapter la politique monétaire.
« S’ils veulent le mettre en production, l’implémenter pour obtenir des chiffres chaque mois, on va être les premiers à vouloir contribuer », lance le professeur Goulet-Coulombe, qui précise qu’aucun contact officiel n’a été pris.
Pour l’heure, l’économiste veut opérationnaliser le modèle afin que les internautes puissent aller voir chaque mois sur le site ce que dit l’outil à propos de l’inflation.
Quant à prédire d’autres indicateurs ou données économiques, comme la fixation du salaire minimum ou les taux d’intérêt, Philippe Goulet-Coulombe reste prudent :
« Dans le futur, il n’est pas impensable d’entrainer l’IA à prévoir l’inflation, à regarder plusieurs variables et prendre des décisions de taux d’intérêts ou de politique monétaire »
Philippe Goulet-Coulombe
Mais selon lui, pour l’heure, les algorithmes peuvent simplement aider à prendre de meilleures décisions, de la même manière qu’en médecine, on a entrainé des algorithmes à déceler un possible AVC en regardant des photos. « L’algorithme ne prend pas la décision, il va servir à informer le décideur public plus rapidement », assure le professeur.
Au sein de la chaire en Macroéconomie et Prévisions qu’il anime à l’UQAM, Philippe Goulet-Coulombe explore de nouvelles avenues et construit un modèle grâce à l’IA pour prévoir l’incertitude autour des prévisions.
« Les prévisions ne sont pas parfaites, l’incertitude est vaste, la période économique actuelle ressemble très peu à une quelconque période économique que l’on a dans nos bases de données, c’est pertinent de donner une prévision, mais aussi un intervalle de confiance », estime le professeur.
(crédit photo : Photo de Alesia Kozik provenant de Pexels)