Quand l’interdisciplinarité devient un moteur stratégique pour le Canada

Quand l’interdisciplinarité devient un moteur stratégique pour le Canada

L’innovation ne se construit plus en silo. Dans un contexte où les avancées technologiques s’accélèrent — notamment en intelligence artificielle, en transition énergétique ou en technologies propres — les projets de recherche les plus porteurs sont désormais ceux qui rassemblent plusieurs expertises. C’est ce que confirment les échanges avec Derek Newton et Quentin Hibon de chez l’OBNL Mitacs, qui joue un rôle clé dans la concrétisation de partenariats entre les universités et le secteur privé canadien, avec l’appui des gouvernements fédéral et provinciaux.

Respectivement vice-président principal au développement des affaires et partenariats stratégiques, puis conseiller principal responsable du secteur de l’énergie au sein de l’organisme, Messieurs Newton et Hibon dressent le même constat : les grands défis d’aujourd’hui sont trop complexes pour une seule discipline.

Briser les silos pour répondre à des enjeux réels

Selon Derek Newton, l’interdisciplinarité s’impose naturellement, tant les enjeux actuels — qu’il s’agisse d’IA, de politiques publiques, d’énergie ou de développement durable — nécessitent des perspectives croisées. « Nous évoluons dans une révolution technologique immense, explique-t-il. Le rythme est rapide, les ramifications sont sociales, juridiques, économiques. Pour que le Canada reste compétitif, il faut des équipes capables de connecter ces mondes », soutient le VP.

« Nous évoluons dans une révolution technologique immense (…) les ramifications sont sociales, juridiques, économiques. Pour que le Canada reste compétitif, il faut des équipes capables de connecter ces mondes. »

– Derek Newton

Ce décloisonnement permet aux universités de mieux aligner leur recherche avec les besoins du marché. Les étudiants, exposés à plusieurs disciplines, arrivent en entreprise avec des compétences transversales recherchées. C’est d’ailleurs dans cet esprit que s’inscrit le plan stratégique 2026-2030 de Mitacs, qui mise sur des partenariats élargis entre milieux de recherche, entreprises, municipalités et organismes publics.

Les résultats sont déjà visibles : plus de 35 000 projets d’innovation et 99 000 stages ont été soutenus depuis 2018 à travers le pays — dont plus de 4 700 innovations au Québec.

Des exemples concrets : de l’IA aux mines intelligentes

Quentin Hibon, qui pilote maintenant les partenariats dans le vaste secteur de l’énergie, constate chaque jour la diversité des expertises requises dans un même projet. Même les demandes initialement simples, dit-il, deviennent rapidement multidisciplinaires. « Une entreprise qui veut intégrer un module d’IA a souvent déjà des équipes en informatique. Dès qu’on y ajoute un professeur, l’étudiant, et parfois des enjeux comme la cybersécurité, le projet devient naturellement transversal. »

Il évoque quelques projets marquants, pour illustrer le besoin et la manière d’y répondre.

Internet des Objets (IoT) + IA + cybersécurité dans l’agroalimentaire : un système de capteurs pour surveiller les chambres froides, optimisé par l’IA, a nécessité l’ajout d’experts en cybersécurité après la découverte d’une faille critique.

« [Les contributeurs aux projets] ne parlent pas toujours le même langage. Mais c’est exactement ce qui forme les étudiants aux réalités du monde de l’entreprise. »

– Quentin Hibon

Transition énergétique : un projet mené avec Siemens Energy, McGill et l’ÉTS pour optimiser la conception de turbines grâce à l’IA, combinant génie mécanique, électrique et informatique.

Mines 5.0 : une collaboration impliquant Polytechnique Montréal, l’ÉTS et un cégep pour automatiser les mines souterraines via des véhicules autonomes, la 5G, des capteurs et des algorithmes prédictifs.

Dans chaque cas, les disciplines doivent dialoguer — ce qui n’est pas toujours simple. Les langages diffèrent, les réalités aussi. « On travaille parfois avec un ingénieur, un spécialiste en sciences sociales, un expert en IA… Ils ne parlent pas toujours le même langage. Mais c’est exactement ce qui forme les étudiants aux réalités du monde de l’entreprise », explique Quentin Hibon.

Le rôle de Mitacs : un chef d’orchestre national

Derek Newton souligne que l’une des forces de Mitacs est sa capacité à connecter des acteurs qui ne se seraient jamais rencontrés : départements universitaires, PME, grandes entreprises, municipalités, hôpitaux, organismes publics.

Les entreprises partenaires de Mitacs constatent en moyenne un gain de productivité de 11 %, une hausse des revenus de 9 % et une augmentation des ventes de 16 %.

Avec plus de 11 000 partenaires industriels et 198 établissements postsecondaires, l’organisme agit comme un réseau national capable de mobiliser du talent là où il est le plus utile — parfois dans des régions moins sollicitées que les grands centres, où la réponse est d’ailleurs souvent plus rapide.

Les retombées sont mesurables : 31 % des stagiaires sont embauchés par leur partenaire ; 70 % poursuivent une carrière en R-D au Canada ; les entreprises partenaires constatent en moyenne un gain de productivité de 11 %, une hausse des revenus de 9 % et une augmentation des ventes de 16 %.

Une dynamique particulièrement forte au Québec

Le Québec se distingue par une culture de collaboration particulièrement développée, renforcée par des réseaux comme les universités du Québec, les zones d’innovation et l’Union des municipalités du Québec. Ces réseaux facilitent des projets d’envergure, notamment en énergie, en gestion de l’eau, en environnement ou en santé publique.

Le rôle du conseil scientifique de la Ville de Gatineau, auquel Mitacs a contribué, est un exemple éloquent : des projets conjoints y ont été lancés en sciences sociales, gestion des risques, santé mentale des premiers répondants et résilience climatique.

Un impératif pour la compétitivité canadienne

L’interdisciplinarité n’est plus un simple avantage : c’est une condition essentielle pour accélérer l’innovation et assurer la compétitivité du Canada. Pour Derek Newton comme pour Quentin Hibon, la conclusion est claire : plus les disciplines collaborent, plus la recherche avance vite — et plus les solutions produites ont un impact réel.