Dans le cadre de notre collaboration avec La Conversation, nous vous proposons ce deuxième article sur les avancées en matière de traitement de troubles sexuels par la réalité virtuelle (RV). Les auteurs sont tous trois chercheurs à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) : David Lafortune, Éliane Dussault et Valérie Lapointe.
L’essor des nouvelles technologies est en train de révolutionner le domaine de la santé mentale pour ce qui est de la compréhension et du traitement des troubles tels que les phobies, les troubles alimentaires et les psychoses. Parmi les innovations, la réalité virtuelle (RV) est un outil puissant qui permet d’offrir de nouvelles expériences d’apprentissage, augmentant ainsi le bien-être psychologique des patients.
La RV immersive crée des mondes interactifs générés par ordinateur qui exposent les utilisateurs à des perceptions sensorielles calquées sur celles du monde « réel ».
On peut désormais trouver de nouveaux moyens de satisfaire ses besoins sexuels et émotionnels grâce à la technologie, qu’il s’agisse de réalité virtuelle ou augmentée, de télédildonique (jouets sexuels qui peuvent être contrôlés par Internet) ou d’applications de rencontre. La recherche sur l’utilisation de la RV en sexothérapie n’en est toutefois qu’à ses débuts.
L’aversion sexuelle est le fait de ressentir de la peur ou du dégoût et de faire de l’évitement en présence de signaux et de contextes sexuels. Une étude néerlandaise publiée en 2006 a révélé que l’aversion sexuelle touchait jusqu’à 30 % des gens au cours de leur vie. Et une récente enquête menée au Québec par notre laboratoire auprès de 1 933 personnes a révélé qu’au moins 6 % des femmes et 3 % des hommes ont ressenti de l’aversion sexuelle au cours des six derniers mois.
EXPOSITION ET AVERSION SEXUELLE
Les difficultés à vivre sa sexualité avec plaisir, que ce soit en solo ou en couple, sont au cœur de l’aversion sexuelle. La guérison passe par une modification de ses pensées, de ses réactions et de ses comportements dans les situations sexuelles et amoureuses, par exemple en s’exposant progressivement à des contextes sexuels qui causent de l’appréhension.
Des découvertes récentes montrent que la RV pourrait engendrer des changements dans des situations de la vie réelle, en particulier chez les personnes avec une dysfonction sexuelle ou qui ont des antécédents de traumatisme sexuel. Les résultats de notre équipe, qui n’ont pas encore été publiés, montrent que la RV peut aider à surmonter les peurs et l’anxiété liées à l’intimité.
Les mondes immersifs et réalistes générés par ordinateur dans la RV pourraient engendrer des résultats positifs en matière de santé sexuelle, tels qu’une augmentation du plaisir et du bien-être sexuels, en atténuant la détresse psychologique dans des contextes sexuels.
Le traitement de l’aversion sexuelle repose sur une exposition contrôlée, progressive et répétée à des contextes sexuels anxiogènes. Ces expositions visent à réduire progressivement la peur et l’évitement, deux réactions courantes chez les personnes qui souffrent d’aversion sexuelle.
En gardant cet objectif à l’esprit, la RV offre un moyen idéal et éthique d’intervention, car les simulations peuvent être ajustées de manière à être plus ou moins explicites et être expérimentées de manière répétée, même pour des contextes sexuels qu’il serait impossible ou dangereux de recréer dans la vie réelle ou dans le cadre d’une thérapie.
Ainsi, les situations que craignent généralement les personnes souffrant d’aversion sexuelle, comme les agressions sexuelles, l’échec ou le rejet, ou le fait de se sentir piégé dans une rencontre sexuelle, ne se produisent pas réellement dans la RV. La RV leur permet non seulement de surmonter leurs peurs, mais aussi d’apprendre de nouvelles habiletés sexuelles qui pourront servir dans le monde réel et qui seraient autrement difficiles, voire impossibles, à développer. Les personnes en traitement pourront ensuite mettre en pratique ces apprentissages dans des circonstances intimes du monde réel.
En outre, bien que leur esprit et leurs corps se comportent comme si l’environnement virtuel dans lequel ils sont immergés était réel, les patients sont plus disposés à faire face à des situations difficiles dans la RV que dans le monde réel parce qu’ils sont conscients qu’il s’agit d’un contexte fictif, et donc plus sûr.
TRAITEMENT DE L’AVERSION SEXUELLE
En décembre 2020, nous avons recueilli des données qui nous ont permis de comparer des personnes aversives et non aversives sur le plan sexuel. Les participants étaient immergés dans un environnement virtuel simulant une interaction intime typique, avec un personnage fictif qui adoptait des comportements sexuels dans six scènes. Les participants étaient progressivement exposés au flirt, à la nudité, à la masturbation et à l’orgasme du personnage. Nos résultats suggèrent que la RV pourrait constituer une voie prometteuse pour traiter l’aversion sexuelle.
Les personnes sujettes à l’aversion sexuelle et à l’évitement ont manifesté davantage de dégoût et d’anxiété que les participants non aversifs en réponse à la simulation. Et plus les scènes étaient explicites, plus le niveau de dégoût et d’anxiété des participants était élevé. Ces résultats semblent montrer que l’environnement virtuel reproduit de manière adéquate les contextes de la vie réelle qui provoquent généralement de l’aversion.
TRAITEMENTS FUTURS ET FUTURISTES
Les options de traitement pour les gens qui souffrent d’aversion sexuelle pourraient inclure l’exposition à des contextes sexuels adaptés et divers – par exemple, le rejet, les rapports sexuels, la communication sexuelle, les tentatives d’agression – grâce à la RV. Cela pourrait contribuer à atténuer la détresse et à favoriser des rencontres érotiques positives et gratifiantes dans des situations réelles.
Les possibilités de la RV en sexothérapie seront profondément influencées par les progrès de l’intelligence artificielle. Ainsi, l’utilisation d’érobots (agents érotiques artificiels) dans des environnements virtuels interactifs permet de simuler des rencontres romantiques et érotiques réalistes, que les personnes qui souffrent d’aversion sexuelle ont tendance à éviter. Les agents virtuels pourraient également servir à développer des habiletés sexuelles, à explorer les préférences sexuelles et à se réapproprier son corps et sa sexualité.
Cet article est paru dans La Conversation le 19 octobre dernier
Crédit photo : Pexel /Michelangelo Buonarroti