Selon le récent rapport Made to be Found de Spotify, plus d’un tiers des découvertes de nouveaux artistes musicaux se font par le biais de sessions de recommandation Made for You. Les algorithmes de recommandation de la plus grande plateforme de streaming musical jouent donc un rôle essentiel dans la découvrabilité des artistes auprès des consommateurs. Pour le meilleur et pour le pire.
UN MONDE DE DONNÉES À RECUEILLIR
Spotify recueille toutes sortes de données pour concocter ses suggestions musicales personnalisées. Certaines données descriptives, telles que le nom de l’artiste, son genre musical, le nom des albums et des chansons sont fournies à la plateforme par les labels et les artistes eux-mêmes.
Une tonne d’autres données sont recueillies du côté de l’utilisateur : son historique d’écoute, ses artistes préférés, les chansons qu’il ré-écoute fréquemment, le contenu des listes de lectures qu’il a créé, pour n’en nommer qu’une infime partie.
Spotify utilise également l’IA pour analyser les pistes audio elles-mêmes : les émotions suscitées par une chanson (cette chanson rendra-t-elle l’utilisateur triste ou heureux?), le taux de voix (la chanson est-elle complètement instrumentale ou comporte-t-elle des paroles?), l’aspect live (le chanson est-elle jouée sur scène ou enregistrée en studio?).
En recueillant cette myriade de données, la plateforme de musique est capable de recommander non pas seulement des suggestions musicales qui correspondent aux goûts de chaque utilisateur, mais peut également déterminer, par exemple, la liste de lecture qui correspond le mieux aux utilisateurs lors de leurs brunchs entre amis du dimanche matin ou de leur après-midi de travail au bureau.
PERCER LE MYSTÈRE DES ALGORITHMES DE RECOMMANDATION
Tous les géants du web gardent jalousement pour eux la recette secrète de leur système de recommandation, et pour cause : c’est la pierre angulaire de leur succès auprès des utilisateurs qui se délectent des recommandations de plus en plus personnalisées.
De nombreux artistes et organismes culturels déplorent toutefois l’opacité de ces algorithmes et décrient les chambres d’échos créées par la plateforme, soit l’enfermement des utilisateurs dans des environnements musicaux similaires et le manque de découvrabilité des artistes émergents ou tout simplement éloignés des goûts habituels des utilisateurs.
« Qu’est-ce qui est mieux : ne pas donner au consommateur ce qu’il veut et risquer de le perdre, ou de lui donner en partie ce qu’il veut mais de favoriser la découverte en même temps ? Ce n’est pas un enjeu qui peut être réglé simplement, comme avec les quotas à la radio. »
– Jacynthe Plamondon-Émond, PDG et formatrice chez Intempo Musique
Le projet de loi C-11, la Loi sur la diffusion continue en ligne, présentement débattue en deuxième lecture à la Chambre des communes, vise en partie à mettre en valeur les artistes et créateurs québécois et canadiens sur ces plateformes, en forçant notamment les géants du web à recommander plus fréquemment la musique d’ici aux Québécois et aux Canadiens.
Jacynthe Plamondon-Émond, PDG et formatrice chez Intempo Musique, étudie la découvrabilité sur les plateformes de musique depuis des années. La spécialiste de la découvrabilité musicale signale que les chambres d’échos ne sont pas seulement présentes chez les utilisateurs ; elles le sont également du côté des artistes, qui n’ont pas tous la chance de rencontrer de nouveaux publics sur la plateforme.
Celle qui travaille sur la découvrabilité et l’exportation des artistes en collaboration avec le Laboratoire de recherche sur la découvrabilité et les transformations des industries culturelles à l’ère du commerce électronique (LATICCE) donne l’exemple de la chanteuse Charlotte Cardin, qui se retrouve toujours associée à des artistes québécois ou canadiens francophones (Jean Leloup, Safia Nolin, Daniel Bélanger, Les Louanges) malgré le fait qu’il s’agisse d’une artiste anglophone. Les artistes québécois, peu importe leur langue et leur style musical, sont presque inévitablement associés à d’autres artistes du Québec, ce qui freine leur exportation et leur visibilité auprès des publics étrangers.
L’IA POUR DES SUGGESTIONS ENCORE PLUS PERSONNALISÉES
L’IA joue un rôle de plus en plus grand dans le système de recommandation de Spotify pour davantage raffiner ses suggestions. La plateforme suédoise a d’ailleurs fait plusieurs acquisitions d’outils technologiques dans les dernières années, telle qu’Echonest, une plateforme d’intelligence musicale et de données. Celle-ci récolte des données externes à la plateforme en moissonnant des millions de pages web pour récolter des informations sur les artistes et les genres musicaux les plus populaires dans le monde.
La recommandation algorithmique de Spotify se complexifie sans cesse, notamment grâce à la collecte de quantités de données toujours plus intense et à la sophistication des outils d’intelligence artificielle. Quant à savoir si ces avancées technologiques favoriseront ou nuiront à la découvrabilité des artistes d’ici, Jacynthe Plamondon-Émond croit qu’une solution magique n’existe pas, et que les caractéristiques de chaque marché musical doivent être prises en considération dans l’équation : « Qu’est-ce qui est mieux : ne pas donner au consommateur ce qu’il veut et risquer de le perdre, ou de lui donner en partie ce qu’il veut mais de favoriser la découverte en même temps ? Ce n’est pas un enjeu qui peut être réglé simplement, comme avec les quotas à la radio ».
Crédit Image à la Une : Marcela Laskoski / Unsplash