Les enseignants de français passent parfois des heures à corriger les copies des élèves, lesquelles copies sont remises des semaines plus tard, constituant une charge de travail élevée. Au Collège Sainte-Anne, une équipe de recherche et développement du Laboratoire de l’innovation a peut-être trouvé la solution grâce à l’IA.
Stéphane Côté est conseiller pédagogique principal au Collège Sainte-Anne. Il a l’opportunité de pouvoir concentrer ses énergies sur un projet particulier à la fois, un luxe que n’ont pas la plupart des lieux d’enseignement du Québec. Grâce à ses travaux, son équipe et lui-même ont développé une application qui corrige les textes, laquelle est désormais utilisée en phase d’essai avec des travaux d’élèves.
Simplifier la vie des enseignants
À savoir comment il en est arrivé à vouloir créer ce logiciel, l’homme explique qu’il souhaitait simplifier la vie des enseignants. « L’année dernière, nous avions réalisé que les enseignantes de français sont vraiment débordées. Entre une production écrite et la remise de la version corrigée, il y a des délais de quatre à cinq semaines. L’enseignante doit donc continuer d’enseigner et en plus, elle doit corriger 120 à 160 copies d’élèves. On s’est dit qu’on s’attaquerait à ce problème. »
« Avec l’arrivée de ChatGPT, on s’est mis à rêver grand. On passe les textes dans cet outil et on les remet à l’enseignante presque entièrement corrigés. »
– Stéphane Côté, conseiller pédagogique principal au Collège Sainte-Anne
C’est en commençant par effectuer des corrections avec des logiciels tels que Scribens ou Antidote que M. Côté a fait les premiers pas vers une correction plus efficace du contenu des productions écrites. « Les enseignantes sont passées de 13 à 14 minutes par copie d’élèves à 4 à 5 minutes avec ça. Il restait encore des fautes puisque Antidote et Scribens ne corrigent pas toutes les erreurs en français, en plus de mal corriger la structure. On s’est dit, ‘il va falloir trouver un outil qui va être encore plus performant que les outils qu’on a’. Avec l’arrivée de ChatGPT, on s’est mis à rêver grand. On passe les textes dans cet outil et on les remet à l’enseignante presque entièrement corrigés. Il ne lui reste qu’à porter son jugement sur les idées et la cohérence des réflexions qu’on trouve dans le texte. »
Grâce à ces réflexions, l’équipe du Collège Sainte-Anne en est venue à créer le logiciel Nassau. Alors que le Laboratoire d’innovation du Collège travaille présentement sur une deuxième version en collaboration avec une entreprise montréalaise du domaine de l’IA, la troisième version est déjà en phase de développement.
Cette dernière version pourra réaliser 12 500 calculs avec les données issues de productions écrites d’un élève pour suggérer des activités qui seront ciblées selon ce qu’il doit améliorer. L’application produira également un cahier de 16 pages personnalisé, qui contient huit exercices. « Chacun des exercices va avoir un gain estimé pour l’élève. Si Philippe fait plus de fautes d’un certain type que d’un autre, en travaillant dans les pages 4 et 5, il pourra améliorer cet aspect spécifique de ses productions écrites. »
Vouloir s’entraider
Afin de rendre la classe plus vivante et de faire en sorte que les élèves ne fassent pas des exercices en silence pour tenter d’améliorer leur performance, l’équipe du laboratoire d’innovation a choisi d’essayer le pairage de forces mutuelles. En théorie, cela devait permettre à des élèves avec des compétences compatibles de s’entraider, mais ce n’est pas ce qu’il s’est passé. « Même si les élèves avaient des atouts compatibles, la majorité d’entre eux ne voulaient pas travailler avec les personnes que nous leur avions suggérées. »
« Dans cette capture, l’élève voit qu’il peut aller voir Isabella (qui a 9 points de plus que lui dans la syntaxe), Vivian qui a 4 de plus ou… Ainsi, le choix est éclairé, ce qui fait que certains vont aller voir des personnes qui sont plus « proches » d’eux, style meilleur de 4 ou 5 points, où ils tenteront d’aller voir une vraie experte par rapport à lui et d’aller voir Isabella… Ces trois suggestions de pairages sont trois personnes qui sont très réceptives face à cet élève, rappelons-le. », indique M. Côté.
Les chercheurs se sont donc lancés dans un sociogramme, pour évaluer l’intérêt des élèves à travailler avec leurs pairs. « Si je prends un élève, je suis capable de dire que six personnes veulent travailler avec lui. Et si par exemple Stéphane a des difficultés avec son orthographe, je suis capable de voir qu’il y a Julie et Philippe qui sont intéressés à travailler avec lui et qui sont meilleurs que lui. L’élève, dans son cahier, a les indications des personnes qu’il peut aller voir s’il a besoin d’aide. Si une des personnes est occupée, il a un choix, il n’est pas bloqué à ne rien faire. Et quand il va voir la personne, il est content puisqu’il sait que Julie est réceptive à lui. »
Exemples de visuels de la Version 3 de Nassau
« [L’étudiant] reçoit aussi des analyses poussées de sa performance avec des solutions (toujours en mentionnant les gains, dans le cas présent, une estimation du temps qu’il gagnerait s’il écrivait un texte de 475 mots plutôt que le 558 qu’il a produit). »
« Ici l’élève pourrait avoir un gain de 4 sur 18 pourcents potentiels de progression s’il réalise cet exercice (qu’on ne voit pas dans la capture d’écran). L’élève voit aussi son passé (graphique de gauche au niveau de ses résultats au critère de l’adaptation. Ayant mieux performé en décembre, on croit qu’on pourrait facilement le ramener à son niveau supérieur qu’il a atteint antérieurement, et c’est pourquoi on lui suggèrera, dans le volet des solutions accessibles, ce genre de travail. »
Aider les étudiants en difficulté
À savoir quels sont les avantages de l’application, M. Côté indique qu’« avec des élèves qui sont hautement en difficulté et qui ne se sentent pas bons, on fait un redémarrage complet. Ça permet de les encourager et de les garder engagés et ça fonctionne sur 85% à 90% de nos étudiants en difficulté. Il faut encore qu’on ajuste pour aller chercher le 10% à 15% qui restent perméables même à toutes ces innovations, mais on croit à plus que ce qu’on arrive à faire dans une classe que quand on est un prof et qu’on corrige pendant un mois de temps. Dans la tête du prof qui remet la copie, c’est relativement frais, mais dans la tête de l’élève, ça remonte au mois passé. »
Pour les enseignants, en plus de sauver le temps de correction, Nassau 3 sera une occasion de diriger l’enseignement vers des aspects particuliers de la langue française. « Ce ne sera plus un enseignant qui enseigne la règle de grammaire le vendredi matin, l’enseignant va pouvoir observer que dans tel groupe, il y a des difficultés avec telle partie du français et c’est ce à quoi on va s’attaquer directement. Dans un premier temps, ça a l’air d’un outil qui fait que les enseignants travaillent moins, mais au contraire, c’est plutôt une refonte de la profession qui devient accessible quand on a des outils comme ça. »
Le conseiller pédagogique estime que dans un établissement comme le Collège Sainte-Anne, l’application pourrait aider de 7% à 8% de l’ensemble des élèves de l’établissement, chiffres qui correspondent au nombre de personnes moyen qui ont de la difficulté à l’école dans une population donnée. « Ce sont souvent des élèves qui, dans un milieu très performant, tombent entre deux chaises. Être en échec dans un milieu très performant où c’est plus rare, c’est encore pire au niveau de l’impact sur l’adolescent. » Une fois que le logiciel sera déployé officiellement, M. Côté espère que son logiciel pourra être utilisé dans tous les cours où l’écriture fait partie des compétences évaluées. Il aimerait également que l’application puisse être utilisée non seulement au Collège qui l’emploie, mais également partout au Québec.
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Jeswin Thomas et Element5 Digital[/credits]