L’intelligence artificielle s’immisce partout dans nos vies, même dans le domaine artistique. Œuvre musicale complétée, nu découvert sous une œuvre de Picasso puis recréé, authenticité d’un tableau de Rubens remise en cause, chaque jour l’IA s’invite dans les arts. Mieux encore, l’IA collecte des données, crée à la place de l’artiste et s’expose.
Le monde de l’art est en émoi depuis quelques jours. Le tableau Samson et Dalila, attribué au maître flamand Rubens, acquis par la National Gallery de Londres en 1980 pour la coquette somme de 2.5 millions de Livres, pourrait ne pas être du peintre du 17ème siècle.
Qui a découvert ce subterfuge ? Un algorithme de la société suisse Art Recognition, spécialisée dans l’authentification d’œuvres d’art grâce à l’intelligence artificielle, qui a comparé la toile avec 148 œuvres de Rubens. Résultat : il y a 91% de chances qu’elle ne soit pas de l’artiste…
QUAND L’IA ACHÈVE L’INACHEVÉ
Cet automne, la 10e symphonie de Beethoven, inachevée, a été complétée par l’IA et jouée en totalité en première mondiale par le Beethoven Orchestra de Bonn. Ce travail, conduit par un groupe d’experts en IA et de musicologues a duré plus d’un an.
« Il manque peut-être l’étincelle du génie », concède le chef de l’orchestre de chambre Nexus, Guillaume Berney, qui a interprété l’œuvre pour la première fois en septembre dernier.
Il se défend : « Ce n’est pas du tout blasphématoire. (…) Les compositeurs à l’époque étaient tous avant-gardistes. »
Deux ans plus tôt, l’entreprise chinoise Huawei avait fait subir le même sort à la symphonie inachevée de Schubert.
Plus tôt ce mois-ci, le portrait d’une femme nue accroupie a été découvert sous une toile de Pablo Picasso, le Repas de l’homme aveugle, exposé au Metropolitan de New York.
L’entreprise Oxia Palus a fait renaître le nu que l’on pensait à jamais caché sous la peinture. L’IA a complété le croquis révélé par rayons X, en adoptant les coups de pinceau du peintre espagnol. Picasso l’aurait-il souhaité ?
DEEEP, UNE NOUVELLE FRONTIÈRE DE L’ART
L’œuvre reconstituée a été exposée à Londres, le 14 octobre 2021, lors de l’exposition Deeep, premier évènement dédié au mouvement artistique de l’IA. La galerie d’art du futur, accueillait les principaux membres de ce nouveau mouvement artistique, dont le collectif français Obvious, qui s’est fait connaître en 2018, avec son portrait intitulé « Edmond de Belamy », œuvre entièrement générée par l’IA, adjugée pour la somme record de 432 500 $ lors d’une vente aux enchères organisée par Christie’s New York.
« Nous reconnaissons et adoptons ce mouvement artistique axé sur la technologie comme une nouvelle frontière de l’art, avec des possibilités incroyables, et nous sommes fiers d’être la première foire d’art internationale au monde réunissant les voix principales et déterminantes du mouvement artistique de l’IA » – Erin Lait, cofondatrice de Deeep.
L’œuvre du collectif français a été présentée lors de l’exposition « La tête dans les nuages » au Musée de la civilisation de Québec jusqu’en janvier 2021.
« Comme institution muséale dédiée à l’être humain et à l’évolution de la société, il apparaissait impératif au Musée de la civilisation d’explorer la révolution numérique et de mettre en relief son impact sur nos comportements individuel, interpersonnel et collectif », expliquait Stephan La Roche, président-directeur général du musée, lors de l’ouverture de l’exposition en novembre 2019.
L’IA, UN OUTIL CAPABLE D’ÉMOTION ?
Le collectif Obvious, sous le feu des projecteurs depuis leur coup de maître, se définit simplement comme des gens sans formation en arts, capables de produire du visuel grâce à des algorithmes.
« L’IA n’est qu’un outil, rassure Valentin Schmite, co-auteur de l’art et l’intelligence artificielle dans le magazine Beaux-Arts en mars 2020, elle remplace l’artiste autant que l’appareil photo remplace le photographe. »
Si l’art est émotion, une bataille d’experts se fait jour sur ce point précis. Dans une entrevue au quotidien français La Croix, Yann Le Cun, responsable chez Facebook et pionnier du Deep learning, prédit :
« Les machines seront capables d’émotions comme les animaux et les humains, même si ce n’est pas le cas aujourd’hui. Si l’être humain développe un jour une IA autonome, elle sera nécessairement capable de ressentir des émotions. » -Yann Le Cun, responsable chez Facebook
Au contraire, Laurence Devillers, professeur en IA à la Sorbonne, estime que la machine « n’a pas d’intelligence émotionnelle ni d’intelligence collective, pas de culture, de corps. Une IA correspond plutôt à une imitation de l’humain par un ensemble de technologies. » (La Croix – février 2021).
Plus optimiste, Charles Tijus, professeur de psychologie cognitive à l’université Paris 8 et directeur du Laboratoire des Usages en Technologies d’Information Numériques (LUTIN), estime que le dernier mot reviendra à l’Homme : « l’IA ouvrira quantité de possibilités et stimulera notre intelligence et notre créativité. » (Sciences et Avenir – novembre 2019).
Par Nathalie Simon-Clerc
(visuel de Une: Peter Paul Rubens, Samson et Dalila – ©Wikimedia Commons)