Le jeudi 2 février dernier se tenait le colloque « Le développement durable en science des matériaux : enjeux-défis-solutions ». Organisé par le Centre interdisciplinaire de recherche en opérationnalisation du développement durable (CIRODD) et le Centre québécois sur les matériaux fonctionnels (CQMF), l’événement s’est penché sur les solutions environnementales possibles quant à la recherche et au développement des matériaux.
Dans le but « de sensibiliser les communautés professorale et étudiante à l’importance capitale des aspects de développement durable dans la conception de matériaux innovants », le colloque, qui avait lieu à l’École de technologie supérieure de Montréal, a rassemblé différents experts et professeurs des milieux des sciences, de l’environnement et de la technologie.
Un constat d’échec
Pour Normand Mousseau, professeur titulaire du département de physique de l’Université de Montréal, le Québec rate la cible en ce qui concerne la création et l’implantation réelles des matériaux durables. « Malgré les différentes formes de soutien qu’on a au Québec, on vit un échec total, ou presque, dans la capacité d’avancer sur les matériaux durables. Oui, on fait des recherches (…) mais l’impact réel sur la société est extrêmement faible et n’est certainement pas à l’échelle de ce dont on a besoin. »
D’année en année, la quantité de déchets par habitant est en hausse au Québec; une augmentation qui, selon M. Mousseau, illustre l’échec auquel fait face le Québec. « Si on avait vraiment investi dans des matériaux durables et réussi à bien les implanter dans notre société, on n’en serait pas là », avance-t-il.
« Chaque heure, le soleil nous envoie assez d’énergie pour satisfaire les besoins de toute la planète pendant une année »
Federico Rosei, professeur au Centre Énergie, Matériaux et Télécommunications de l’Institut National de la Recherche Scientifique
Le développement des matériaux durables peine également à maximiser le potentiel des énergies propres, dont l’énergie solaire. « Chaque heure, le soleil nous envoie assez d’énergie pour satisfaire les besoins de toute la planète pendant une année », amène Federico Rosei, professeur au Centre Énergie, Matériaux et Télécommunications de l’Institut National de la Recherche Scientifique (INRS). Pourtant, la production d’énergie solaire ne représente que près de 1% de la production d’énergie dans le monde.
Federico Rosei y voit aussi un insuccès au point de vue social, rappelant les inégalités d’accès à l’énergie dans le monde. Sans surprise, les régions les plus fortunées et les plus au nord ont généralement un accès particulièrement important à l’énergie. Selon lui, derrière cet enjeu se cache une occasion qui pourrait éventuellement s’avérer avantageuse. « On peut regarder ce constat comme une opportunité, puisque ce sont les mêmes régions qui n’ont pas d’énergie la nuit qui ont le plus de soleil pendant le jour. Si on arrive à déployer des technologies solaires et à [créer de l’énergie propre], on pourrait améliorer beaucoup d’aspects, tels que l’environnement, l’éducation, l’eau, la santé, et amener un changement sociétal positif très rapide. »
L’un des défis consiste à parvenir à créer et fabriquer des infrastructures d’énergie propre sans dépendre autant des énergies fossiles, qui produisent énormément de gaz à effet de serre (GES). Selon M. Rosei, une transition quant au développement des matériaux durables est nécessaire afin de construire des infrastructures moins polluantes.
Des possibilités multiples
Ces différents défis et échecs forcent la communauté scientifique à « repenser la chimie, la physique et à avoir une plus grande profondeur dans leur compréhension de ces phénomènes là », explique Normand Mousseau. Le professeur souligne que ces changements et ces réflexions nécessitent des échanges multidisciplinaires entre des ingénieurs, des concepteurs, des économistes, des sociologues, des avocats, etc.
Il est d’avis que des pistes d’action pour la création de matériaux durables sont possibles à différents niveaux, que ce soit en revoyant la composition des matériaux, en réinventant les procédés de fabrication ou encore en repensant la conception des structures, entre autres.
La robotique est à considérer pour le développement durable et la création d’infrastructures luttant contre le réchauffement climatique. Claudiane Ouellet-Plamondon, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les matériaux de construction multifonctionnels durables, déclare que la robotique et ses algorithmes ont potentiellement la capacité d’aider à conceptualiser des mélanges efficaces, fonctionnels, durables et qui ont un faible impact sur l’environnement.
Le manque criant de financement
Les chercheurs peuvent être des acteurs de changement, mais les contraintes économiques restent l’un des principaux défis auxquels fait face le secteur, dénonce Thierry Lefèvre, professionnel de recherche à l’Université Laval. Il soutient que le manque de financement approprié ralentit considérablement le progrès qui peut être fait en matière de développement de matériaux durables.
Normand Mousseau émet le même constat, et estime que le Québec pourrait être un acteur important en matière de réflexion sur le développement durable si le gouvernement y accordait un financement adéquat. Il se désole que des organismes peinent à trouver un financement adéquat afin de réaliser des bases de données ouvertes, accessibles à tous, et d’avoir une capacité à livrer des réponses et des projets concrets. « On ne donne pas le soutien nécessaire à ce qui m’apparait être des infrastructures intellectuelles cruciales pour atteindre nos objectifs en développement durable », déplore-t-il. Il conclut en faisant part de son souhait de voir naître des programmes de soutien financiers amenant une aide plus adéquate et à plus long terme aux projets de développement durable.
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Crédit Image à la Une : Roxanne Lachapelle