La stratégie pour redresser la santé au Québec au cours des prochaines années consistera à miser sur la promotion d’une santé globale. Une approche axée notamment sur la prévention plutôt que la gestion de la maladie, en se fondant sur la recherche, qui identifie de nombreux facteurs jouant un rôle déterminant dans le renforcement de la santé des Québécois. Or, selon le sous-ministre adjoint au ministère de la Santé et des Services sociaux, Horacio Arruda, rencontré au Sommet de la santé durable en janvier dernier, « La nature humaine n’est pas préventive ». Face aux impressions d’impuissance, comment insuffler à la population le sentiment de pouvoir agir en amont, quitte à parler de prévention plutôt que de soins, et pourquoi est-ce si important ?
Promotion de la santé : une multitude de facteurs interreliés
Miser sur la prévention et les saines habitudes de vie
Au Sommet de la santé durable, organisé par l’Association pour la santé publique du Québec (ASPQ), on faisait l’apologie de la réduction de la maladie, de l’action précoce et de l’atténuation des inégalités, pour valoriser l’approche « One Health » (une seule santé), soit la prise en compte de tous les paliers agissant sur la santé des Québécois. L’objectif : inciter la population, avec l’appui des médias, à adopter une « nouvelle posture » et « de saines habitudes de vie », en vue de solliciter moins de soins et de désengorger le système d’offre de services. Un projet ambitieux qui, si bien exécuté, pourrait changer la donne pour les prochaines générations, et améliorer aussi la qualité de vie de la population déjà vieillissante, qui attend surtout que l’offre de soins réponde à sa demande.
Thomas Bastien, directeur général de l’ASPQ, estime que l’orientation des projets en matière de santé préventive, qu’ils soient de nature gouvernementale ou portés par l’écosystème de la santé, « est très positive ». « Le vieillissement de la population est, certes, l’une des préoccupations considérées en lien avec le réseau de santé, puisqu’il y a plus de cas de maladie à rapporter chez les personnes âgées. Mais la prévention et la promotion de la santé demeurent possibles et pertinentes, même à leur âge », affirme le DG, en entrevue avec CScience, rappelant aussi que la prévention, contribuant au désengorgement du système de santé, aura forcément des retombées positives sur cette population. « Cela implique l’innovation technologique, mais aussi l’innovation sociale et humaine », a-t-il souligné, insistant sur l’importance de former des partenariats au sein du milieu communautaire pour porter de tels projets.
On peut prévenir 40 % des cas de cancer grâce à la prévention et la promotion des saines habitudes de vie
« Grâce à la prévention et la promotion des saines habitudes, on peut prévenir environ quatre cas de cancer sur dix, ce qui illustre l’impact majeur que l’on pourrait avoir, à l’avenir, à la fois sur la qualité de vie des patients, sur leur taux de survie mais, également, sur le système de santé, puisque cela permettrait de réduire la pression qui y est exercée de manière significative », a soutenu David Raynaud, gestionnaire principal en « Défense de l’intérêt public » pour le Québec chez la Société canadienne du cancer.
Selon les données relayées par le ministère de la Santé et des Services sociaux, faire 90 minutes d’exercice physique d’intensité modérée à élevée par semaine permettrait de réduire, chez les adultes, le risque de mort prématurée d’environ 20 %. En faire cinq heures par semaine réduirait ce risque d’approximativement 35 %. En conférence lors du Sommet, le kinésiologue René Maréchal, également chargé de cours à la Faculté des sciences de l’activité physique de l’Université de Sherbrooke, a fait valoir que « Dans la société dans laquelle on vit actuellement, axée sur l’industrie du savoir, on manque de temps, et on passe la majorité de son temps assis », ce qui contribue à la mortalité précoce et à renforcer la sédentarité moyenne de la population.
Bien plus que de saines habitudes de vie
Mais bien que la dimension propre aux habitudes et choix de vie – qui relève en grande partie de la responsabilisation sinon de la sensibilisation de l’individu – influe certainement sur l’état de santé, il s’agit de bien plus que cela, puisque une multitude d’autres facteurs sont à considérer selon l’approche « One Health » (une seule santé), précise la directrice scientifique du Fonds de recherche du Québec – Santé, Carole Jabet, en entrevue avec CScience, ajoutant qu’il faut impliquer des intervenants multisectoriels dès le début de la démarche de recherche et de déploiement des initiatives. Elle poursuit : « Lorsque je veux poser une question, je ne commence plus par une équipe de recherche. Je me tourne d’abord vers des organismes communautaires, une municipalité, un groupe d’individus, pour leur demander, par exemple, quel est leur problème de santé durable, et la démarche de recherche se génère ensuite à partir de leurs propres questions. »
Recherche participative : un changement de paradigme
La Chaire de recherche en santé durable, créée en 2023 par le Fonds de recherche du Québec – Santé (FRQS), témoigne justement de cette volonté d’inclure les citoyens à tous les niveaux de la transition vers un modèle de santé durable. Attribuée aux cotitulaires scientifiques Jean-Pierre Després et Catherine Laprise, elle compte également deux cotitulaires citoyens en Guy Poulin et Nadine Arbour, et permet de passer de la recherche fondamentale à appliquée grâce à divers projets collaboratifs à même la communauté. « C’est quand même assez historique, parce qu’avant, les chaires de recherche n’étaient attribuées qu’à des scientifiques. Ce changement de paradigme envoie le signal très fort d’une volonté d’agir pour la santé durable, non pas seulement pour les citoyens, mais bien avec eux », souligne le professeur Després, évoquant également l’implication des patients comme « patients partenaires » dans le système de santé, autre manifestation de leur contribution selon un modèle émergent.
« Il faut dépasser l’étape de la consultation pour aller vers la co-création et la co-réalisation avec les citoyens. »
– Guy Poulin, cotitulaire citoyen de la Chaire de recherche en santé durable
Malgré ce progrès indéniable, Guy Poulin estime qu’il y a beaucoup de chemin à faire. « Certes, on consulte les citoyens davantage, au niveau municipal, en santé, etc., mais il arrive souvent que l’on soit consulté dans le cadre de recherches ou bien d’une réorganisation de services dans le réseau, et qu’après, on n’ait plus aucun suivi. Il faut dépasser l’étape de la consultation pour aller vers la co-création et la co-réalisation avec les citoyens », pense le cotitulaire de la Chaire de recherche.
Il ajoute que son « rêve comme citoyen, c’est qu’un jour, un chercheur soit cité par des citoyens parce que sa recherche aura eu un impact réel sur leur vie ». Il insiste sur l’importance de créer des opportunités de transfert et d’échange d’informations avec la population, là où les frontières de la recherche sont étanches. « Il faut vulgariser la recherche et faire du citoyen un acteur actif, partie prenante du déploiement des innovations qui en découlent. Si, à chaque fois qu’on met en place des comités de travail, pour réorganiser les urgences, par exemple, on inclut un citoyen ou patient partenaire dans la boucle, cela fera toute la différence. »
Un exemple très concret
« On a des projets qui se déroulent sur le territoire, et où le besoin vient des communautés. Dans le Bas-Saguenay, pour lutter contre le décrochage scolaire, des gens de la communauté ont voulu lancer des classes nature. Ils ont alors souhaité se renseigner auprès de nous pour savoir si une telle initiative pouvait améliorer la santé cognitive des jeunes et réduire leur taux de décrochage. Alors, au Centre intersectoriel en santé durable (CISD), nous avons travaillé avec les familles et enfants impliqués dans le projet, visant à évaluer les apprentissages durables et la santé durable, et avons croisé leurs listes de besoins avec notre liste de questions de recherche, et avons fait une revue de la littérature existante que nous leur avons ensuite présentée. De là, nous avons fait des demandes de fonds et avons réussi à obtenir une subvention de 400 000 $. Aujourd’hui, le projet est lancé et nous le menons avec eux », illustre la professeure Catherine Laprise, directrice du CISD, reconnue comme pionnière de la recherche en santé durable.
Pour en savoir plus, consultez le dossier thématique de CScience consacré à la santé durable, propulsé par les Fonds de recherche du Québec (FRQ) :
Crédit Image à la Une : Sommet de la santé durable de l’ASPQ