Les réseaux sociaux ont-ils « normalisé la violence en ligne »? Pour plusieurs vulgarisateurs scientifiques, il est périlleux d’accomplir leur mission depuis le début de la pandémie, car ceux-ci risquent de devenir la cible de cyberharcèlement et de messages haineux.
Lors d’un sondage mené dans le cadre d’un forum sur le phénomène de la désinformation, 75 % des répondants ont affirmé avoir vu entre une et cinq fois de la désinformation sur leurs réseaux sociaux durant les sept derniers jours.
Cette donnée peut en étonner certains, mais elle ne surprend probablement pas les invités de l’événement organisé par les Fonds de recherche du Québec et le Palais des congrès de Montréal.
En effet, à cette occasion, des membres de la communauté scientifique et des journalistes ont été amenés à parler de leurs expériences vécues dans le contexte de la crise sanitaire et des répercussions liées à leurs interventions publiques.
DIFFICILE D’ÊTRE UN VULGARISATEUR SCIENTIFIQUE
Marine Corniou, journaliste au magazine Québec Science, se dit craintive par rapport au phénomène de normalisation de la violence en ligne.
Selon cette dernière, durant les deux dernières années, plusieurs personnes réagissent très mal aux informations qu’elles ne jugent pas véridiques, et dans certains cas plus extrêmes, y voient un complot auquel participent même les journalistes.
« Tout devient polarisant », résume-t-elle.
Elle-même a été visée par un raz-de-marée de commentaires haineux à son encontre à la suite d’une plainte qu’elle a soumise à l’Ombudsman de Radio-Canada.
Celle-ci dénonçait alors le manque de rigueur journalistique d’une entrevue accordée au Dr Didier Raoult, par la chaîne d’information publique.
Une fois la plainte rendue publique en juillet dernier, Mme Corniou a été inondée de messages désobligeants sur ses comptes Twitter, Facebook et dans sa boîte courriel.
« On m’a associée à la Big Pharma et à Bill Gates [à cause de cette plainte]. » – Marine Corniou, journaliste au magazine Québec Science
D’autres théories tout aussi saugrenues ont été montées à l’endroit de Roxane Borgès Da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal (UdeM).
Celle qui a été citée 863 fois dans les médias au cours de l’année passée a été elle aussi une cible facile des complotistes et des opposants aux mesures sanitaires.
« On a dit que j’étais la “mère du couvre-feu” au Québec, parce que j’avais été en faveur de cette mesure », se désole-t-elle, alors qu’elle n’était pas impliquée dans la décision du gouvernement.
Souvent montés en épingles, les propos des scientifiques et journalistes sont parfois destinés à les dénigrer, constate pour sa part le Dr Alex Carignan, microbiologiste-infectiologue au CHU de Sherbrooke.
«Nos messages sont quelquefois tordus pour dire le contraire de ce qu’on veut transmettre. On devient à notre tour une arme pour la désinformation », affirme-t-il.
RIDICULISER OU AGIR AVEC EMPATHIE ?
Comment interagir avec les personnes qui entretiennent des croyances complotistes et qui harcèlent les vulgarisateurs scientifiques ?
Selon Louis Audet Gosselin, directeur scientifique et stratégique du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence, il est inutile d’essayer de débattre avec chacun de ses détracteurs, ou encore pis, de ridiculiser leurs opinions, aussi fausses soient-elles.
« Il n’y a pas vraiment de cas désespérés. Pour beaucoup de personnes isolées, le fait d’être entendues, ça peut progressivement apporter un changement. On ne convaincra personne sur le coup et c’est impossible de le faire seul, mais des organismes comme le Centre peuvent aider [les vulgarisateurs scientifiques]. »
Peu importe les embûches que cela peut présenter, la transmission des informations scientifiques demeure un beau métier qu’il faut poursuivre, croit de son côté la journaliste de Québec Science.
« Malgré tout, je veux encourager les chercheurs à se lancer dans la sphère publique. Parfois, une petite précision ou une citation peut faire la différence [dans un article]», conclut Mme Corniou.
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