En octobre dernier, Facebook annonçait le nouveau nom de sa compagnie : Meta Platforms. Ainsi, s’amorçait un tournant dans l’histoire du géant du Web, puisque désormais, celui-ci investira une importante part de ses ressources à la concrétisation du métavers. À peine quelques mois se sont écoulés que déjà des fonds d’investissement cherchent à capitaliser sur cette révolution numérique anticipée. Mais est-ce vraiment possible de créer un modèle économique à partir d’un monde entièrement virtuel ?
Tout d’abord, il est nécessaire de définir ce qu’est le métavers.
La tâche n’est pas mince, puisque le concept demeure flou et subjectif. Pour Benoît Ozell, professeur agrégé au Département de génie informatique et de génie logiciel de Polytechnique Montréal, cette fusion entre les mots « méta » (NDLR : venant du grec ancien, qui signifie au-delà) et « univers » rappelle ce vieux rêve de la science-fiction d’un monde virtuel parallèle au monde réel, dans lequel l’humain n’est plus limité par les lois naturelles conventionnelles.
« À la base, c’est un lieu de rencontre. On peut y être ce que l’on veut, avec un avatar qui nous représente de la manière que l’on souhaite », explique l’expert.
Le concept en soi n’est pas nouveau, ni dans le monde des médias, ni même dans le milieu des technologies numériques.
En effet, le terme est apparu dans Le Samouraï virtuel (titre anglais : Snow Crash), un roman écrit par Neal Stephenson en 1992. Dans cette œuvre, le Métavers est une anticipation colorée et dystopique du cyberespace tel qu’on le connaît aujourd’hui.
« D’une certaine façon, le métavers ça existe déjà dans nos vies. Je donne des cours de création d’environnement 3D dans lequel je demande à mes étudiant de créer un monde où ils pourront interagir les uns avec les autres. On travaille déjà sur les technologies qui vont permettre le métavers » -Benoît Ozell, professeur, Département de génie informatique et de génie logiciel, Polytechnique Montréal
Or de tels lieux ont déjà fait leur apparition il y a quelques années, surtout dans le secteur des jeux vidéo.
Un des plus anciens précurseurs est sans-doute Second Life, un espace virtuel en ligne et en 3D lancé en 2003 dans lequel les utilisateurs peuvent se rencontrer et interagir à partir de leur ordinateur personnel. Dans la même veine, Roblox (lancé en 2006) et Minecraft (2011) offrent aussi des espaces interactifs numériques, et, depuis peu, accessibles aussi en réalité virtuelle.
PEUT-ON EN TIRER PROFIT ?
Ainsi, la table semble être mise pour la venue d’espaces virtuels interactifs plus étoffés, véritablement dignes du titre de métavers.
Selon le professeur Ozell, la technologie pour y parvenir est déjà disponible : casque de réalité virtuelle, capteurs de mouvements, dispositifs haptiques et lidar. Toutes ces innovations se trouvent sur le marché sous une forme ou une autre, souvent produits par l’industrie du jeu vidéo.
En ce sens, il devient évident qu’on puisse prévoir la venue d’un nouveau secteur économique, car le matériel nécessaire à l’accès de ces-dits lieux devra être produit et consommé par les utilisateurs.
Ce n’est pas un hasard si Facebook a acquis la compagnie de casques de réalité virtuelle Oculus en 2014. Plusieurs y ont vu un investissement sagace dans une industrie en plein développement et le premier pas de l’entreprise vers son hégémonie dans le métavers.
D’ailleurs, le magazine l’Actualité rapportait l’an dernier dans un article qu’« il se serait d’ailleurs vendu 5,6 millions de casques dans le monde en 2020 » et qu’on prévoyait la vente de 22,3 millions d’unités en 2025.
ACHETER DU VIRTUEL
La question la plus épineuse concerne les investissements au sein des espaces virtuels. Peut-on acheter un lieu numérique de la même manière que l’on signe une hypothèque pour acquérir un immeuble ? Débourser des espèces sonnantes et trébuchantes pour arborer un avatar griffé par Nike ou Louis-Vuitton dans le métavers se révèle-t-il judicieux ou une pure supercherie ?
Pour Xiaozhou Zhou, professeur au Département de finance de l’École des sciences de la gestion (ESG) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), il s’agit surtout d’une question de perspective.
« Du point de vue financier, les mécanismes qui se trouvent derrière le marché dans le métavers restent les mêmes que ceux du monde réel », souligne-t-il.
L’offre et la demande et l’optimisme des investisseurs pour un nouveau marché incitent à l’accroissement de la valeur des produits, physiques ou virtuels, liés au métavers.
Il est encore très tôt pour déterminer si ce marché portera ses fruits dans le futur, croit M. Zhou.
« C’est un peu comme essayer de prédire la météo de l’année prochaine. On peut avoir une certaine idée de ce qui s’en vient, mais on ne sait pas tout », illustre-t-il.
Toutefois, ce dernier ne nie pas que l’engouement actuel pour le concept de métavers gonfle très certainement la valeur des investissements qui y sont connexes.
Le professeur de finance compare l’élan actuel du métavers à la bulle Internet qui a éclaté dans les années 2000. Plusieurs entreprises dans le domaine des technologies avaient alors mis la clef sous la porte, tandis que l’indice boursier du Nasdaq s’était effondré à la suite du dégonflement du marché numérique.
« Je ne crois pas qu’il y aura nécessairement l’éclatement d’une bulle, ni même que l’on puisse parler d’une véritable bulle en ce qui concerne le métavers. Toutefois, les investisseurs anticipent souvent avec optimisme l’arrivée de nouvelles technologies et cela peut mener à une surévaluation du marché » -Xiaozhou Zhou, professeur, Département de finance, ESG
Ainsi, de la même manière que la précédente bulle a sonné le glas de certaines entreprises en 2000, d’autres comme Amazon en sont sorties plus fortes et ont éventuellement conquis leur secteur niche laissé vide par l’hécatombe.
On peut aussi noter la nature capricieuse des marchés du virtuel en observant les cours de la bourse. Par exemple, le prix de l’action de Roblox vacillait entre 70 et 80 $ US durant les deux premiers tiers de 2021, puis a connu une fulgurante hausse au lendemain de l’annonce du rebranding de Facebook en Meta en octobre, pour se jucher à 134 $ US en novembre. Depuis ce sommet, c’est la dégringolade et l’action se vendait à 46,58 $ US au moment d’écrire ces lignes.
Malgré l’incertitude, cela n’empêche pas des firmes comme Metaverse Property Group de proposer la vente, l’achat et la location d’immobilier virtuel dans les univers de Decentraland, Sandbox et Somnium.
De plus, des cabinets d’avocats tels que McCarthy Tétrault possèdent des équipes consacrées à l’aspect juridique entourant la gestion du métavers.
Enfin, la banque Morgan Stanley prévoit que le métavers pourrait offrir un marché à la consommation aux États-Unis de 8,3 mille milliards de dollars américains si on rassemble tous les secteurs qui y sont connexes.
Il en demeure pas moins que tout comme dans le monde de la cryptomonnaie et des jetons non fongibles (NFT en anglais), la spéculation liée au métavers reste forte.
Quoi qu’il en soit, M. Zhou se permet une prédiction quant à son avenir : si Mark Zuckerberg, le patron Facebook, rêve sans doute d’y avoir une place prédominante, l’entreprise ne pourra pas en avoir le monopole.
« Un vrai métavers nécessitera l’apport de plusieurs innovations ; la blockchain, la puissance de calcul et les appareils de captation. Certaines compagnies se démarqueront certainement dans leur spécialité, mais aucune dans tous les secteurs. »
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