Le rôle crucial de la recherche pour soutenir une économie circulaire et durable

Le rôle crucial de la recherche pour soutenir une économie circulaire et durable

Dans la quête mondiale de pratiques durables, le concept d’économie circulaire émerge comme un phare d’espoir. Mais au-delà de sa vision idéaliste, il incombe à toute la collectivité de relever le défi pratique de sa mise en œuvre. C’est là qu’intervient la recherche – l’héroïne méconnue qui impulse la transition vers un avenir circulaire. Allant de l’innovation sociale aux technologies de rupture, en passant par les observations comportementales, la recherche joue un rôle central dans la formulation de politiques, l’orientation des pratiques et la promotion de la mentalité sociétale nécessaires pour embrasser la circularité.

La recherche pour inciter au changement de pratiques

Louise Poissant

L’établissement d’une économie circulaire repose largement sur l’éducation, la modification des habitudes et de la routine, ainsi que la mise en place de réglementations à tous les paliers de gouvernance, y compris au niveau municipal. Cette nécessité est d’autant plus pressante à une époque marquée par une production de déchets exponentielle et l’essor du commerce en ligne et des livraisons à domicile, particulièrement accentué depuis le début de la pandémie, tel que le souligne en entrevue Louise Poissant, directrice scientifique du Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC).

« Le champ qui relève du fait de transmettre à la population le message selon lequel l’adoption de nouvelles pratiques est l’affaire de tous est sans doute le plus difficile à pénétrer. »

– Louise Poissant, directrice scientifique du FRQSC

Or, « Le champ qui relève du fait de transmettre à la population le message selon lequel l’adoption de nouvelles pratiques est l’affaire de tous est sans doute le plus difficile à pénétrer », conçoit celle qui se réjouit tout de même de voir l’économie circulaire être « de plus en plus enseignée » à l’école et au niveau collégial.

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L’apport de la recherche et du milieu académique

Mme Poissant souligne qu’aux Fonds de recherche du Québec (FRQ), on fait d’ailleurs le constat que les citoyens des villes qui abritent une université sont plus sensibles à la recherche, et donc réceptifs à ce qui en émerge en matière d’économie circulaire. Ainsi, diverses initiatives collaboratives, impliquant à la fois les institutions académiques, chercheurs et particuliers, permettent de traduire la théorie en actions concrètes au sein des communautés.

Pensons au Centre de transfert technologique en écologie industrielle (CTTEI), affilié au Cégep de Sorel-Tracy, qui a pour mission d’accroître la performance des entreprises et des collectivités par la recherche et le développement d’approches et de technologies novatrices en écologie industrielle. Chaque année, le CTTEI réalise plus de 100 projets dans des secteurs variés : hôtellerie-restauration, industrie des élastomères, agriculture et agroalimentaire, construction-rénovation-démolition (CRD), industrie des bétons et polymères, traitement des eaux et effluents, secteur de la santé, de la foresterie, industrie numérique, textiles, plastiques, industrie métallurgique, etc.

Mieux informer les décideurs, dirigeants municipaux et chefs d’entreprise

Crédit : Mémoire rédigé par Louise Poissant à l’attention du ministère de l’Économie et de l’Innovation (MEI) en 2020

« Cela accélère la pénétration, la diffusion et le rayonnement de théories et d’approches circulaires sur lesquelles il est important de fonder des décisions bien informées, que l’on soit décideur politique ou chef d’entreprise, ne serait-ce que pour mieux gérer le changement. Car la recherche en économie circulaire s’attarde entre autres à toute la logistique, l’approvisionnement en matières premières et en ressources énergétiques, la fabrication et la distribution issus de la chaîne de production, qu’il faut optimiser pour éviter les pertes », de soulever la directrice scientifique.

Elle précise que les décideurs des zones d’innovation, villes et régions doivent réaménager leur territoire et fonder leurs décisions sur un modèle d’économie circulaire afin d’en optimiser la gestion des ressources, biens et services. Elle mentionne le progrès déjà mené dans le secteur de l’efficacité énergétique des villes intelligentes, grâce aux découvertes et innovations issues de la recherche, telles que la décontamination des sols, le recyclage des plastiques, la conversion de la biomasse en énergie, la symbiose industrielle, etc.

De nombreux précédés se rapportant à la valorisation des produits sont désormais adoptés par diverses industries grâce aux contributions de la recherche. Par exemple, des chercheurs de l’Institut Wyss de Harvard ont démontré que l’on pouvait fabriquer du plastique 100% biodégradable à partir de l’écorce de crevettes, mais aussi en générer une sorte d’engrais naturel. Pensons sinon aux travaux de l’ex-chercheur Narayana Peesapaty, qui a permis la création de la start-up indienne Bakeys, spécialisée dans la fabrication de couverts comestibles, offrant une alternative écologique et nutritive aux ustensiles jetables préparés avec du plastique, du bois et du bambou.

Quand la recherche peut se féliciter d’un transfert réussi

L’importance d’un fort réseau de recherche, carrefour de l’innovation et de l’action

En 2021, les FRQ ont d’ailleurs créé le Réseau de recherche en économie circulaire du Québec (RRECQ), fruit d’un consortium entre HEC Montréal, l’École de technologie supérieure (ÉTS), l’Université Laval et Polytechnique Montréal, appuyé par le Centre d’études et de recherches intersectorielles en économie circulaire (CERIEC).

le réseau se consacre justement au soutien de la transition vers un modèle économique plus circulaire, par l’adoption d’une approche scientifique interdisciplinaire et systémique. En ce sens, le RRECQ précise qu’il vise à « conjuguer la recherche et la formation en économie circulaire avec les besoins de la société. Orienté vers le milieu pratique et le transfert aux milieux utilisateurs, le RRECQ se tient à l’interface entre recherche et société afin d’amener des solutions concertées, concrètes et durables aux organisations, aux communautés et aux individus à travers ses activités de recherche, de formation et de transfert. »

« Le RRECQ compte déjà plus de 230 chercheurs, issus de 18 universités du Québec et du Canada, et d’autant d’autres à l’extérieur. »

– Daniel Normandin, directeur exécutif du RRECQ et directeur du CERIEC

Parmi les projets structurants qui l’occupent, le RRECQ coordonne la cocréation d’une Feuille de route pour la transition vers une économie circulaire de la société québécoise à l’horizon 2050. L’initiative, menée de concert avec Chemins de Transition, a pour objectif de « susciter la participation du plus grand nombre de parties prenantes, aussi diversifiées que possible ».

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« Le RRECQ compte déjà plus de 230 chercheurs, issus de 18 universités du Québec et du Canada, et d’autant d’autres à l’extérieur », relate son directeur exécutif, Daniel Normandin, également directeur du CERIEC, qu’il a fondé à l’ÉTS. Bien au fait de l’importance de constituer un fort réseau collaboratif afin de garantir le transfert de la recherche, le biologiste et administrateur de formation a toujours œuvré dans le milieu universitaire, se consacrant à l’environnement, au développement durable, à l’analyse de cycle de vie et à l’économie circulaire. « Je travaille de concert avec les chercheurs à développer des unités de recherche à interfaces avec les sociétés civiles, industries et gouvernements, pour que la recherche soit transférée vers les utilisateurs d’une part, et pour faire avancer la recherche dans des secteurs sous-optimisés, d’autre part, notamment grâce à des programmes de financement. »

Daniel Normandin

M. Normandin salue le progrès et le chemin qu’a fait la recherche depuis la dernière décennie au Québec, puisqu’avant, il n’y avait selon lui « aucune initiative ni aucune publication s’y rapportant sur les plans gouvernemental, entrepreneurial et universitaire en Amérique du Nord. On se limitait aux stratégies de recyclage et d’économie industrielle de manière détachée. »

Des exemples très concrets

Du coté des FRQ, Mme Poissant se dit « fière de tout ce qui a été fait au Fonds de recherche du Québec – Nature et technologies (FRQNT), notamment en termes de conversion des déchets alimentaires en protéines grâce aux larves d’insectes ». Elle fait référence aux mouches « soldats noires », une source de protéines bonnes pour la planète et les animaux, puisqu’elles se nourrissent de résidus alimentaires (végétaux, viandes, poissons), et produisent des larves qui servent de complément alimentaire riche en oméga, « devenant de la farine animale pouvant nourrir des populations animales entières ».

Cascades a réussi à donner une deuxième vie à 76 % des matières résiduelles générées par ses usines. »

– Mémoire de Louise Poissant intitulé Le point sur l’économie circulaire (mars 2020)

Au chapitre des accomplissements desquels s’enorgueillir, elle mentionne également « toute la recherche menée en économie, soutenue par le Fonds – Société et culture », qu’elle dirige.

Elle en voit le fruit se manifester, notamment à l’usine à papier de Cascades à Kingsey Falls, où l’on s’approvisionne en fibres auprès de sources industrielles, commerciales, institutionnelles et municipales, pour intégrer des fibres recyclées aux produits, un procédé qui a permis à l’entreprise d’éviter la coupe de près de 45,5 millions d’arbres en 2017, ce qui équivaut à 286 fois celle du Parc Mont-Royal à Montréal. « Depuis l’élaboration de son Plan de développement durable 2013-2015, Cascades a réussi à donner une deuxième vie à 76 % des matières résiduelles générées par ses usines. Celles-ci sont réutilisées dans d’autres fonctions : litière animale, épandage agricole, couche de bourrage dans la fabrication de carton, restauration de sites dégradés et recouvrement de sites d’enfouissement », nous apprend d’ailleurs Mme Poissant, dans son mémoire rédigé sur l’économie circulaire, déposé en mars 2020.

Elle évoque en entrevue « toutes les politiques adoptées par les municipalités en matière de zéro déchet. Cela relève de grandes innovations sociales, issues des progrès de la recherche. Les gens se disent qu’ils vont prendre cela plus au sérieux. Pensons sinon à l’électrification des transports, à la recherche et au développement qui se fait à HEC, Polytechnique et dans d’autres écoles de génie et d’administration, qui se sont beaucoup penchées sur la question de la réduction des gaz à effet de serre et sur l’efficacité énergétique. Sur le plan du design, il y aussi beaucoup de recherche consacrée à l’isolation des maisons et à la récupération de l’énergie solaire, qui pose un défi au Québec en raison de la neige affectant l’exposition des plaques photovoltaïques. À Sherbrooke, on mobilise des chercheurs pour s’attarder à trouver des moyens de faire fondre cette neige accumulée sur les plaques photovoltaïques, tout en en récupérant l’excédent d’énergie solaire. Avec Hydro-Québec, on sait que certains foyers et utilisateurs revendent leur électricité familiale à Hydro-Québec. Tout cela, on le doit à beaucoup d’éducation et de sensibilisation au fruit de la recherche. »

Enfin, elle rappelle le financement par le FRQSC du Centre interdisciplinaire de recherche en opérationnalisation du développement durable (CIRODD), qui a pour mission de soutenir la transition socio-écologique par l’innovation durable et la transdisciplinarité, grâce aux synergies interdisciplinaires qu’il soutient entre les acteurs de terrain et les chercheurs issus de milieux variés.

Pour consulter notre dossier spécial sur l’économie circulaire :

Crédit Image à la Une : Archives, montage CScience