Savoir quand son automobile aura besoin d’une mise au point sans même passer chez le garagiste : c’est ce que pourraient offrir les jumeaux numériques, un concept de plus en plus prisé pour anticiper les « comportements » des machines et systèmes complexes.
La définition d’un jumeau numérique, terme qui comme « intelligence artificielle » (IA) est souvent utilisé « à toutes les sauces », est parfois floue selon votre interlocuteur.
Généralement, on s’accorde à dire qu’il s’agit d’une représentation virtuelle en temps réel d’un objet physique ou d’un processus.
« Dans le futur, je crois qu’on va voir ces jumeaux un peu partout. (…) Que ce soit une voiture, un avion ou une laveuse, nos machines nous informeront de leur niveau d’endommagement et de leur durée de vie. Tout va s’autodiagnostiquer en tout temps », explique Frédérick Gosselin, professeur titulaire à Polytechnique Montréal.
Ce dernier participera à un webinaire offert par IVADO, ce vendredi 26 novembre, au sujet de la valorisation de données via les jumeaux numériques et la simulation.
ANTICIPER CE QUE L’ON NE SAIT PAS
Mais comment cela fonctionne-t-il exactement?
Comme dans toute simulation, il est nécessaire de faire appel aux données. Dans le contexte d’un jumeau numérique, ces données sont collectées par des capteurs et transmises via l’internet des objets, ou encore, rapportées par des individus.
Toutefois, ce qui permet de parler d’un véritable jumeau, c’est la composante « temps réel ».
Par exemple, M. Gosselin collabore avec une équipe d’Hydro-Québec pour mettre au point des jumeaux numériques des turbines afin d’améliorer la maintenance et leur exploitation.
Pour faire le pont entre les simulations traditionnelles, qui fonctionnent grâce aux données historiques, et les données récoltées par les capteurs, on fera appel à l’IA, ou plus précisément aux réseaux de neurones basés sur la physique.
Essentiellement, il s’agit de modèles mathématiques capables de faire une approximation de l’état d’une machine grâce aux connaissances des lois de la physique et à des algorithmes d’apprentissage automatique.
Cette méthode hybride pourrait donc éventuellement prévoir l’usure en se basant sur les lois physiques expliquant le phénomène de friction, ou encore anticiper les bris liés à la rouille en prenant en compte l’état de nos connaissances sur l’érosion et sur l’oxydation.
Car c’est bien là le nerf de la guerre ; cette éventuelle capacité à sonder les zones d’ombre de notre savoir scientifique, afin de parer l’imprévu.
« Une simulation classique basée sur des données dans un contexte nominal ne nous permet pas de prévoir les cas d’exception, les cas rares. Mais c’est justement ces cas qu’il est important de prévoir. (…) Le défi, c’est de simuler les intersections qu’on ne connaît pas. » -Frédérick Gosselin, professeur titulaire à Polytechnique Montréal
Cependant, nous sommes encore loin du compte, selon M. Gosselin.
« Ça fait encore appel à beaucoup de forces brutes et ce n’est pas aussi efficace que d’autres méthodes qui ont fait leurs preuves, comme la mécanique des fluides numériques. (…) Par contre, ce que le réseau de neurones nous offre, c’est beaucoup de flexibilité. En combinant les lois de la physique et les données, on peut interpoler ou extrapoler nos résultats », souligne le professeur.
PAS JUSTE POUR LES MACHINES
Le domaine de la santé pourra peut-être lui aussi bénéficier des jumeaux numériques, pas nécessairement pour assurer l’entretien des appareils médicaux, mais plutôt pour simuler les processus complexes créés par la gestion du personnel et la prise de rendez-vous.
C’est du moins ce que propose Gray Oncology Solutions, une entreprise montréalaise qui a collaboré avec le Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) pour un projet pilote dans son département de cancérologie.
« Nous voulons optimiser l’aspect logistique du traitement du cancer en créant un jumeau numérique de l’établissement de santé. Cette simulation, nourrie par l’IA et les données collectées dans le centre, peut nous informer sur la disponibilité des appareils et du personnel », affirme André Diamant, cofondateur et PDG de Gray Oncology Solutions.
L’objectif est, encore une fois, d’anticiper les dysfonctionnements qui pourraient être engendrés par un conflit d’horaire, un congé maladie inattendu de la part du personnel ou encore le bris de matériel.
En plus du projet pilote déployé au CHUM, le modèle de l’entreprise intéresse deux autres hôpitaux québécois, qui n’ont pas été nommés par M. Diamant, car ce dernier affirme que l’initiative est encore à l’étude.
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